Par Mubarak Aliyu
Lorsque la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a été fondée en 1975, la mission première de l'organisation était de promouvoir la coopération économique entre ses États membres, ainsi que de collaborer sur les questions de stabilité politique, de sécurité et de développement social.
L'organisme régional a toujours souligné l'importance de résoudre les conflits par la médiation et d'autres moyens diplomatiques dans cet espace communautaire.
Malgré cela, la CEDEAO a également mené une série d'interventions militaires dans les États membres par le passé, principalement dans le cadre d'efforts de maintien de la paix.
Cependant, aucune de ces interventions militaires n'a conduit à de fortes divisions au sein du bloc, comme celle proposée au Niger.
Depuis l'annonce d'une possible intervention militaire de la CEDEAO au Niger, les pays voisins, le Mali et le Burkina Faso, tous deux sous régime militaire et sous sanctions de la CEDEAO, ont formé une alliance militaire pour résister à toute intervention militaire étrangère au Niger.
Cette manifestation initiale de solidarité entre les trois pays s'est ensuite muée en un pacte de défense et une union politique appelés Alliance des États du Sahel (AES).
Compte tenu de l'histoire de la CEDEAO, marquée par des coups d'État et des réponses à l'instabilité politique générale, qu'est-ce qui a provoqué la fracture qui a conduit à sa fragmentation et à l'annonce fracassante de la sortie des pays de l'AES ?
Des sanctions strictes
À la suite du coup d'État de juillet 2023 au Niger, la CEDEAO a imposé des sanctions strictes au pays, dans le but de faire pression sur la junte pour qu'elle rétablisse un régime démocratique en réinstallant le président évincé Mohamed Bazoum.
Les sanctions, que le gouvernement militaire a qualifiées d'"inhumaines", ont perturbé le commerce, exacerbé les pénuries alimentaires et entraîné des coupures d'électricité.
Ces mesures ont entraîné des difficultés disproportionnées pour les civils, ce qui a rendu la CEDEAO encore plus impopulaire auprès d'une partie importante de la population qui a soutenu le coup d'État.
La résistance des militaires aux sanctions a encore compliqué la situation, le régime contestant les mesures devant les tribunaux.
En plus des sanctions, la CEDEAO a menacé d'intervenir militairement pour forcer le rétablissement du président Bazoum. Cette menace a incité le Mali et le Burkina Faso à manifester leur solidarité militaire avec le Niger et à déclarer qu'ils le défendraient contre toute attaque de la CEDEAO.
Cette alliance militaire a été la base de ce qui est devenu plus tard l'AES, qui a consolidé la coopération sécuritaire, économique et politique entre les trois pays.
L'une des principales raisons pour lesquelles la CEDEAO a menacé de recourir à la force militaire pour restaurer la démocratie à la suite du coup d'État au Niger est qu'elle a reçu le soutien de l'Union africaine et des puissances internationales, principalement les gouvernements de la France et des États-Unis.
Intérêts militaires
Le Niger joue un rôle crucial dans la lutte contre les insurgés et les milices, la France et les États-Unis ayant une présence militaire significative et des intérêts directs dans le maintien de la stabilité dans le pays. Les troupes françaises ont depuis été chassées du Niger par le régime militaire, alors que les relations entre Niamey et Paris se détériorent.
La France dépend fortement de l'uranium nigérien pour alimenter ses réacteurs nucléaires, qui contribuent à 70 % de son approvisionnement en électricité.
Compte tenu des intérêts militaires et commerciaux stratégiques de la France et des États-Unis au Niger, il était évident que les deux pays soutiendraient une éventuelle intervention militaire de la CEDEAO, d'autant plus que les efforts diplomatiques étaient au point mort.
En effet, la CEDEAO a été perçue comme une organisation servant les intérêts occidentaux plutôt que de favoriser la coopération régionale.
La combinaison de sanctions sévères, de la menace d'une invasion militaire et de l'exacerbation des sentiments anti-français a déclenché la fragmentation de la CEDEAO, qui a maintenant entraîné la sortie du Mali, du Burkina Faso et du Niger du bloc.
Bien que la CEDEAO ait choisi de ne pas intervenir militairement, les tensions entre l'organisme régional et les États de l'AES restent vives, ces derniers estimant que le premier favorise les intérêts occidentaux.
L'influence occidentale
Tout en percevant la position de la CEDEAO comme favorisant les intérêts occidentaux, les pays de l'AES, en particulier le Mali et le Burkina Faso, ont développé des liens plus étroits avec la Russie.
Cette évolution témoigne de l'approfondissement des intérêts géopolitiques en jeu en Afrique de l'Ouest et au Sahel, avec le risque d'une plus grande instabilité régionale.
L'armée russe a récemment mis en place son Corps africain, une force armée destinée à remplacer la société militaire privée russe (PMC) Wagner Group, qui opère au Mali et en République centrafricaine (RCA) depuis des années.
Plus de 100 soldats du Corps africain auraient été envoyés au Burkina Faso le 24 janvier 2024, ce qui constitue une avancée significative dans le renforcement des liens de sécurité entre les deux pays.
La même semaine, le secrétaire d'État américain Anthony Blinken a effectué une tournée dans trois pays d'Afrique de l'Ouest (Cap-Vert, Côte d'Ivoire et Nigeria), ainsi qu'en Angola (Afrique australe), afin d'approfondir les partenariats économiques et sécuritaires à un moment où la Russie a gagné du terrain dans la région.
Le leadership de la CEDEAO
Cette bataille géopolitique devrait creuser davantage le fossé entre les pays de l'AES et les États côtiers de la CEDEAO, dont les gouvernements sont orientés vers l'Ouest et vers la Russie.
À court terme, les implications plus larges de la sortie du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO restent à voir.
Les dirigeants de la CEDEAO ont déclaré qu'ils étaient prêts à dialoguer avec les gouvernements de l'AES, ce qui laisse entrevoir la possibilité d'une résolution diplomatique.
Cependant, l'ouverture des trois pays à des discussions diplomatiques n'a pas été confirmée.
Sans la participation des trois pays au processus de négociation, l'avancement d'accords commerciaux et d'investissement cruciaux pourrait être entravé, ce qui pourrait nuire au développement économique et à la prospérité dans toute la région.
À l'échelle continentale, la fragmentation de la CEDEAO aura également un impact négatif sur la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), qui s'appuie sur des blocs régionaux pour faciliter la circulation des biens et des services à travers le continent sans restrictions.
Compte tenu du rôle des trois pays dans la lutte contre le terrorisme dans la région, leur départ est également susceptible d'avoir des effets négatifs sur les efforts de collaboration en cours pour traiter les questions de sécurité.
Il est de plus en plus nécessaire de revoir l'approche de la CEDEAO à l'égard des coups d'État militaires, qui devrait envisager des sanctions ciblées contre les chefs de la junte, plutôt que contre la population dans son ensemble.
À court terme, il est difficile de savoir comment les trois pays enclavés du Sahel peuvent naviguer sur une nouvelle voie avec leurs voisins côtiers, en particulier face à une concurrence géopolitique permanente.
L'auteur, Mubarak Aliyu, est un analyste des risques politiques et sécuritaires spécialisé dans les régions de l'Afrique de l'Ouest et du Sahel.
Avertissement : les points de vue exprimés par l'auteur ne reflètent pas nécessairement les opinions, les points de vue et les politiques éditoriales de TRT Afrika.