Par Mazhun Idris
La bataille de l'Afrique pour se libérer de l'emprise du néocolonialisme est loin d'être terminée, mais 2025 pourrait encore chanter un hymne à l'impérialisme français, alors que les pays francophones d'Afrique de l'Ouest s'éloignent résolument de Paris.
Rien n'accentue la déconfiture de la France face à cette évolution que l'apparente crise de nerfs diplomatique du président Emmanuel Macron en réponse aux États du Sahel qui tournent le dos à l'ancien colonisateur.
« Nous attendons des remerciements pour avoir arrêté les (terroristes) au Sahel », a déclaré Macron le 6 janvier, faisant allusion aux troupes françaises qui, pendant des années, ont assiégé différents pays du Sahel sous prétexte de renforcer la défense de ces pays contre les insurgés.
« Aucun de ces pays n'aurait d'État souverain si les troupes françaises n'avaient pas été déployées dans cette région », a-t-il ajouté.
Les remarques désobligeantes de Macron ont suscité l'indignation et la condamnation sur le continent, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko reprochant à la France sa longue histoire de ce qu'il appelle la « déstabilisation des pays africains ».
Le professeur Patrick Loch Otieno Lumumba, avocat-activiste kényan, qualifie le président Macron de représentant « le pire des néocolonisateurs ».
La lente décomposition de l'impérialisme
La tension sur les partenariats militaires et économiques de la France avec divers pays africains est marquée par la montée du sentiment anti-français et la fin des bases militaires de l'ancien colonisateur européen dans la région.
L'audace de Macron de provoquer la région avec des salves qui vont à l'encontre du but recherché a clairement aggravé la situation pour la France.
Le président français ne s'est pas contenté d'offenser le Sahel africain pour avoir prétendument « oublié » de remercier l'armée française. Il a ensuite mis à nu l'insécurité de la France face au choix stratégique de l'Afrique.
La tendance des pays africains, en particulier au Sahel, à expulser les troupes françaises ne semble pas vouloir s'arrêter.
Les troupes françaises ont dû se retirer du Mali, du Niger et du Burkina Faso à la suite de coups d'État militaires successifs. Au Tchad, au Sénégal et maintenant en Côte d'Ivoire, les forces françaises ont amorcé leur retrait.
Plusieurs pays du Sahel ont choisi d'établir des partenariats positifs avec d'autres puissances mondiales désireuses de s'engager avec équité, respect et dans le cadre de partenariats mutuellement bénéfiques.
La Turquie, la Russie et la Chine ont depuis renversé la France sur le plan diplomatique. Dans la plupart des cas, les nouveaux partenaires renforcent les capacités militaires de l'Afrique contre ses ennemis intérieurs, tout en proposant des programmes de développement axés sur l'indépendance économique et le contrôle optimal des ressources.
« La révolution sahélienne est un coup de pied dans les dents que la France n'a pas anticipé », affirme le Pr Lumumba à TRT Afrika, ajoutant que la décadence de la France impérialiste a commencé sous Macron.
Voir à travers les subterfuges
Dans une déclaration officielle du 7 janvier, le chef du gouvernement sénégalais Sonko a expliqué avec force pourquoi les prétentions de Macron à aider à assurer la sécurité et la stabilité des pays africains sont une mascarade.
Citant le cas de la Libye, Sonko a déclaré que la France n'avait pas « la capacité et la légitimité » d'assurer la sécurité ou la souveraineté de l'Afrique.
Même si le président Macron prétend le contraire, la France est en effet sur le recul en Afrique de l'Ouest, car sa machine militaire néocoloniale perd de la vitesse et de la bonne volonté.
Depuis qu'ils ont chassé les bases militaires étrangères de leurs frontières, le Mali et le Burkina Faso ont annoncé des gains militaires contre les terroristes qui ont passé des années à saper leur sécurité.
Arikana Chihombori, ancien ambassadeur de l'Union africaine aux États-Unis, se souvient que la présence française dans la région a créé plus de problèmes qu'elle n'en a résolus.
« J'étais au Burkina Faso lorsqu'un général m'a dit : Monsieur l'Ambassadeur, pour trois soldats, nous avions un fusil. Et ce fusil était emprunté. De temps en temps, les soldats devaient rendre ces armes. Pour l'équipement, ils devaient faire une demande écrite à la France. Neuf fois sur dix, cette demande était refusée. Mais devinez qui n'avait aucun problème à être pleinement armé ? Les terroristes ».
Selon Mme Chihombori, si le président de transition Ibrahim Traoré a réussi à éliminer le terrorisme au Burkina Faso, c'est parce qu'il s'est débarrassé des Français. « Les Français finançaient et équipaient les terroristes », explique-t-elle.
Au plus fort de la présence militaire française dans des pays comme le Niger, les conflits violents n'ont pas cessé pendant des années, les militants armés et les terroristes contestant le statut d'État de ces pays.
Le désengagement actuel des chaînes militaires et économiques françaises dans la région de l'Afrique de l'Ouest témoigne de la rapidité avec laquelle Paris perd son influence néocoloniale en Afrique.
La décision de la Côte d'Ivoire de fixer un délai d'un peu moins d'un mois pour le départ des troupes françaises à partir du 25 janvier est un coup dur à plus d'un titre.
Les analystes décrivent cette décision comme étant à la fois imprévue et un coup de maître du président Alassane Ouattara, d'autant plus qu'il avait été soutenu par les forces françaises pour prendre les rênes du pays à la suite d'un conflit postélectoral.
Le président Ouattara a profité de son discours de fin d'année pour annoncer la décision de son gouvernement de demander les troupes françaises de se retirer du pays.
La France semble actuellement trop affaiblie pour naviguer contre les vents du changement en Afrique, bien qu'elle ait essayé d'innover ailleurs sur le continent en s'attirant les faveurs de pays comme le Bénin, le Togo, le Nigeria et même le lointain Kenya.
Le Sahel fait preuve d'unité
Ibrahima Hamidou, conseiller spécial en communication du Premier ministre nigérien, estime que le président français est allé trop loin cette fois-ci.
Macron utilise l'idéologie déshumanisante de l'« esclave » pour se donner raison malgré l'échec du néocolonialisme au Sahel. S'il avait honte, il n'évoquerait pas les absurdités dont il a bombardé ses ambassadeurs. »
Le ministre tchadien des Affaires étrangères, Abderaman Koulamallah, a déclaré à la télévision nationale que les propos de Macron reflétaient « une attitude méprisante à l'égard de l'Afrique et des Africains ».
« Les dirigeants français doivent apprendre à respecter le peuple africain et à reconnaître la valeur de ses sacrifices », a -t-il ajouté.
Une frontière improbable
Pour la première fois depuis la création du sommet Afrique-France en 1973, la réunion collaborative des présidents africains est sur le point de se dérouler en dehors de la France ou de tout pays africain francophone.
Le Kenya et la France ont annoncé en marge de l'Assemblée générale des Nations unies à New York en septembre dernier qu'ils organiseraient conjointement le sommet de 2026 à Nairobi.
Il s'agit là d'une preuve que la France se démène pratiquement pour trouver une base alternative en dehors de son ancien pré carré.
Macron n'en a pas fait mystère non plus, se lançant dans une offensive de charme diplomatique pour garder le président kenyan William Ruto de son côté.