Par Firmain Eric Mbadinga
Une guerre d'usure se joue en marge de la crise nigérienne entre l'ancien colonisateur, la France, et le régime militaire qui a renversé le gouvernement de l'ancien président Mohamed Bazoum lors d'un coup d'État le 26 juillet.
Depuis les événements largement médiatisés de ce jour-là, la France est montée au créneau par des déclarations répétées sur son refus de reconnaître les militaires, ponctuées de coups d'éclat qui n'ont cessé de faire monter les tensions entre les deux camps.
La défiance de Paris face à la décision du Conseil national pour la restauration de la patrie (CNSP) de retirer l'immunité diplomatique à l'ambassadeur de France au Niger et d'ordonner à la police de l'expulser est perçue comme le signe d'une nouvelle escalade dans ce bras de fer.
Les origines des tensions
Aussitôt après l'annonce du coup d'État au Niger, le dernier en date en Afrique de l'Ouest, les réactions des régimes ''démocratiques'' ont suivi le schéma habituel qui consiste en la condamnation du putsch et en une demande du rétablissement inconditionnel de Mohamed Bazoum dans ses fonctions de président.
Le 28 juillet, la France, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, a précisé qu'elle "ne reconnaît pas les autorités" issues du putsch mené par le général Abdourahamane Tchiani.
La déclaration indique sans équivoque que la France considère Bazoum, "démocratiquement élu", comme "le seul président de la République du Niger".
Parlant justement de ce coup d'État, Bamba Koté, analyste politique bissau-guinéen, estime que la prise de pouvoir par les militaires aura pris tout le monde de court, malgré l'histoire de la région en la matière.
"Il est vrai qu'avec les coups d'État au Mali, au Burkina Faso et en Guinée, certains pourraient dire que celui du Niger n'aurait pas été surprenant. Mais j'ose dire que compte tenu des mécanismes mis en place par la CEDEAO, le coup d'État a été une surprise", déclare -t-il à TRT Afrika.
"Le Niger, comme les autres pays de la région, était en proie à une instabilité, surtout depuis la mort d'Idriss Deby au Tchad, qui avait pris des mesures pour contrer l'avancée des milices dans le corridor qui englobe le Niger. Cependant, le coup d'État au Niger était inattendu, sauf peut-être pour ceux qui y vivent", ajoute le Bissau-Guinéen dans son analyse.
Barka Ba, politologue sénégalais, voit les choses différemment. "Si vous connaissez un tant soit peu l'histoire politique trouble du Niger, un putsch dans ce pays n'était pas exclu. Il y a même eu une alerte sérieuse juste avant l'arrivée au pouvoir du président Bazoum, car deux jours avant sa prestation de serment, un coup d'État avait été déjoué", explique-t-il.
''Si les événements du 26 juillet n'étaient pas totalement inattendus pour certains, le coup d'État aurait pris par surprise même les services de renseignement les mieux informés, comme la Direction générale de la sécurité extérieure française (DGSE), qui a une forte présence à Niamey'', développe l'analyste des questions politiques.
''Après tout, l'une des personnes ayant contribué à déjouer la tentative de coup d'État avant la prestation de serment de Bazoum était le général Tchiani, qui a renversé le gouvernement. Dans ce contexte, la position de la France sur le coup d'État et son refus de reconnaître la junte est claire et tout à fait normale.Il n'y a pas que la France. Il y a les Etats-Unis, la CEDEAO, l'Union africaine, et d'autres, et même les Nations Unies. Il s'agit des principes des États de droit, qui refusent la prise de pouvoir par d'autres moyens que la démocratie"", affirme Barka Ba.
Bamba Koté attribue l'"attitude particulière" de la France à l'égard de la junte militaire à l'importance géostratégique du Niger.
"Cette situation est une opportunité pour la France, dans sa chasse gardée africaine, la Russie entrant dans l'équation. La présence sur le sol africain du groupe Wagner de la Russie serait perçue comme un élément perturbateur voire inquiétant pour de nombreuses puissances déjà bien implantées au Niger."
À bien des égards, Koté considère le putsch comme une "guerre d'intérêts" et une "guerre de positionnement".
Dans les jours qui ont suivi le coup d'État, la CEDEAO a tenu une série de réunions pour décider d'une éventuelle intervention militaire au Niger afin de rétablir Bazoum dans ses fonctions de président.
Parallèlement, l'Union africaine a suspendu le Niger et la France, apportant son soutien à toutes ces mesures visant à rétablir "l'ordre constitutionnel".
Ambassade en difficulté
Dans ce contexte, la tension est montée d'un cran dans les relations entre la junte et la France avec ''le dossier de l'ambassadeur''.
En effet, Sylvain Itté, l'ambassadeur de France, a été prié de quitter le Niger dans 48 heures à la mi-aout, après avoir refusé de répondre à une invitation de la junte en vue d'expliquer la position de la France.
Pour Kerwin Mayizo, journaliste et analyste politique congolais basé à Paris, l'acrimonie croissante suggère que la junte militaire est sur le point de franchir le Rubicon.
"La France pourrait avoir des raisons de s'en prendre à la junte si des ressortissants français ou ses bases au Niger étaient attaqués ou si l'ambassade faisait l'objet de ce que l'on pourrait qualifier d'attentat. La junte marche actuellement sur des œufs", estime Kerwin Mayizo.
Ils sont en effet nombreux ces analystes et observateurs politiques qui estiment que le Niger ne doit pas céder aux "provocations" de la France.
Barka Ba pense que le refus de l'ambassadeur de France d'obéir aux injonctions du régime militaire nigérien fait partie de la "guerre psychologique" entre le CNSP et le président français Emmanuel Macron.
"Jusqu'à présent, malgré l'expiration du délai, les autorités de Niamey se sont abstenues d'expulser de force l'ambassadeur, sans doute par crainte de déclencher une épreuve de force qui pourrait mettre le feu aux poudres avec des conséquences imprévisibles", explique le politologue sénégalais à TRT Afrika.
Mayizo du Congo, lui, souligne que la France a beaucoup à perdre dans ce combat, notamment vis-à-vis de l'opinion publique africaine.
"Ce que la France doit faire maintenant, c'est négocier avec les nouvelles autorités. Il est dans l'intérêt de la France de procéder avec prudence, d'autant plus que son principal allié, les États-Unis, fait preuve d'un esprit différent", déclare-t-il.
"C'est cette attitude que la France aurait dû percevoir dès le départ, car c'est elle qui a le plus à perdre.'' conclut le journaliste et politiste congolais.
Tous les regards sont désormais tournés vers la France, qui se trouve au carrefour d'une nation africaine dont elle a autrefois contrôlé la direction d'une main de fer.