By Melis Alemdar
"On peut aussi manger de la pide pendant d'autres mois que le ramadan", explique Ercan Bayraktar qui est propriétaire de Bayraktar Firini à Beyoglu et un boulanger de troisième génération. "Mais la pide que vous obtenez pendant le Ramadan est spéciale, la farine est de meilleure qualité", explique-t-il. "C'est une farine de blé qui absorbe mieux l'eau. Elle a une odeur différente lorsqu'elle est cuite".
Il explique que les minoteries commencent à préparer cette farine de qualité spéciale des mois à l'avance. "La production de pide du Ramadan était la même il y a 20 ans, ou même dans mon enfance, tout comme aujourd'hui".
Bayraktar affirme que la petite boulangerie nichée dans le Balik Pazari (marché aux poissons) du quartier Beyoglu d'Istanbul existe depuis au moins 100 ans. "Nous ne savons pas exactement quand elle a été créée, mais cela remonte à plusieurs décennies".
Le boulanger Rahmi Burman du Bayraktar Firini explique que ces "pizzas turques" pides du Ramadan colleraient s'ils n'utilisaient pas de les pailletes de blé pour les séparer des pelles en bois qui servent à placer les pides dans le four en briques.
La pide du Ramadan est quelque chose de spécial, préparé à l'étage dans la zone de production qui a l'air paradisiaque, tout blanc, sous un éclairage fluorescent, sur du carrelage blanc et recouvert de farine, affirme Izzet Boz, l'ouvrier. Il résume cette particularité en un mot : "Sifa [guérison]". Aydin Ozleyen, son collègue, est un peu plus direct : "C'est la qualité de la farine", dit-il.
Nazli Piskin, historienne de la gastronomie, confirme qu'à Istanbul, la pide est plus fréquente pendant le ramadan, mais qu'elle existe en dehors du mois sacré. "Pourtant, en Anatolie, la pide est consommé tout au long de l'année".
"La pide est une sorte de pain plat. Nous l'appelons pain plat, mais il contient évidemment de la levure", explique-t-elle. "Ce n'est pas comme la yufka [pâte phyllo utilisée pour le borek], qui ne contient pas de levure. La maîtrise du fabricant est crucial car "la pide n'est pas moulée mais façonnée à la main".
"C'est pourquoi, explique Mme Piskin, la pide de chaque boulangerie est différente". Elle ajoute que la chaleur du four peut également varier d'une boulangerie à l'autre, mais que la différence la plus importante est la maîtrise de la fabrication de la pide.
"La pide peut être préparée avec ou sans œufs", précise Mme Piskin. "Je ne parle pas d'œufs mélangés à la pâte. Je veux dire qu'ils sont étalés sur la surface de la pide après qu'elle a été façonnée à la main et avant qu'elle ne soit mise au four".
La pide cuite avec des œufs a une teinte plus jaune à brunâtre, tandis que la pide cuite sans œufs est plus blanche. "Il n'existe pas de supériorité d'un type de pide par rapport à un autre", selon Mme Piskin. "Il s'agit simplement d'une question de préférence familiale.
Mme Piskin rappelle qu'Evliya Celebi, voyageur ottoman du XVIIe siècle, a fait des observations sur la pide du ramadan.
"Il a écrit sur les traditions de la pide du Ramadan à Istanbul, et il note que de l'eau safranée était badigeonnée sur la surface de la pide du Ramadan avant qu'elle ne soit cuite".
Le safran aurait donné une teinte jaune et un parfum agréable à la pide du Ramadan.
En ce qui concerne les garnitures, Evliya Celebi note que les boulangers mettaient un mélange de graines de pavot et de graines d'anis sur la pide, contrairement au mélange de graines de sésame et de cumin utilisé de nos jours. Mme Piskin signale qu'il n'est pas certain que les graines de cumin et de sésame aient été utilisées à l'époque d'Evliya Celebi, mais il n'en fait pas mention.
"Le safran est d'un prix exorbitant. Personne ne s'attendrait à ce qu'il soit utilisé sur la pide de nos jours, mais il aurait pu y avoir des graines de pavot", dit-elle à TRT World.
Mme Piskin explique que la consommation de pide du Ramadan obéit à un rituel : "Comme vous le savez, les pides du Ramadan sont de préférence consommées chaudes à la sortie de la boulangerie. Ainsi, pendant des années, les familles envoyaient leurs jeunes enfants à la boulangerie pour faire la queue afin d'acheter des pides du Ramadan fraîchement sorties du four et de les consommer chaudes pendant l'iftar [la rupture du jeûne au coucher du soleil]".
Selon M. Piskin, la pide du Ramadan est spéciale parce que l'odeur des produits fraîchement sortis du four entoure le quartier, car les gens se rassemblent à la boulangerie avant l'iftar pour en emporter chez eux.
"Ils forment une file et attendent patiemment, leur volonté étant mise à l'épreuve à la fin de la journée de jeûne. Puis, à table, ils se plongent dans le pide du ramadan".
La pide du Ramadan périme rapidement, car il s'agit d'un pain plat à forte teneur en gluten : "Personne ne voudrait manger des pides du Ramadan froids et rassis", explique-t-elle. "C'est pourquoi les familles n'achètent que la quantité qu'elles vont consommer, afin qu'il n'en reste pas le lendemain".
Expliquant à TRT World qu'elle déteste que le pain soit gaspillé, Mme Piskin ajoute : "Supposons qu'il reste des pides du Ramadan. Vous pouvez les cuire à la vapeur, dans une passoire placée au-dessus de l'eau bouillante dans une casserole". Elle suggère également de les couper en petits morceaux et de les rôtir pour en faire des croûtons. "Vous pouvez les transformer en chapelure après l'étape des croûtons en la broyant également", ajoute-t-elle.
Elle ajoute que chaque famille a sa boulangerie préférée où acheter la pide. "Par exemple, mon mari et moi allons dans une boulangerie située à dix minutes de chez nous, même s'il y en a une plus proche, qui est une chaîne de boulangerie que nous ne préférons pas", confie-t-elle.
Les familles devraient "broder dans la mémoire alimentaire de leurs enfants" l'histoire du Ramadan en les emmenant dans une boulangerie pendant le mois sacré, que les aînés jeûnent ou non. "Cela forme d'agréables souvenirs d'enfance, c'est une belle tradition", conclut-elle.