La fameuse phrase de Descartes : “le bon sens est la chose la mieux partagée au monde”, ne s'applique pas aux Marocains et Algériens en ces temps-ci. Ils se complaisent dans leurs préjugés mutuels, se disputant couscous, caftans, zelliges, voire les figures de proue de leur histoire commune : Tarik ibn Ziyad, les Almohades, ibn Batouta, et j'en passe... Ils coulent un passé composé dans des outres cassables du présent discontinu. Les deux pays ont une trame commune. Familles, tribus, zaouïas, traditions, parlers, coutumes, se chevauchent et s'interpénètrent. Mais certains des commanditaires des opinions des deux pays sont tellement aveuglés par le prisme déformant de l'immédiateté qu'ils refusent de voir l'évidence.
Des Marocains s'indignent de voir les motifs de zellige, pourtant de Tlemcen, sur les maillots de l'équipe algérienne de football, et un responsable de la compagnie aérienne algérienne est limogé pour avoir distribué des prospectus faisant référence à l'architecture marocaine. Il y a là incontestablement une mauvaise interprétation du fait historique et des sollicitations de phénomènes de manière attentatoire à la raison et à la complexité de l'histoire.
Souvent, la confusion vient du fait que le mot 'Maghreb' en arabe signifie à la fois Maghreb mais aussi Maroc. Ainsi donc Bab al Maghariba, la porte de la mosquée d’al Aqsa, veut dire en arabe aussi bien Maghrébin que Marocain.
Certes le Maroc n'est pas une réplique de l’Algérie, ni l'Algérie une réplique du Maroc et chacun des pays a des spécificités propres aussi bien sur le plan culturel que de l’histoire, mais cela ne saurait être une raison pour refuser le passé commun et la trame commune.
Les évidences risquent de choquer plus d'un. Une fois, le Chambellan de la cour royale marocaine m'avait surpris en train de scruter le stuc moulé dans l'enceinte de ce que l'on appelle Qobbat Annasr, l'emblème de la souveraineté marocaine, c'est-à-dire les lieux où les grandes décisions et cérémonies se déroulent. C'était du temps où j'officiais dans les arcanes du pouvoir marocain. "D’où vient ce stuc ?", m'avait interpellé le chambellan ? De Tétouan, me suis-je empressé de répondre, il diffère du style ciselé de Fès. Erreur, rétorqua le chambellan, il vient de Tlemcen. Et d'ajouter que c'était le Fqih Al Maâmri qui avait ramené les maâllam de Tlemcen dans les années trente du siècle écoulé, pour poser le stuc moulé qui fait l'ornement de la Qobbat Annasr. Le Fqih Al Maâmri qui était Directeur du Cabinet royal et précepteur des princes était originaire de la Kabylie en Algérie. Il avait accompagné le règne de Mohamed V et fut nommé au lendemain de l'indépendance premier ministre de la Maison royale.
Voilà qui risque de faire sursauter les esprits chatouilleux de découvrir que le premier ministre de la Maison royale était algérien et que le responsable du protocole, en l'occurrence Kaddour Benghabrit, était natif de Tlemcen. Par la même occasion, le premier président de l'Algérie indépendante, en l'occurrence Ahmed Ben Bella, était d'origine marocaine, des environs de Marrakech. On pourrait s'amuser à égrener la liste des hommes politiques algériens qui ont eu de hautes charges au Maroc, et vice-versa, on n'en finirait pas. Phénomène somme toute normal entre deux pays voisins et deux peuples qui descendent de la même souche, qui sont plutôt un même peuple.
Ce ne sont pas que les mêmes coutumes que les deux peuples partagent, mais ils sont aussi portés par des tendances lourdes, par de grands mouvements sociologiques, à telle enseigne qu'ils ne diffèrent que par leur degré et non par leur nature.
On serait étonné aussi de voir que, par exemple, un Marocain du Rif a plus d'atomes crochus avec un Kabyle qu'il n'en a avec un concitoyen de Marrakech, et un Fassi partage les mêmes us que quelqu'un de Tlemcen qu'il n'en a avec son voisin de l'Atlas. C'est dire que la réalité est beaucoup plus complexe et qu'il faudra faire preuve de lucidité pour appréhender une réalité complexe. Marocains et Algériens ont beaucoup de choses en commun. Se les approprier de manière exclusive, c'est pêcher par infantilisme.
Faudra-t-il rappeler que deux des chefs historiques de la révolution algérienne Mohammed Khider et Krim Belkacem reposent pour l'éternité au cimetière des Chouhada à Casablanca et que Mohamed Boudiaf a vécu à Kenitra (Maroc) avant d'assumer la présidence du haut comité d'Etat.
A chaque fois que je regarde l'état des relations entre le Maroc et l'Algérie, non sans amertume, me revient à l'esprit ces passages du 'Fils du pauvre' de Mouloud Feraoun quand les deux frères se sont tournés le dos et furent plongés dans la décrépitude au grand malheur de leurs enfants respectifs.
Peut-être que cette guéguerre sur les maillots de l'équipe algérienne rappellera aux deux peuples le passé commun et surtout le destin commun.