Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont officiellement quitté le bloc régional ouest-africain CEDEAO en janvier 2025. / Photo : AFP

Par Mubarak Aliyu

Le 29 janvier 2025, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, désormais unifiés au sein de l'Alliance des États du Sahel (AES), se sont officiellement retirés de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), marquant un changement crucial dans le paysage géopolitique de la région.

Ce départ sans précédent signale plus qu'une rupture diplomatique. Il reflète des frustrations profondes concernant la coopération en matière de sécurité, la dépendance économique et l'autonomie politique.

Cependant, des défis urgents se profilent à l'horizon alors que les deux blocs naviguent dans les conséquences.

De l'avenir de la souveraineté monétaire dans la région aux relations commerciales et aux alliances de sécurité fragiles, les implications de la dissidence pourraient remodeler l'avenir de l'intégration régionale en Afrique de l'Ouest.

La question du CFA

Trouver une nouvelle approche de l'autonomie financière pourrait devenir crucial pour la stabilité de l'AES et de la CEDEAO.

L'influence de la France sur les affaires économiques de l'Afrique de l'Ouest est la plus évidente dans sa gestion du franc CFA - la monnaie utilisée par plusieurs pays francophones de la région.

La France exerce un contrôle indu sur la politique monétaire de ses anciennes colonies africaines et influence les banques centrales de la zone CFA.

La Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) et la Banque des États de l'Afrique Centrale (BEAC) sont tenues de déposer 50 % de leurs réserves de change auprès du Trésor français.

Cet arrangement donne à la France un droit de veto effectif sur les décisions monétaires et garantit que le capital généré par ces économies profite aux intérêts français.

Étant donné que le CFA est rattaché à l'euro, sa surévaluation structurelle rend les importations vers les pays membres moins chères et les exportations moins compétitives.

Cette configuration positionne efficacement de nombreux États membres de la CEDEAO et de l'AES comme fournisseurs de matières premières à bas prix pour les industries françaises, alimentant davantage le cycle de dépendance, tout en limitant la capacité de leurs industries locales.

Au cours de la dernière décennie, la CEDEAO a tenté d'adopter une monnaie commune appelée l'Eco pour les pays d'Afrique de l'Ouest.

Cependant, le lancement de l'Eco a été reporté à plusieurs reprises depuis sa proposition initiale il y a près de 30 ans, en grande partie en raison de l'instabilité économique, des désaccords politiques et des chocs externes.

Étant donné que le sentiment anti-français a été au centre de la légitimité des dirigeants de l'AES, la question demeure de savoir comment les trois pays (Mali, Burkina Faso et Niger) traceront une nouvelle voie économique loin du CFA ?

Contraintes géographiques

L'accès aux ports est un autre problème majeur pour les États de l'AES. Le Niger, le Burkina Faso et le Mali étant tous enclavés, les trois pays dépendent fortement de leurs voisins côtiers pour l'accès aux ports maritimes.

Cette dépendance les rend vulnérables aux décisions politiques et économiques prises dans les États littoraux, ce qui peut perturber les routes commerciales et entraîner des retards dans la circulation des marchandises.

Suite à leur départ officiel de la CEDEAO, les deux blocs ont entamé un dialogue post-sortie pour établir un cadre pour la poursuite des relations commerciales et de la coopération.

Bien que la CEDEAO ait permis aux trois pays de bénéficier temporairement du libre-échange avec ses États membres dans le cadre du Schéma de Libéralisation des Échanges de la CEDEAO (SLEC), les modalités futures d'engagement entre les deux parties n'ont pas encore été finalisées.

Cela signifie que la résilience économique de l'AES dépend de la capacité de ses membres enclavés à maintenir des relations commerciales raisonnables avec leurs voisins de la CEDEAO tout en conservant leur autonomie politique souhaitée par rapport au bloc.

Coopération en matière de sécurité

La coopération en matière de sécurité dans le Sahel et le bassin du lac Tchad reste incertaine, étant donné que la stabilité régionale dépend fortement des efforts conjoints, en particulier par le biais de la Force Multinationale Mixte (FMM).

Créée pour lutter contre Boko Haram et d'autres groupes terroristes dans le bassin du lac Tchad, la FMM est dirigée par le Nigeria et comprend le Niger, le Tchad, le Cameroun et un plus petit contingent du Bénin.

Alors que le Tchad et le Cameroun représentent l'implication de l'Afrique centrale, la CEDEAO a joué un rôle clé dans le soutien aux opérations de la FMM dans le cadre de sa stratégie antiterroriste plus large.

Cependant, les retombées diplomatiques entre le Nigeria et le Niger suite au coup d'État de juillet 2023 au Niger ont conduit à la formation de l'AES en tant que pacte militaire distinct.

Depuis lors, le Niger a considérablement réduit sa participation à la FMM, signalant un changement par rapport à l'initiative dirigée par le Nigeria. Bien que les engagements récents entre les chefs militaires des deux pays montrent un potentiel de collaboration renouvelée, le rôle de la CEDEAO dans le rétablissement d'une coopération de sécurité solide dans le Sahel et le bassin du lac Tchad est en suspens.

Perspectives d'avenir

Malgré les tensions existantes dues à la fragmentation de la CEDEAO, une coopération diplomatique renforcée augure d'un avenir prometteur pour la région.

Lors du 5e Forum des gouverneurs du bassin du lac Tchad récemment tenu à Maiduguri, au Nigeria, un engagement à renforcer la Force Multinationale Mixte (FMM) pour lutter contre Boko Haram, l'ISWAP et d'autres menaces à la sécurité a été souligné par les acteurs régionaux et internationaux.

À court et moyen terme, nous verrons probablement des tentatives ambitieuses des pays de l'AES de se libérer de la zone CFA, afin de parachever la position anti-impérialiste contre la France.

Pour la CEDEAO, cependant, bien que l'Eco n'ait pas réussi à gagner du terrain récemment, elle reste l'alternative de politique monétaire la plus réalisable pour la stabilité politique, la véritable indépendance monétaire et l'intégration économique dans la région.

Dans l'ensemble, une politique étrangère unifiée de la CEDEAO envers la France reste un facteur majeur à prendre en compte, car les accords militaires entre plusieurs États membres et le gouvernement français sont en cours de résiliation.

Le bloc doit adopter une politique commune qui tienne compte de la nouvelle poussée pour l'autonomie économique et militaire vis-à-vis de la France parmi de nombreux citoyens de la région.

Cette politique étrangère unifiée doit prendre en compte la souveraineté et la coopération, car ces deux éléments sont cruciaux pour prévenir de nouvelles crises au sein de la CEDEAO.

Mubarak Aliyu est un analyste politique et écrivain couvrant l'Afrique de l'Ouest et les régions du Sahel. Ses sujets d'intérêt incluent la gouvernance et le développement inclusif.

Avertissement : Les opinions exprimées par l'auteur ne reflètent pas nécessairement les opinions, les points de vue et les politiques éditoriales de TRT Afrika.

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