Les armées des deux pays s’amassent chaque jour un peu à leur frontières respectives. Une situation qui laisse croire qu’une guerre ouverte peut éclater à tout moment. Les tensions entre la RDC et le Rwanda ont franchi une nouvelle étape il y a quelques semaines, lorsque Kinshasa a rappelé son ambassadeur en poste à Kigali. Signifiant clairement au Rwanda son mécontentement suite au soutien apporté aux rebelles du Mouvement M23, par le pays de Paul Kagame. Ce rappel de l’ambassadeur congolais, était l’acte deux de Félix Tshisekedi, le chef de l'État congolais, qui l’avait auparavant signifié à son gouvernement, pendant un conseil des ministres. Il accusait alors ouvertement le Rwanda d’agresser son pays sous le couvert du M23, le mouvement rebelle né le 23 mars 2009 et qui est dirigé par le Rwandais, Nziramakenga Ruzandiza Emmanuel Sultan plus connu sous le nom de Sultan Makenga. Depuis ce jour, les deux pays échangent les accusations et Paul Kagame, le président rwandais, estime que la fuite en avant du Président Congolais "c'est tout simplement fuir ses responsabilités en tant que président de ce pays", avait-il lancé lors d’un forum à Doha, il y a quelques semaines. Pour comprendre donc ce conflit qui fait rage en ce moment, il faut faire un retour en arrière dans l’histoire. Ce qui expliquerait les tensions entre ces deux "frères" ennemis.
La période précoloniale
Avant la colonisation, ces deux pays étaient gérés par des rois. L'étendue de chaque royaume était déterminée de deux manières : soit par l'ordre d'arrivée d'un peuple sur les lieux, soit par sa capacité à conquérir de nouveaux territoires. "Les populations se déplaçaient donc à travers cet espace et s'installaient là où elles trouvaient du pâturage pour le bétail ou des terres à cultiver", explique à TRT Français, le professeur Jean Kambayi Bwatshia, enseignant d'histoire à l'Université de Kinshasa. "Mais en 1885" poursuit-il, "la conférence de Berlin va découper les frontières et redessiner la carte du continent africain. Il fallait donc repousser les limites de ce qu'était le royaume du Rwanda vers les volcans, les montagnes, les lacs et cours d'eau", selon lui. Les familles se sont retrouvées séparées des deux côtés de la frontière tout en gardant leurs langues, leurs cultures et leurs terres. La gestion du pouvoir local par les colons belges va contribuer aux tensions entre les peuples majoritaires, les Hutus, et les Tutsis, minoritaires. Le besoin de vengeance et des sentiments de haine commencent à apparaître, donnant lieu à des luttes sanglantes pour le pouvoir.
1959 à 1961, les premières violences
Elles ont permis à la majorité Hutu de prendre le pouvoir et forcé des membres de la minorité Tutsi à se réfugier dans des pays voisins notamment le Zaïre, actuel Congo Démocratique. Ces violences vont donner lieu à des préjugés qui ont encore cours aujourd'hui entre communautés locales, prêtant parfois des intentions d'envahir l'espace et de s’accaparer les richesses de l'autre. Elles créent une certaine méfiance entre les populations, explique l’analyste congolais, Mutua Tsilombo spécialiste des Grands Lacs.
Le Congo s'est ainsi retrouvé à héberger des réfugiés Tutsi qui avaient fui les violences ethniques de la révolution rwandaise en 1959. "L'incapacité des autorités congolaises à séparer les réfugiés civils des militaires, et à gérer cette crise a créé une situation complexe dont les conséquences se ressentent jusqu'à nos jours", poursuit Mutua Tsilombo. "Tant qu’on n’aura pas résolu ce problème, les congolais réagiront toujours face à la présence Tutsi comme étant une menace", ajoute-il.
Le rôle trouble du M23
Sa naissance remonte au CNDP, le Congrès National pour la Défense du Peuple. Entre 2006 et 2009, ce groupe armé avait réussi à déloger l'armée congolaise de plusieurs agglomérations de la province du Nord Kivu. Le 23 Mars 2009, sous la médiation internationale, le gouvernement congolais et le CNDP signent un accord qui prévoit, entre autres, le retour des réfugiés congolais vivant dans les pays voisins et la lutte contre la xénophobie dont sont victimes les congolais rwandophones. 70% des combattants du M23 sont des citoyens rwandais. A son apogée en 2013, le groupe prendra le contrôle de la ville de Goma, capitale du Nord Kivu (RDC). Il sera repoussé par l'armée congolaise hors des agglomérations qu'il contrôlait. Ses combattants se sont alors réfugiés au Rwanda et en Ouganda, où ils seront démobilisés dans des camps de réfugiés par les forces de l'ordre de ces pays respectifs. Le conflit en République Démocratique du Congo s’est également accentué après le génocide des Tutsis au Rwanda de 1994 ainsi que les événements liés au Burundi, qui ont vu des centaines de milliers de personnes d'origine ethnique Hutu fuir ces deux pays pour l'est de ce qui était encore le Zaïre.
La fragilité de l'autorité de l'Etat à l'Est du Congo
Avec une superficie de 2 345 000 km2, presque la taille de l'Europe occidentale, la RDC est le plus grand pays d'Afrique Sub-saharienne. Et cette immensité de sa superficie ne favorise pas la maîtrise du contrôle de l’ensemble du territoire par l’armée Congolaise. Les groupes armés profitent donc de cette fragilité de l'autorité de l'Etat dans ces zones pour se substituer au gouvernement et imposer leurs lois aux habitants.
En juin 2014, des villageois rwandais d’un village frontalier accusent des militaires congolais de vols des vaches sur le territoire rwandais. A la suite de cela, armée congolaise et ressortissant rwandais échangent des tirs, ce qui s’est soldé par la mort de cinq soldats congolais. Ce type d'incidents est fréquent dans la zone frontalière entre les deux pays.
Les minerais
La RDC détient un sous-sols qui place le pays parmi les plus riches du monde. Régulièrement, les organisations non gouvernementales et même l’ONU, dénoncent le trafic illégal de ces ressources du Congo vers des pays voisins, notamment le Rwanda et l'Ouganda. Dans un rapport rendu public en décembre 2020, le groupe d'experts de l'ONU avait indiqué que "des réseaux criminels ont été impliqués dans le trafic de l'étain, du coltan et du tungstène provenant de sites miniers sous occupation de groupes armés". Mais bien avant ce constat, le congrès américain avait passé au milieu de l’année 2020 le "Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act" qui est une décision, exigeant des grandes entreprises de technologie basées aux USA de déclarer l'origine de leurs minerais. Les Américains portaient de fort soupçons sur l’origine de ces minerais.
Il s’agissait "de mettre en place un système de traçabilité pour s'assurer que ces entreprises n'achètent pas de minerais qui financent l'activisme des groupes armés, aussi appelées les minerais de sang", révèle un observateur averti qui a requis l’anonymat. Des citoyens congolais et des chercheurs soupçonnent en effet le Rwanda d'encourager l'instabilité dans cette zone géographique pour affaiblir la capacité du gouvernement congolais à y contrôler le trafic des ressources naturelles (minerais, faune et flore). Le Rwanda a toujours rejeté ces accusations et réaffirmé son engagement aux mécanismes régionaux de lutte contre l'exploitation illégale des ressources.
Une force régionale est-africaine
A la suite de ces tensions permanentes entre le Rwanda et la RDC, les pays de l’Est réunis autour d’une table, décident de mettre sur pied une force armée qui sera une force offensive et non d’interposition, précise une source congolaise. "Elle sera composée d’environ 10.000 hommes prêts à toute éventualité dans le but de tenter de mettre fin à ce conflit qui perdure. Son déploiement est prévu pour d’ici le mois de juillet 2023", relève un commandant de la FRCEA, la force régionale de la communauté des Etats de l’Afrique de l’Est joint par TRT Français. Kinshasa accuse le Rwanda d'apporter un soutien au M23. Kigali quant à lui conteste, en accusant en retour Kinshasa de collusion avec des rebelles hutus rwandais implantés en RDC depuis le génocide des Tutsis en 1994 au Rwanda.
Le conflit armé qui sévit depuis le 22 mai 2022 dans la province du Nord-Kivu a déjà contraint des dizaines de milliers de personnes à fuir leur foyer face à ce qui est qualifié par les experts de "plus grande offensive des rebelles du M23 depuis une décennie" contre les troupes gouvernementales congolaises.