Emmanuel Macron effectue son dix-huitième déplacement en Afrique depuis le début de son premier quinquennat en 2017. Il s'y rend deux jours après avoir exposé depuis Paris sa stratégie africaine pour les quatre ans à venir. Prenant acte d'un ressentiment croissant envers la France, ex-puissance coloniale, Emmanuel Macron a appelé lundi à "bâtir une nouvelle relation, équilibrée, réciproque et responsable" avec l'Afrique.
Annonçant une réduction de la présence militaire française, devenue l'incarnation de l'héritage colonial aux yeux d'une jeunesse avide de "nouvelle" indépendance. "L'Afrique n'est pas un pré-carré", a martelé le président français, prônant une "posture de modestie et d'écoute" dans le prolongement de son discours de Ouagadougou en novembre 2017. Pourtant, c’est bel et bien ce “pré-carré” qui permet à la France d’exister internationalement, comme l’explique à TRT français, le journaliste Remi Carayol auteur du livre “le Mirage Sahélien - La France en guerre en Afrique”.
Le président français dit vouloir désormais s'appuyer sur la société civile et les diasporas africaines pour tourner la page de la "Françafrique", longtemps faite de liens troubles et de soutien à des potentats locaux. "Notre intérêt, c'est d'abord la démocratie", a-t-il martelé, tout en promettant de "défendre les intérêts" économiques français là où nombre de pays mettent en place des stratégies commerciales différentes avec l’Afrique. Comme par exemple la Chine, la Turquie, ou encore la Russie, dont les relations bien moins chargées du lourd passé colonial de la France, semblent plus facilement acceptées par les populations locales.
Et c’est bien là où le bas blesse. Les diplomates français accusent notamment la Russie de manipuler les habitants contre la France, ce que réfute le Kremlin qui grignote toutefois du terrain sur le continent. A l’image de cette manifestation en RDC lors de la visite à peine entamée, du président français. Quelques dizaines de jeunes Congolais, drapeaux russes à l’appui, ont scandé des slogans contre le chef d'État français et accusé la France de soutenir le Rwanda face à Kinshasa dans la rébellion qui fait rage dans l'est du pays.
La montée du ressentiment "anti-français", une rupture en plusieurs actes
Si dans la lignée de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron a longtemps pensé pouvoir maintenir l’influence française dans ses anciennes colonies, le dernier revers du Burkina Faso, lui a prouvé le contraire. Dernier échec en date de l’opération Macronienne de “normalisation” des relations entre la France et l’Afrique, le Burkina Faso enjoint la France à retirer ses troupes militaires dans les plus brefs délais. Après la Centrafrique, le Mali, c'était au tour des autorités burkinabè d’officialiser leur demande de rupture nette avec la présence militaire française sur son sol.
Début mars, le ministère burkinabè des Affaires Étrangères a adressé un courrier à Paris dénonçantl’accord d’assistance militaire technique conclu à Paris le 24 avril 1961”. Là encore, le Burkina donne "un délai d'un mois" suivant la réception de ce courrier pour "le départ définitif de tous les personnels militaires français en service dans les administrations militaires burkinabè". Cette nouvelle demande fait suite à plusieurs épisodes de rupture entre les deux pays.
Début janvier, la ministre des affaires étrangères du Burkina Faso avait demandé à Paris de changer “d’interlocuteur”, selon les informations de Jeune Afrique, et souhaité voir le départ de l’ambassadeur de France Luc Hallade, rappelé depuis par la France pour “consultations”. Quelques semaines avant, c’est la radio française RFI qui avait été suspendue des antennes burkinabè, accusée par les autorités du pays de diffuser de fausses informations dans le but de déstabiliser le gouvernement au pouvoir.
La méfiance vis-à-vis des médias français et le ressentiment vis-à-vis des autorités françaises ne datent évidemment pas d’aujourd’hui. Les Burkinabè, comme de nombreux Africains, n’oublieront jamais le rôle trouble de Paris dans l’assassinat de leur héros, Thomas Sankara, président révolutionnaire et anti-impérialiste tué en 1987 et à qui le Burkina Faso doit son nom, “la patrie des hommes intègres”. Ils et elles ne peuvent pas non plus effacer de leur mémoire, le soutien sans faille du pays des droits de l’homme à Blaise Compaoré, au pouvoir pendant vingt-sept ans, complice de crimes et accusé d’avoir commandité le meurtre de Thomas Sankara, pour lequel il a été condamné à la prison à perpétuité en avril 2022.
Au lourd passé colonial de la France se sont ainsi ajoutées au fil des années les multiples ambivalences, de plus en plus pointées du doigt à l’ère du numérique par des populations africaines agacées : d’un côté des discours internationaux moralisateurs en matière de droits humains, et de l’autre une grande proximité avec des dirigeants très contestés par les sociétés civiles favorisant les intérêts étrangers au détriment de ceux des populations locales.
Que se passe-t-il aujourd’hui avec la présence française en Afrique ?
Pour le journaliste Remi Carayol, spécialiste des questions africaines notamment la zone du Sahel, on assiste aujourd’hui à “une forme de colère et de rejet de la politique française en Afrique de l’Ouest. Les gens rejettent tout ce qui peut symboliser la présence de la France dans ces pays et ce qui symbolise aujourd’hui principalement la France : Ce sont ses bases militaires mais aussi le Franc CFA”.
Le journaliste rappelle que “la première raison qui est invoquée par des proches du pouvoir actuel, c’est la question de la souveraineté. Donc, quelque part, c’est dans l’ordre des choses que de demander à ce qu’une armée étrangère, qui plus est celle de l’ancienne puissance coloniale quitte le territoire burkinabé, Il n’y a rien de vraiment surprenant”. En effet, rien d’extraordinaire à ce que des autorités exigent le départ des troupes militaires étrangères. “Par ailleurs, les opérations que menait la force Sabre, c’est-à-dire les opérations spéciales françaises qui sont installées à Ouagadougou, ne concernaient finalement que très peu le territoire burkinabé” précise-t-il.
Mais ce qui inquiète aujourd’hui les autorités françaises, c’est que ces demandes se multiplient sur le continent. “Certes, on a là quelque chose d’assez spectaculaire, entre ce qui se passe au Mali, ce qui se passe au Burkina, deux pays qui sont des anciennes colonies françaises, qui ont toujours été plus ou moins proches de la France, même s’il y a eu des périodes dans l’histoire où il y a eu des moments de tension que ce soit au Mali ou au Burkina. On se souvient du Burkina sous Sankara et au Mali sous Modibo Keïta, le premier président du Mali, c’était tendu quand même avec la France.” rappelle le journaliste qui note “une rupture militaire et diplomatique qui n’est pas seulement le fait des dirigeants, mais qui est aussi quelque part le fait d’une partie des populations. Donc il y a ce désaveu, cette colère contre la France”.
Que les populations africaines aient développé un rejet de la présence française n’a en réalité rien de choquant. Cette ligne politique entre ingérence et arrogance a contribué à dégrader l’image de la France vis à vis des nouvelles générations africaines. “C’est une contestation de la politique menée par la France dans ses anciennes colonies depuis plusieurs années”, estime ce journaliste. “Si on veut parler de sentiment, ce sentiment, il existe. Et il est de plus en plus fort et il aboutit même à des dérives, à des appels à des violences physiques contre des Français ou à des théories conspirationnistes qui veulent faire croire que l’armée française est là non pas pour lutter contre les insurgés mais même pour les aider. Ce qui est très difficile, c’est de jauger en fait, quelle proportion de la population, épouse en fait ce rejet de la population française.”
La fable des “gentils” Français et des “méchants” Russes ne passe pas
Ce qui est intéressant à analyser en revanche, c’est le récit politico-médiatique voulant imputer la responsabilité de la montée du rejet de la France, à la propagande russe. Ainsi, dans une interview donnée à TV5 Monde en novembre 2022, lors du sommet de la francophonie à Djerba, le président français dénonçait le “projet de prédation” de la Russie en Afrique. “Plusieurs puissances, qui veulent bâtir une influence en Afrique, développent cela pour abîmer la France, abîmer sa langue, faire douter, mais surtout aller chercher des intérêts”, a dénoncé le chef de l’Etat français, ajoutant “Cette perception, elle est alimentée (…) par d’autres, c’est un projet politique. Je ne suis pas dupe, beaucoup d’influenceurs, y compris parfois des gens sur vos plateaux, sont payés par les Russes. On les connaît.” Ainsi dans les éléments de langage des autorités françaises, ce “désamour” des africains pour la France ne serait dû ni à son passé ni à son présent colonial, mais à une campagne de désinformation russe, anti-française sur le continent. Une sémantique que l’on peut également trouver depuis plusieurs mois sur des médias français qui diffusent de leur côté de nombreux sujets alarmistes quant à la propagande, les campagnes d’influence, les risques pour les intérêts français en Afrique. Et l’un des sujets le plus récurrents ces dernières semaines c’est la dangerosité et la férocité du groupe Wagner.
Que se passe-t-il avec Wagner ?
Ce groupe “mercenaire Wagner”, est une société militaire privée russe composée d’anciens combattants, de paramilitaires et de vétérans de l’armée soviétique. Ils ne représentent pas officiellement la présence militaire de la Russie en Afrique, au même titre que les bases militaires françaises, mais officieusement, ils participent à l’implantation ou la réimplantation des intérêts géostratégiques de la Russie en Afrique.
Concrètement, ils sont aujourd’hui payés par des représentants africains pour assurer leur sécurité. “S’il n’y avait pas l’offre russe, il n’y aurait pas de volonté d’émancipation de la part des pays concernés”, explique Amzat Boukari. A la question de savoir si les demandes de retrait des troupes françaises en Afrique sont systématiquement liées à la présence russe, l’historien acquiesce, arguant que la raison n’en est pas qu’il s’agit d’une exigence russe, comme le laissent entendre certains diplomates occidentaux, mais plutôt parce que cette présence rend possibles ces demandes.
“De manière factuelle, les demandes de retrait des troupes françaises semblent systématiquement liées à une présence russe parce que, dans la plupart des cas, il s’agit de changer de partenaire, comme l’ont dit les autorités concernées au Mali, ou en Centrafrique. Il s’agit d’un changement de partenaire et on peut penser que s’il n’y avait pas l’offre russe, il n’y aurait pas de volonté d’émancipation de la part des pays concernés. Pour les pays concernés, si on prend les anciennes colonies françaises on n’est pas encore dans une situation d’une souveraineté géostratégique en tant que telle.”
Aujourd’hui, on estime que la société privée russe Wagner serait présente dans au moins onze pays africains. Et selon l’ONU, le groupe aurait commis des “crimes de guerre et des crimes contre l’humanité”. Ils sont soupçonnés par les experts onusiens d’exécutions, de viols, de violences sexuelles et de pillages. Toutefois, le problème c’est que l’image de l’occident, y compris de l’ONU, a été tellement ternie, ces dernières années, par des accusations similaires rarement suivies d’effets et qui risquent de n’avoir que peu d’incidence sur l’opinion publique. Elles viendront s’ajouter à la liste des exactions jamais jugées, commises sur le sol africain par une puissance étrangère.
Ce fut le cas, par exemple, des accusations de viol sur des femmes et sur des mineurs par des casques bleus en Centrafrique. Selon une enquête du journal “Le Monde” qui remettait en cause le rapport bâclé de l’ONU concernant plusieurs accusations de viol par des soldats de l’ONU, certains passages faisaient état d’actes de barbarie.
Des victimes racontaient comment des soldats de l’ONU, dont notamment des Français, auraient violé des enfants mineurs en échange de nourriture. D’autres racontaient comment des soldats français leur avaient imposé des rapports sexuels avec des chiens. Des exactions abominables rappelant par ailleurs celles commises par l’armée française durant la guerre d’Algérie, comme l’avait documenté l’historien algérien Daho Djerbal dans son livre “Souvenirs d’un rescapé de la Wilaya 3” où il décrivait comment dans le camp de Ksar Ettir près de Sétif, des chiens avaient été dressés pour violer les prisonniers.
Plus récemment, une autre enquête du journal britannique The Guardian avait dévoilé que plusieurs mineurs, dont certains âgés de 9 ans, avaient été victimes de viols par des soldats français. Plusieurs de ces affaires concernant des soldats français ont été classées sans suite par le parquet de Paris.
Les accusations de violences attribuées à la société Wagner, aussi terribles soient-elles, émanent malheureusement de pays qui n’ont pas géré comme il se doit les accusations concernant leurs propres armées. L’absence de transparence, de procès équitable et de réparation auprès des victimes ont rendu toute critique des exactions russes inaudibles. “Moi, je connais des camarades qui disent très clairement que ce que fait Wagner, c'est pas forcément joli joli, mais le dire c'est passer comme étant pro-occidental alors qu'on peut avoir un regard critique sur Wagner. On peut dire qu'il y a des choses qui ne sont vraiment pas acceptables. Mais l'intensité de la propagande occidentale fait que finalement on se dit qu’on est entre le marteau et l'enclume, et qu'il vaut mieux laisser cette guerre médiatique à ceux qui ont intérêt à la mener et se concentrer sur les priorités”, indique Amzat Boukari.
Quant aux accusations de pillage par les membres de la société Wagner, là encore, bien que réelles, elles restent inaudibles lorsqu’elles émanent de pays qui ont eux-même participé au pillage des ressources africaines pendant des années. Pour l’historien Boukari, cette communication visant les populations africaines est un double échec : “ce n'est pas la manière dont les Occidentaux vont présenter Wagner comme étant une force de pillage qui va changer les choses, puisque les populations, les états, les opinions ont déjà l'habitude depuis très longtemps de voir des occidentaux intervenir avec des logiques de pillage”. Selon lui, le rejet vis-à-vis de l’occident, et notamment la France, est tel que certains commentateurs africains s’abstiennent d’émettre des critiques sur la présence russe sur leur continent par opposition à celui-ci. “Cet impact des médias occidentaux vis-à-vis de Wagner ou vis-à-vis de la Russie bloque un peu les critiques que les Africains pouvaient avoir eux-mêmes vis-à-vis de la Russie”. La bataille de communication était perdue d’avance pour la France dont la réputation d’ingérence militaire la précède “La différence peut être avec la Russie, c'est que de la part de la France, dans sa présence militaire, il y a une dimension d'ingérence, d'interventionnisme beaucoup plus forte. Il y a un complexe colonial qui est beaucoup plus affirmé, beaucoup plus marqué.”
La manière forte vs le soft power
Pour l’historien, la France n’est pas vaincue pour autant. Elle maintient ses stades d’avance, mais “force est de constater que sa présence n'est plus vue comme étant réellement utile du point de vue des populations, en termes de transformation de leur quotidien. Il y a donc un basculement assez intéressant qui se fait aujourd'hui, mais aussi une volonté de plus en plus marquée de prendre les choses en main du côté africain.Je pense aux insuffisances criantes de la France et au fait qu'on n'a pas vu de changements survenir aussi bien sur les situations sécuritaires en tant que telles que sur les projets de développement économique où la Chine et la Russie sont plus sont plus efficaces.”
Aujourd’hui, la Russie ne détient que 2,4% de parts de marché sur le continent, contre 19,6% pour la Chine, de loin le premier fournisseur de l’Afrique, 5% pour les Etats-Unis, la France et l’Inde. Mais là où l’occident et notamment la France sont en retard, c’est justement sur leur capacité à comprendre les évolutions des sociétés africaines et à traiter leurs populations d’égal à égal. Ce que font bien mieux leurs rivaux internationaux, notamment sur le plan des échanges commerciaux avec l’Afrique.
Et pour accroître sur le long terme leurs échanges avec l’Afrique, certains pays ont mis en place des politiques d’accueil et de formation des futures élites, leaders et cadres africains. Pendant qu’en France les débats qui tournent autour de l’augmentation du prix des universités pour les étudiants étrangers ou la politique agressive de l’attribution des visas, ont contribué à ternir l’image de la France auprès des étudiants africains, la Russie, de son côté, bénéficie d’une image bien plus positive grâce à une politique de soft power éducative héritée de la guerre froide.
À la fin des années 1950, la majorité des pays maghrébins et subsahariens qui voulaient en finir avec la tutelle coloniale de l’occident ont décidé de renforcer leurs relations diplomatiques avec l’URSS, notamment en matière de formation. En 1957, le festival mondial de la jeunesse et des étudiants qui a eu lieu à Moscou a été le point de départ du rapprochement entre la Russie et plusieurs délégations africaines. Trois ans plus tard, l’université Patrice Lumumba, (du nom du leader décolonial congolais assassiné) dédiée à “l’amitié des peuples” et aux étudiants étrangers est créée. Des dizaines de milliers d’étudiants et de militants des mouvements de libération africains iront ainsi étudier chez les Soviétiques. “La Russie a continué de former des étudiants africains qui sont retournés en Afrique avec un versant pro-russe et qui, en occupant des positions stratégiques au moment par exemple, de choisir des marchés entre une entreprise russe, française, australienne, eh bien ils vont choisir justement une entreprise russe en raison des liens qui sont forgés de la même manière que ceux qui ont été formés en France par exemple choisir un partenaire français”, fait remarquer l’historien Amzat Boukari. “Ce sont des stratégies que d'autres pays comme la Turquie par exemple, sont aussi en train de développer en formant des étudiants qui vont ensuite revenir en Afrique et privilégier des entreprises turques. Donc on est, je dirais, dans de l’influence. On est dans de l'ouverture de marché économique.”
Fin de règne pour la Françafrique ?
Notre ère va-t-elle assister à la fin du règne de “l’influence française” en Afrique ? Rémi Carayol ne tranche pas: “On ne sait pas comment ça va évoluer, est-ce que le feu qui couve aujourd’hui au Burkina et au Mali mais aussi au Niger ou au Tchad, va se répercuter sur les autres pays que sont la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Gabon, le Congo, peut-être ou peut-être pas. On ne sait pas. C’est encore trop tôt pour le dire. Mais pour moi aujourd’hui on est très très loin de voir la France perdre son influence sur le continent Africain.” insiste Rémi Carayol.
“D’ailleurs, il suffit d’observer la carte de la présence militaire française. Elle est encore très très importante, même si elle n’est plus au Mali, même si elle n’est plus au Burkina Faso, elle dispose encore de 3000 hommes au Sahel. Elle dispose encore de ses bases historiques à Dakar, Abidjan mais aussi à Libreville et à Djibouti, sans compter Mayotte. Donc elle est encore très très loin d’avoir perdu cette influence là. Il faut quand même rappeler que c’est quelque chose de très exceptionnel, la présence militaire d’une ancienne puissance coloniale, dans ses anciennes possessions”, ajoute le journaliste.
Finalement pour le journaliste, il s’agit davantage d’un enjeu d’influence géostratégique. « L’enjeu pour la France n’est pas finalement de sauver ces Etats de la prédation de la Russie, ce n’est pas réellement le problème. L’enjeu, c’est de conserver son influence sur ces États. Pourquoi la France a tenu à conserver une sorte de mainmise sur ses anciennes colonies au moment des décolonisations et encore aujourd’hui même si c’est un peu plus diffus aujourd’hui ? Bien sûr qu’il y avait des intérêts économiques, mais par exemple ils sont hautement plus importants dans des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Gabon par exemple, qu’au Mali ou au Niger. Ici l’intérêt, il est géostratégique : cette influence, ce pré carré entre guillemets, permet à la France d’exister à l’ONU, et lui donne un rôle que finalement elle ne mériterait peut être plus si elle n’avait pas ce pré carré. », explique le journaliste Remi Carayol.
Il précise que lorsque la France est intervenue au Mali en 2013, c’était d’abord à la demande du Mali. “Mais aussi parce que ça lui permet de montrer aux membres de l’ONU notamment qu’elle continue de peser sur les affaires mondiales. Si la France ne pèse plus sur son ancien pré carré, finalement elle ne pèse plus grand chose et elle n’a plus aucune raison d’être membre du conseil de sécurité, en tout cas pas plus que des pays comme l’Allemagne, le Brésil, ou l’Inde. Donc cet enjeu là, il ne faut pas le minorer, il est très important. Et à mon sens au Sahel cet enjeu là est plus important que l’enjeu économique.”
Et de conclure “l’histoire contemporaine de ces soixante dernières années a montré qu’à l’évidence, si la France conservait son influence dans ces pays, ce n’était pas au bénéfice des populations, c’était pour défendre ses intérêts à elle, et les intérêts des élites au pouvoir des pays concernés. Donc, non, l’histoire ne plaide pas en sa faveur”. Mais, il tient à nuancer son propos. “Après il ne faut pas non plus tout voir en noir et blanc, il y a des responsables français qui estiment sincèrement que la France a un rôle positif à jouer pour venir en aide notamment aux populations qui sont aujourd’hui au joug des groupes rebelles, il y a de fait l’intervention militaire, moi je parle d’échec et pour moi c’est un échec quasiment total. Mais il faut reconnaître que parfois ça a pu venir en aide aux populations locales qui étaient attaquées ou menacées par les groupes rebelles. Tout n’est pas à jeter dans cette histoire.”
Pour en savoir plus : Entretien avec l'historien Amzat Boukari