Assemblée Générale de l'association à Bertoua 2024/ Image ACPLS.

Par Firmain Eric Mbadinga

Entre ses cours de droit, ses obligations familiales et autres activités ordinaires, Alain Bila, enseignant à Bertoua dans l'est du Cameroun, trouve toujours le temps qu'il faut dans son engagement contre le suicide.

Le sujet peut être perçu comme tabou dans certaines communautés. Mais en 2014, Alain Bila a vécu une double déception qui l'a conduit au bord du suicide : ce drame va devenir "un mal pour un bien".

Après avoir tenté de se donner la mort suite à deux coups durs de la vie - perte d'emploi et abandon par sa compagne de l'époque - Alain en est venu à créer l'association camerounaise de prévention et de lutte contre le suicide (ACPLS).

''J'avais eu une déception professionnelle. J'avais été licenciée pour être claire. Et comme si ce malheur ne suffisait pas, dans la foulée ou en conséquence, ma compagne de l'époque m'a abandonné. C'est ce qui m'avait poussé à vouloir me donner la mort,'' confie Alain Bila à TRT Afrika.

Son plan consistait à se donner la mort par la prise d'une grande quantité de médicaments. Mais le sort a mis en échec sa tentative et des proches sont intervenus au bon moment avant que la dose ne devienne létale dans son corps. Son renoncement au suicide a quant à lui pour origine la prise de conscience du malheur que sa mort aurait infligé à ses proches.

Cet heureux retournement de situation ne se produira pourtant pas chez un de ses amis qui s'est suicidé 5 ans plus tard, après que sa femme l'avait, lui aussi, quitté.

Et cet autre événement a motivé Alain à passer à l'action pour que le suicide ne l'emporte plus dans son pays, classé au 5ᵉ parmi les plus concernés par le sujet sur le continent.

La tentation de la mort

À travers plusieurs villes du Cameroun dont Yaoundé, la capitale, Douala, Kribi, Garoua ou encore Maroua, l'association a mis en place un réseau de représentations gérées par ses membres dont le nombre ne cesse de croître depuis la mise en place officielle.

Célébration de la journée mondiale de prévention du Suicide en 2021 à Yaoundé/ Image ACPLS.

Pour la plupart, ils ont eux-mêmes tenté d'y avoir recours dans une phase sombre de leur vie ou ont eu des proches qui sont morts de suicide. Afin de lutter contre le phénomène de manière pratique et efficace, ces derniers ont choisi comme action principale la sensibilisation en présentiel ou à travers les médias "traditionnels" et les médias sociaux.

Campagnes de sensibilisation reposant sur des techniques classiques comme le porte-à-porte ou interventions sur des plateaux télévisés et des chaînes de radios, l'ACPLS explore toutes les options afin de décourager au suicide, qui est catalogué comme un problème de santé mentale par les spécialistes.

Pour l'Organisation mondiale de la Santé le suicide est favorisé par des facteurs sociaux, culturels, biologiques, psychologiques et environnementaux. Sur cette liste, le facteur économique a un poids important.

En plus de la perte d'un emploi ou d'une déception amoureuse comme ce qu'a connu Alain, le stress ou des problèmes de santé peuvent pousser certaines personnes à envisager le suicide comme solution, une forme d'échappatoire aux problèmes de la vie.

Selon le Centre de toxicomanie et de santé mentale du Canada (CAMH), la perte ou la mort d'un être cher, l'abandon des proches ou l'exposition à certaines armes peuvent être considérés comme des facteurs courants de la tentation au suicide.

La force de la vie

''Dès que nous avons commencé à nous déployer sur le terrain, nous avons constaté qu'il y avait comme une chape de plomb sur la question du suicide. Notre message consiste donc à dire : ''le suicide, la solution, c'est d'en parler''.

"Et depuis que nous le faisons, nous pouvons dire que de plus en plus les gens nous contactent dans des phases de détresse émotionnelle pour que nous leur portions assistance'' confie Alain.

Avec les moyens du bord, l'association se déploie régulièrement sur le terrain avec pour objectif de créer un échange, une réelle interaction avec les populations. La stratégie de communication consiste en plusieurs points, incluant la détabouisation de la question du suicide, suivie de l'accompagnement qui peut être psychologique ou émotionnel, adapté aux cas rencontrés.

Campagne physique et digitale de prévention du Suicide chez les élèves en période d'examen officiel./Image ACPLS.

L'un des exemples qui galvanise l'association camerounaise dans son engagement est celui d'un jeune homme qui avait dû s'endetter pour rembourser l'argent de sa mère qu'il avait perdu dans les paris sportifs.

Pour le convaincre de renoncer au suicide, les membres de l'association lui ont fait comprendre qu'affronter sa mère après lui avoir expliqué son erreur en des termes appropriés était une approche qui pouvait être moins fataliste et efficace.

Ils l'ont amené à réaliser que sa mère serait encore plus triste de le perdre lui, en comparaison à la colère qu'elle aurait en découvrant qu'il avait perdu cette somme importante certes, mais qui peut être remplacée, contrairement à sa vie à lui.

''Heureusement pour tout le monde, dans ce moment sombre de sa vie, il est tombé sur nous à travers les médias sociaux. Il a eu le courage de nous contacter et, Dieu merci, notre assistante a porté ses fruits. Il a renoncé au suicide et aujourd'hui, il est titulaire d'un doctorat, marié et père de famille'', complète Alain Bila.

Comme les années précédentes, l'agenda 2024 de l'ACPLS a porté sur des plaidoyers auprès des autorités et de certains partenaires afin de mettre en place une stratégie nationale de lutte et de prévention contre le suicide.

Tout au long de l'année, l'association a sillonné les lycées, les universités et autres espaces publics accessibles pour inciter les gens à l'ouverture, au dialogue dans le but de surmonter les envies de suicides.

Chaque 10 septembre, Alain et les autres membres de l'ACPLS organisent par exemple des activités ludiques à l'occasion de la journée mondiale de prévention du suicide. Au cours du 3ᵉ dimanche du mois de novembre, l'association investit aussi le terrain pour célébrer la journée mondiale des personnes endeuillées par le suicide.

L'association internationale de prévention contre le suicide fait partie des rares partenaires qui accompagnent Alain et ses collègues.

Au niveau national, l'ACPLS peut compter sur le soutien du ministère de la Santé et celui de l'enseignement secondaire qui les accompagnent de façon technique et les associent à certaines actions publiques.

TRT Afrika