Par Firmain Eric Mbadinga
Comme toutes les mères, Jeanne Kiboum avait des rêves pour son premier-né venu au monde il y a 15 ans et qu'elle a prénommé Julien. Comme toutes les mères, Jeanne l'imaginait grandir en bonne santé, heureux, enjoué, curieux, sensible et intelligent.
Tout naturellement, Jeanne a commencé à lui inculquer des valeurs morales et intellectuelles pour l'armer à affronter les réalités de la vie.
Puis est arrivé le moment auquel aucune mère ne peut se préparer. Julien semblait avoir du mal à vivre une enfance normale. Jeanne qui se doutait alors que quelque chose n'allait pas et l'a emmené voir un médecin pour un diagnostic auquel elle ne s'attendait pas.
'' Votre enfant est autiste '' lui fit savoir le médecin,.. son beau garçon est autiste.
"Lorsque j'ai appris que Julien était atteint d'un TED (trouble envahissant du développement), je me suis retrouvée isolée et triste, n'ayant personne à qui parler et peu d'informations sur la maladie dont il souffrait", raconte Jeanne à TRT Afrika.
"J'ai eu du mal à accepter le diagnostic, et encore plus à me réconcilier avec lui. Il m'a fallu une période longue et éprouvante pour retomber sur mes pieds. Pendant tout ce temps, mon fils devait presque se débrouiller tout seul" raconte d'une voix tendre la mère de Julien.
Ce jour marquera pour Jeanne et Julien le début d'un long voyage à travers la myriade de défis quotidiens qu'impose l'autisme à ceux qui l'ont et à leurs proches.
Malgré ces défis, la mère et le fils ont trouvé la force de croire en eux et de se lancer dans une mission pour aider les autres à faire de même en créant un centre d'assistance et d'accompagnement des enfants autistes.
La Maison bleue de Julien, située dans le quartier de Nkoabang à Yaoundé, la capitale du Cameroun, est leur cadeau pour les personnes autistes et à leurs parents.
L'association caritative, fondée depuis mars 2020, est un lieu qui vise à aider les personnes autistes à apprendre à devenir autonomes et à s'intégrer socialement grâce à des projets et des activités basés sur des valeurs telles que l'humanisme, l'ouverture d'esprit et la coopération.
Lorsqu'elle a décidé de créer le centre, Jeanne savait qu'elle devrait donner de l'écho à son engagement en s'attaquant d'abord au problème de l'acceptation de cette condition. Un premier point valable pour tous les parents concernés, elle y compris.
"Une fois que j'ai accepté le diagnostic de Julien, je me suis dit que je devais essayer d'aider les parents, en particulier les mères, qui sont souvent dans cette situation de solitude et de désorientation. Mon fils et une amie m'ont rejointe dans cette démarche", raconte Jeanne.
L'impact a été à la hauteur de tous ces efforts. Au centre, les enfants atteints d'autisme reçoivent une formation en restauration et en informatique. Plus important encore, ils sont initiés à des activités sociales qui les aident à prendre confiance en eux.
Une condition complexe
Jeanne, aujourd'hui âgée d'une quarantaine d'années, fait preuve d'une compréhension et d'une sensibilité des complexités des troubles du spectre autistique, le terme le plus courant pour désigner les TED.
L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit l'autisme comme un groupe de troubles liés au développement du cerveau, causés par des facteurs environnementaux ou génétiques et entraînant des difficultés de comportement et d'apprentissage qui perturbent la vie des enfants. Qu'ils soient diagnostiqués à un stade précoce ou tardif, les autistes ont besoin d'une assistance spéciale pour faire face aux défis que leur pose cette maladie.
Selon les spécialistes du comportement, les mots clés sont l'amour, la patience et la méthodologie.
La Maison Bleue de Julien ayant vu le jour pendant la pandémie, Jeanne ne pouvait accueillir personne d'autre que son enfant à l'ouverture du centre.
Elle et sa famille ont alors ouvert une page Facebook et commencé à poster du contenu sur la vie quotidienne de Julien pour encourager les autres parents et les aider à comprendre que l'autisme peut être pris en charge.
Les messages diffusés sur les réseaux sociaux se sont avérés efficaces. Après avoir vu des images de Jeanne et de son fils, d'autres parents et professionnels bénévoles ont rejoint les activités du centre et de l'association. Après quatre ans de travail acharné, Julien n'est plus seul. La Maison Bleue de Julien compte aujourd'hui 20 résidents.
Entre ateliers de peinture, de cuisine, de pâtisserie et d'informatique, des parents bénévoles et des professionnels ont de quoi enseigner aux enfants âgés de 5 à 15 ans.
Pendant les colonies de vacances, l'association organise des rencontres entre les enfants et des éducateurs spécialisés dans l'orthophonie et la psychomotricité. Jeanne, qui joue le double rôle de parent et d'encadreur, estime qu'une combinaison équilibrée du soutien familial, d'empathie, de patience de la part des proches et de soutien de l'État est nécessaire pour améliorer la vie des personnes autistes et celui de leurs familles.
L'OMS recommande des interventions psychosociales fondées sur des données probantes pour améliorer la communication et les compétences sociales, qui ont toutes un impact positif sur le bien-être et la qualité de vie des personnes autistes et de leurs aidants.
Le défi de l'acceptation
La Maison Bleue de Julien a beau multiplier ses efforts, Jeanne estime qu'il reste encore beaucoup à faire pour favoriser une solidarité à l'égard des personnes autistes.
"Dans le contexte familial, la bonne attitude commence par le fait que les parents acceptent le diagnostic et prennent la responsabilité de gérer l'autisme de leur enfant. Les parents doivent participer à l'éducation, au travail et aux loisirs de leur enfant. Avec l'aide de professionnels, un projet personnalisé avec des objectifs clairs et précis doit être élaboré pour la personne autiste", explique-t-elle à TRT Afrika. Jeanne insiste également sur le fait qu'aucune victoire n'est petite et qu'aucune réussite n'est moindre.
"Les parents doivent se féliciter et féliciter la personne autiste pour chaque progrès. Par ailleurs, le parent doit prendre soin de lui, avoir du temps de qualité et ne pas s'isoler. Participez aux groupes de discussion mis en place par les associations. Le dernier conseil est de ne jamais baisser les bras", explique la maman de Julien.
La Maison Bleue de Julien est presque entièrement financée par Jeanne et un petit groupe de parents qui lui font confiance. Comme dans beaucoup d'autres pays africains, le Cameroun dispose de peu de centres ou instituts spécialisés pour les personnes autistes.
Au nombre des pays soucieux du sort des personnes autistes, le Maroc, dont la Constitution garantit le droit à l'éducation pour tous, a officiellement interdit toute discrimination fondée sur le handicap.
Les chercheurs marocains estiment, à titre d'exemple, que la création d'un environnement d'apprentissage favorable aux enfants autistes est cruciale pour améliorer leur vie. Pour Jeanne, voir le visage de Julien s'illuminer, à chaque petit progrès qu'il fait, compte parmi les moments les plus gratifiants de sa vie.