Par Jean-Rovys Dabany
TRT AFRIKA - Libreville, Gabon
Le ministre des Eaux et Forêts, le Colonel Maurice Ntossui Allogo a annoncé mercredi avoir saisi 10 conteneurs contenant des mètres cubes du Kevazingo en banlieue sud de Libreville, près du port. Aussitôt le ministre a annoncé l’ouverture d’une enquête.
La marchandise dont la valeur n’a pas été précisée a été abandonnée sur un terrain vague, a expliqué le ministre. "Nous avons très vite alerté les services judiciaires, notamment la direction générale des Contre Ingérences et de la Sécurité Militaire. Un certain nombre de bois, a priori non déclaré, se retrouve sur ce site, a expliqué le ministre.
"Une enquête sera menée par les autorités compétentes en vue de faire la lumière sur ces faits", a-t-il précisé à la presse.
D’après le nouveau code forestier gabonais, les bois abandonnés ou exploités sans autorisation sont la propriété de l’État qui peut légitimement procéder à leur valorisation. "Nous pensons qu’il s’agit de bois abandonné. Si cela est confirmé, ce bois devra faire l’objet d’une vente", a déclaré le ministre après avoir fait ouvrir les conteneurs.
Une énième fois
L’exploitation du Kevazingo est interdite depuis 2019 après la découverte de près de 500 mètres de cuve de Kevazingo, d’une valeur d’environ 6 milliards de FCFA, sur deux sites d’entreposage appartenant des exploitants chinois, près du port d’Owendo.
Des hautes personnalités gabonaises dont Pierre-Claver Manganga Moussavou et Guy-Bertrand Mapangou, respectivement Vice-Président de la République et ministre des Eaux et Forêts, avaient été démis de leurs fonctions après la découverte.
Plusieurs autres hauts fonctionnaires de l’administration des Eaux et Forêts ainsi que des ressortissants chinois, accusés d’avoir participé au trafic ont été tous jetés en prison.
Les trafiquants utilisaient des documents falsifiés en mettant le tampon du ministère des Eaux et Forêts indiquant une cargaison d’Okoumé, une autre espèce de bois précieux, pour tromper la vigilance des contrôleurs.
Régulièrement Conservation Justice tire la sonnette d’alarme sur l’ampleur du trafic, mais les habitudes ont la vie dure. L’ONG assure que les mentalités progressent mais qu’il faudrait renforcer la surveillance. Wilde Rosny Ngalekassaga, juriste de l’ONG Conservation Justice n’est pas surpris par ce nouveau scandale.
"C’est vraiment une chasse effrénée, des pistes, des routes sont ouvertes spécialement pour abattre le Kevazingo. Même s’il s’agit d’un seul arbre, la route est ouverte et les bulldozers vont pour l’abattre donc il y a vraiment un risque que le kevazingo qui ne se régénère pas assez vite, disparaisse", explique-t-il à TRT Afrika.
Au ministère des Eaux et Forêts, on déplore une explosion du trafic autour du Kevazingo. Le ministère assure faire son possible pour lutter contre le trafic indiquant que des nouvelles mesures ont été prises depuis le scandale de 2019. Ce qui n’empêche pas les trafiquants de multiplier les stratégies.
"Les coupes illégales existent mais notre administration fait des pieds et des mains pour diminuer le volume des coupes dans nos forêts. Nous nous déployons tous les jours pour arrêter cette exploitation qui connaît de plus en plus d’ampleur”, a expliqué à TRT Afrika Philippe Ongouoli, haut cadre au ministère des Eaux et Forêts.
Le marché asiatique
Des espèces comme l’okoumé ou le Kevazingo sont les bois préférés des exploitants forestiers, qui les exportent vers l’Asie, d’autres pays d’Europe et d’Afrique. Le trafic est surtout alimenté par le Kevazingo. Rouge, noir ou marron, ce bois réputé très solide, est surtout prisé par le Japon et la Chine.
Le mètre cube du Kevazingo peut atteindre 1 à 2 millions de F CFA à Libreville. La moyenne se situe entre 180.000 et 400.000 F le mètre cube. Très dur et dense, le Kevazingo est utilisé pour fabriquer des meubles notamment les chaises, tables…
Pour inciter les entreprises à s’installer au Gabon, le gouvernement avait interdit en 2009 l’exportation des grumes. Depuis que la mesure interdisant l’exportation des grumes a été prise, le chiffre d’affaires de l’industrie du bois a triplé en passant de 38 milliards de francs CFA en 2009 à plus de 300 milliards en 2023, d’après le ministère de l’économie.