Par KALONJI BILOLO Trésor-Dieudonné
Une décolonisation qui ne se fit pas non sans heurts. Les rapports entre l’élite politique et l’ancienne puissance coloniale belge étant secouées par le contexte de la guerre froide et des interférences multiples qui ont pesé pour garder une mainmise constante sur les ressources naturelles du pays.
Lorsque les grandes puissances décidèrent de notre sort, sans nous, lors de la Conférence de Berlin, nous n’étions certes, pas encore un État, mais un regroupement épars de tribus régies par un savoir et de traditions que la colonisation se mit peu à peu à transformer.
Propriété privée d’un monarque voulant rentabiliser son « investissement », notre pays, désormais délimité par des frontières, se mit à tourner à plein régime pour alimenter le boom généré par la révolution industrielle via l’automobile.
Du caoutchouc teinté de sang et de larmes sur fond de sévices corporels fut à la base d’un génocide silencieux et occulté qui fit 10 millions de victimes.
La clameur publique de l’opinion internationale eut raison de cette saignée, mais ne consacra qu’un simple transfert de propriété. Désormais administrés par l’État belge, nos aïeux, privés de leur liberté étaient régis par l’arbitraire, dans un système ségrégé qui leur niait de nombreux droits naturels.
Après tant d’années de servitude, l’indépendance apparaissait donc plus qu’une libération, mais comme une réappropriation de nos identités multiples et longtemps occultées qui font de nous des Congolais.
L’identité congolaise en crise
Lors des multiples tractations entourant l’indépendance, l’erreur de notre élite naissante a été de croire que l’autodétermination politique était la voie consacrée pour assurer notre décolonisation.
C’était sans compter sur les fissures, volontairement entretenues pour cliver les Congolais et attiser des velléités dont on savait et qu’on voulait, qu’elle débouche sur des tensions.
Rébellions après rébellions, l’identité congolaise a subi de nombreuses épreuves qui ont failli émietter ce vaste territoire aux caractéristiques si particulières, peuplé de 250 ethnies et de plus d’une centaine de langues. À maintes reprises, il fut dit que ce pays était trop grand pour tenir comme un ensemble homogène et unifié.
Des affirmations auxquelles Patrice Lumumba répondra par une phrase restée célèbre : le Congo est grand, il exige de nous de la grandeur. Son héritage politique ne lui survécut pas.
Gangréné par le vice, le Congo se transforma en une société consumériste vouée aux plaisirs et au moindre effort, rappelant le concept romain "Panem et circenses" où, la population se laisse aller sans se soucier d’enjeux plus exigeants ou du destin collectif.
La conséquence de cette inertie qui dura des décennies fut la consolidation dans nos us et coutumes de ce que nombre d’intellectuels qualifièrent de "mal zaïrois" en référence à l’ère de la deuxième République.
Comment expliquer que la RDC dispose de 80 millions d’hectares de terres cultivables, mais qu’elle soit incapable de satisfaire aux besoins alimentaires de 100 millions de congolais, alors qu’en comparaison, la Chine, qui nourrit 20 % de la population mondiale avec près de 135 millions d’hectares cultivables ?
62 % des Congolais vivent avec moins de 2 dollars par jour et de nombreux défis restent à relever.
La corruption s’est institutionnalisée et est devenue une coutume à part entière dans le secteur public et privé. En 1977, une nouvelle tendance est en vogue dans les milieux du pouvoir : YIBA NDAMBU, TIKA NDAMBU (Traduction : ne volez pas tout, laissez aussi quelque chose).
La conséquence fut un système de prédation permanent, où les ressources publiques étaient régulièrement détournées.
Des raisons d’y croire
Mais le Congo, ce n’est pas que de mauvaises nouvelles. Nous avons su montrer notre résilience face aux aléas. Avec 69 milliards de dollars de Produit Intérieur Brut, la RDC est devenue la 10è économie africaine en 2022.
Ses 45 millions d’abonnés cellulaires et 22 millions d’internautes en font une terre d’opportunités pour le développement du numérique et de la future révolution portée par l’intelligence artificielle et l’Internet des Objets.
Dix millions de Congolais utilisent la monnaie électronique et de grandes enseignes posent leurs valises dans le pays dans le domaine de l’hôtellerie, du tourisme et de l’industrie.
Loin de baisser les bras, je pense qu’il faut que les Congolais fassent un réel diagnostic de ce qui n’a pas marché et de réévaluer leur rapport au monde. L’indépendance politique l’a été au détriment de nos intérêts économiques, suscitant convoitise et prédation de nos ressources.
Comme avec le caoutchouc du sang de l’ère Léopoldienne, le Coltan et d’autres minerais essentiels à la transition énergétique relative à l’adaptation aux changements climatiques, risque de nous placer de nouveau, au cœur d’une lutte d’influence dans laquelle, il nous est nécessaire de placer au cœur de ces enjeux en tant qu’acteur et non plus spectateur passif comme à la Conférence de Berlin en 1885.
La redéfinition de nos alliances avec d’autres Nations doit figurer au cœur de notre stratégie de développement dans une logique gagnant-gagnant. Le Congo a tellement à offrir au monde.
Ce que nous voulons, c’est une juste rétribution pour nos ressources sur des bases équitables. Le deuxième poumon de la planète bat dans nos forêts. La survie de l’humanité pour le siècle prochain dépend de la façon dont le monde traitera le Congo.
Cela n’est pas qu’une question qui engage l’avenir du seul Congo, mais celle de l’Afrique toute entière, car un Congo en paix et prospère, stimulera d’autres sous-régions du continent soixante-trois ans plus tard, nous célébrons ce jour, sans forcément nous réjouir.
Mais nous devons néanmoins nous dire qu’une partie de notre indépendance n’a pas encore été acquise : celle de notre mentalité. Changez de mindset et l’adapter à ce qui constitue nos réelles valeurs est ce qui nous reste à conquérir.
L'auteur, Kalonji Bilolo Trésor, est un activiste social et le vice-président de l'ONG Jeune Chambre Internationale en RDC.
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