Par Omar Abdel-Razek
La poursuite de l'escalade militaire en mer Rouge a de profondes conséquences pour l'économie, la sécurité et l'environnement du continent africain.
Si une poignée de pays africains peuvent en tirer profit, la majorité d'entre eux sont sur le point de subir les conséquences d'une inflation élevée et d'une dégradation de l'environnement.
Sur les huit pays riverains de la mer Rouge, cinq sont africains. Cependant, le traitement médiatique et politique actuel de la crise ignore les pertes subies par l'Afrique.
L'attention se porte plutôt sur les répercussions économiques potentielles, pour les grandes économies et les consommateurs occidentaux, de l'interruption de la navigation sur l'une des voies navigables les plus fréquentées au monde.
La crise a débuté en novembre lorsque les Houthis du Yémen ont commencé à prendre pour cible les grands navires et les cargos traversant le détroit de Bab-al-Mandab, d'une largeur de 32 km, en réponse à la guerre israélienne en cours contre Gaza.
Des centaines de cargos et de pétroliers ont été contraints de contourner l'Afrique, ce qui a rallongé leur voyage de 12 jours et de 6 000 kilomètres en moyenne.
Il en résulte des coûts supplémentaires en carburant et en primes d'assurance, qui seront inévitablement prélevés dans les poches des consommateurs et qui constituent une menace pour l'économie mondiale.
On estime que jusqu'à 15 % du commerce mondial, d'une valeur d'environ 1 000 milliards de dollars, transite par la mer Rouge, en passant par le canal de Suez en Égypte.
La position de l'Égypte dans cette crise est donc particulièrement complexe, étant donné que le commerce de la mer Rouge constitue une source essentielle du revenu national du pays.
Rien qu'en 2023, les revenus du canal de Suez ont contribué pour plus de 10 milliards de dollars à l'économie égyptienne.
Cependant, des données récentes de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) révèlent une baisse stupéfiante de 42 % des recettes au cours des deux derniers mois, une tendance qui pourrait s'aggraver si l'escalade militaire se poursuit.
Le moment ne pourrait être plus critique pour l'Égypte, le pays le plus peuplé du Moyen-Orient et l'une des plus grandes économies d'Afrique.
L'économie égyptienne est confrontée à de graves pénuries de devises fortes, essentielles au paiement de ses importations considérables et à l'escalade de sa dette extérieure, qui a dépassé 160 milliards de dollars.
Sécurité de la mer Rouge :
Mais le dilemme de l'Égypte dans ce contexte va au-delà des préoccupations économiques.
Historiquement, la mer Rouge revêt une importance stratégique significative pour la sécurité de l'Égypte depuis l'époque de la reine Hatchepsout, lorsqu'elle a envoyé une expédition commerciale cruciale au pays de Punt (probablement la Somalie d'aujourd'hui) entre 1479 et 1458 avant notre ère.
Pendant la guerre d'octobre 1973, l'Égypte a bloqué le détroit de Bab al-Mandab pour empêcher l'approvisionnement militaire d’Israël.
Toutefois, Le Caire s'abstient actuellement d'approuver les actions militaires occidentales contre les Houthis, à savoir l'opération "Prosperity Guardians" menée par les États-Unis, afin de ne pas paraître indifférent à la cause première du conflit, la guerre contre Gaza.
D'autres pays africains riverains de la mer Rouge font face à leurs propres défis. Le Soudan est aux prises avec des conflits civils internes, tandis que la Somalie doit faire face à sa récente crise avec l'Éthiopie, suite à la signature par cette dernière d'un protocole d'accord avec le Somaliland sécessionniste.
Ce protocole accorde à l'Éthiopie un bail de 50 ans sur 20 km de côtes, en échange de la reconnaissance officielle de l'indépendance du Somaliland.
L'offre de l'Éthiopie s'est heurtée à l'opposition de plusieurs pays, dont l'Égypte, l'Érythrée et l'Arabie saoudite, ce qui complique encore la sécurité de la mer Rouge.
La situation actuelle et ses répercussions soulignent l'absence des pays africains riverains de la mer Rouge dans les accords de sécurité maritime concernant cette voie d'eau vitale.
Depuis près de trois décennies, la sécurité de la mer Rouge échappe au contrôle des pays africains qui la bordent (Égypte, Soudan, Somalie, Érythrée et Djibouti), ce qui a incité de nombreux pays à se disputer le contrôle de ses ports à des fins militaires et commerciales.
La crise actuelle pourrait exacerber cette situation, la communauté internationale étant susceptible de concevoir une nouvelle approche pour faire face aux menaces militaires en mer Rouge, à l'instar de la réponse apportée à la suite de l'émergence de la piraterie en Somalie, ce qui pourrait conduire à un renforcement de la présence étrangère et des cadres juridiques dans la région.
Peu de gains, beaucoup de pertes
Selon le géant du transport maritime A.P. Moller-Maersk A/S, le détournement des navires autour du cap de Bonne-Espérance pourrait offrir des avantages temporaires à certains ports d'Afrique du Sud, de Namibie et de l'île Maurice.
Toutefois, les experts avertissent que ces avantages pourraient être contrebalancés par le tribut plus important que l'Afrique devra probablement payer.
Earnest & Young prévoit une augmentation potentielle de 0,7 % de l'inflation mondiale en 2024 si les perturbations persistent, ce qui aurait un impact sur les importations africaines et les paiements de la dette.
Les pays d'Afrique de l'Est, qui dépendent fortement des importations de céréales et de produits de base en provenance de l'UE et des pays de la mer Noire, devraient supporter une charge importante, les coûts de fret pouvant augmenter d'environ 8 dollars par tonne, comme l'indique le Conseil international des céréales.
Les pertes subies par l'Afrique à la suite du conflit de la mer Rouge pourraient aller au-delà des pertes économiques et inclure des dommages environnementaux.
Le risque de marée noire résultant de frappes potentielles sur des pétroliers lors d'actions militaires constitue une menace importante pour la vie marine dans la région.
L'écosystème récifal de la mer Rouge, vital pour la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance de 28 millions d'habitants de la côte, est en danger.
Le nombre croissant de grands navires et de pétroliers naviguant autour de l'Afrique nécessite des arrêts pour le soutage ou le ravitaillement en carburant.
Cependant, la plupart des ports africains ne sont pas bien équipés pour accueillir des navires aussi imposants et sont confrontés à des problèmes de congestion et à des installations insuffisantes, comme l'a rapporté l'agence de presse Reuters.
Cette situation accroît donc la probabilité d'accidents tels que des naufrages ou des déversements de pétrole.
Les ramifications de la crise de la mer Rouge s'étendent au-delà des pays adjacents et ont un impact sur l'ensemble du continent.
L'Union africaine devrait adopter un rôle diplomatique plus actif pour atténuer ces risques, car la sécurité alimentaire et environnementale de l'Afrique ne devrait pas être uniquement déterminée par les grandes puissances et les puissances régionales.
L'auteur, Omar Abdel-Razek, est sociologue et ancien rédacteur en chef de BBC Arabic.
Avertissement : les opinions exprimées par l'auteur ne reflètent pas nécessairement les opinions, les points de vue et les politiques éditoriales de TRT Afrika.