Par l'ambassadeur Mahboub Maalim et Nuur Mohamud Sheekh
L'escalade du conflit en République démocratique du Congo (RDC) nous rappelle brutalement que les différends non résolus peuvent avoir des répercussions considérables sur la paix et la sécurité régionales, avec le risque de dégénérer en véritables guerres interétatiques.
L'Union africaine (UA) et l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), en tant que principaux mécanismes régionaux de prévention et de résolution des conflits, doivent tirer des leçons essentielles de la crise en RDC afin de limiter les risques similaires dans la Corne de l'Afrique.
L'urgence de la diplomatie préventive n'a jamais été aussi grande, car les tensions qui couvent dans la région pourraient rapidement dégénérer en conflit à grande échelle, déstabilisant un paysage déjà fragile et attirant des acteurs extérieurs aux intérêts stratégiques divergents.
La Corne de l'Afrique reste l'une des régions les plus complexes et les plus instables du continent sur le plan géopolitique, où la confluence de différends territoriaux non résolus, de fragmentation politique et d'ingérence extérieure constitue une menace sérieuse pour la stabilité régionale.
Des relations bilatérales tendues
Les principaux points chauds sont les tensions entre l'Éthiopie et l'Érythrée, les différends non résolus entre le Soudan et le Sud-Soudan, notamment le statut final de la région d'Abyei, le conflit frontalier prolongé entre le Soudan et l'Éthiopie au sujet d'Al Fashaga et les tensions croissantes concernant l'accès à la mer Rouge et au golfe d'Aden.
Par exemple, le protocole d'Abyei de 2005, qui devait déterminer le statut final de la région, n'a toujours pas été mis en œuvre.
Le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude quant aux retards dans sa mise en œuvre et à l'aggravation de la situation en matière de sécurité, exhortant les parties à respecter leurs engagements.
De même, le différend frontalier entre l'Éthiopie et le Soudan concernant Al Fashaga, un territoire stratégiquement important et riche sur le plan agricole, a donné lieu à des affrontements intermittents, ce qui a aggravé les tensions dans les relations bilatérales.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a souligné la nécessité de résoudre ces différends par le dialogue, en appliquant le droit international et en respectant la souveraineté et l'intégrité territoriale.
Des solutions diplomatiques s'imposent
La Corne de l'Afrique est de plus en plus le théâtre de rivalités géopolitiques extérieures, les puissances mondiales et régionales utilisant des outils économiques, militaires et diplomatiques pour asseoir leur influence.
Cet engagement extérieur, qu'il s'agisse de livraisons d'armes, de bases militaires ou d'investissements économiques, exacerbe souvent les divisions internes et sape les processus de paix locaux.
Le risque d'erreurs stratégiques est élevé, car les conflits d'intérêts entre les acteurs extérieurs pourraient renforcer les rivalités, rendant les solutions diplomatiques plus difficiles à trouver.
Le système continental d'alerte précoce (CEWS) de l'UA et le mécanisme d'alerte précoce et de réaction aux conflits (CEWARN) de l'IGAD ont été conçus pour détecter les menaces émergentes et y répondre avant qu'elles ne dégénèrent.
Toutefois, ces mécanismes restent limités par un financement inadéquat, une capacité technique limitée et des inefficacités bureaucratiques.
Le décalage entre les priorités nationales, régionales et continentales, qui retarde souvent les interventions efficaces, constitue un défi majeur.
La réticence des États membres à céder leur souveraineté en matière de sécurité affaiblit encore la capacité de l'UA et de l'IGAD à réagir de manière décisive.
Violations persistantes du cessez-le-feu
Si le groupe des sages de l'UA et le secrétariat de l'IGAD ont joué un rôle crucial dans les efforts de médiation passés, leur impact est souvent compromis par les chevauchements institutionnels, l'absence de mandats clairs et les divisions politiques entre les États membres.
Le principe de subsidiarité, qui vise à clarifier les rôles entre l'UA et les communautés économiques régionales (CER) comme l'IGAD, reste contesté, ce qui entraîne une duplication des efforts et de l'inertie.
Il en résulte une approche réactive plutôt que proactive de la prévention des conflits.
Même dans les situations de conflits intra-étatiques, l'accord revitalisé de 2018 sur la résolution du conflit au Soudan du Sud (R-ARCSS), facilité par l'IGAD, a été confronté à d'importants problèmes de mise en œuvre, avec des violations persistantes des accords de cessez-le-feu et des retards dans les réformes politiques.
De même, l'accord de cessation permanente des hostilités pour l'Éthiopie (2022), négocié sous les auspices de l'UA, n'est pas encore parvenu à une stabilisation complète, ce qui démontre les limites des cadres de médiation existants.
La guerre civile en cours au Soudan est peut-être l'exemple le plus flagrant de la perte d'influence de l'UA et de l'IGAD ; malgré de nombreux efforts diplomatiques, aucune des deux organisations n'est parvenue à faire respecter un cessez-le-feu durable ou à protéger les civils contre les atrocités de masse.
Risques pour la capacité collective de l'Afrique
L'IGAD a également eu du mal à jouer un rôle de médiateur entre l'Érythrée et l'Éthiopie, bien que ces deux pays soient membres de l'organisation.
Les tensions persistantes entre l'Érythrée et Djibouti, un différend qui n'attire plus l'attention de la communauté internationale, illustrent les lacunes d'une diplomatie préventive soutenue.
En l'absence d'un levier institutionnel plus fort, ces différends non résolus risquent de raviver les confrontations armées.
L'impératif d'une diplomatie décisive, coordonnée et préventive dans la Corne de l'Afrique n'a jamais été aussi urgent.
L'Union africaine et l'IGAD doivent transcender l'inertie institutionnelle et l'hésitation politique pour affirmer leur mandat en tant que principaux gardiens de la paix et de la sécurité régionales.
Il faut pour cela renforcer les systèmes d'alerte précoce, améliorer les capacités de médiation et obtenir une plus grande adhésion des États membres pour faire respecter les accords de paix et désamorcer les tensions avant qu'elles ne dégénèrent en conflits interétatiques.
Le principe des solutions africaines aux problèmes africains doit être plus qu'une rhétorique, il doit être mis en œuvre avec la volonté politique, les ressources financières et la détermination institutionnelle nécessaires pour faire face au paysage sécuritaire complexe de la région.
Si l'on n'agit pas de toute urgence, on risque non seulement de déstabiliser la région, mais aussi d'éroder la capacité collective de l'Afrique à façonner son propre avenir en matière de sécurité dans un monde de plus en plus multipolaire.
Les auteurs : L'ambassadeur Mahboub Maalim est un diplomate kenyan et un ancien secrétaire exécutif de l'IGAD. Nuur Mohamed Sheekh est analyste géopolitique.
Clause de non-responsabilité : les opinions exprimées par l'auteur ne reflètent pas nécessairement les opinions, les points de vue et les politiques éditoriales de TRT Afrika.