Par Firmain Eric Mbadinga
En tant qu'entrepreneur, Darhyl Nkogho trouve des solutions là où d'autres verraient des obstacles. Sa formation de statisticien-géomaticien est un atout supplémentaire qui lui donne la clairvoyance nécessaire pour construire un cadre structuré et logique pour les entreprises qui, selon lui, attendent d'être créées.
Au Gabon, son pays d'origine, M. Nkogho a entrepris de changer les mentalités sur l'entrepreneuriat.
"Je pense qu'encourager la présence d'opérateurs gabonais aux côtés de nos homologues étrangers qui travaillent depuis des années dans des petites et moyennes entreprises fait partie de la solution au problème du chômage", clame M. Nkogho, promoteur du projet inédit "Un Gabonais=Une Boutique".
Son initiative s'inscrit dans un contexte de désespoir généralisé face au chômage et à la cherté de la vie, qui se traduit par le fait que de nombreux emplois du secteur tertiaire dans ce pays d'Afrique centrale sont fournis et occupés par des étrangers.
Une présence marginale
Que ce soit à Libreville, Franceville ou Lambaréné, des secteurs comme la pêche, le transport privé ou la confiserie n'ont vu que récemment l'émergence d'acteurs gabonais. Leur présence reste cependant marginale.
Le taux de chômage, notamment chez les jeunes, est actuellement estimé à 38% pour une population qui est passée de 1 à 2 millions d'habitants en 20 ans.
Sur la base d'une étude réalisée en 2021, le concept "Un Gabonais=Une Boutique" s'articule autour d'un réseau de grossistes et de détaillants gabonais géré par M. Nkogho.
Le jeune homme de 30 ans explique qu'il a ressenti le besoin de contribuer à l'ouverture de ce réseau de boutiques de proximité après avoir constaté ce qu'il pensait être une opportunité pour combler des lacunes en matière de services.
Par exemple, entre midi et 14h30 le vendredi, l'activité économique s'arrête au Gabon, car les musulmans se rassemblent pour la prière. Comme la plupart des propriétaires de petits commerces sont musulmans, de nombreuses boutiques au Gabon ferment à ce moment-là.
"Cela peut parfois être compliqué, surtout en cas d'urgence", explique Jessica Eyang, une cliente, à TRT Afrika.
"Une fois, j'ai voulu envoyer de l'argent à un parent dans une autre ville par transfert d'argent mobile, et c'était un vendredi. J'ai dû marcher longtemps pour trouver un magasin ouvert. J'ai attendu de 13 à 15 heures pour envoyer l'argent".
À la recherche de synergies
En 2019, dans un document intitulé "Transformation structurelle, emploi, production et étapes de la société", la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique a réalisé une étude approfondie de l'environnement socio-économique du Gabon.
Dans ses conclusions, la commission a appelé à l'amélioration du climat des affaires et du fonctionnement du secteur financier afin d'encourager l'activité économique. Il a également souligné la nécessité de promouvoir les jeunes entrepreneurs locaux et de diversifier l'économie du pays.
M. Nkogho est souvent sur le terrain avec ses partenaires, évaluant les besoins des vendeurs et des clients et veillant à ce que les produits et les services soient disponibles à tout moment de la journée.
"L'interaction est cruciale. Elle crée une compréhension entre les producteurs et les vendeurs locaux, réduit le nombre d'intermédiaires commerciaux et diminue également certains coûts", explique-t-il.
À ce jour, le projet Un Gabonais=Une Boutique a contribué à la mise en place de plusieurs magasins vendant divers produits alimentaires. Une boutique génère en moyenne 300 000 francs CFA (487 dollars) de bénéfices mensuels.
Les gérants de ces boutiques, y compris les femmes et les futurs entrepreneurs ayant des projets en cours, se rencontrent souvent en présentiel ou en ligne pour des ateliers afin d'échanger des idées et de renforcer leur capacité à être plus compétitifs.
Pendant plusieurs jours au début du mois de mars, le projet a rassemblé au moins 400 jeunes à l'incubateur multisectoriel de Libreville pour une formation à la vente et à la gestion de magasins et d'épiceries.
L'économiste canadien d'origine gabonaise Jean-Louis M'Badinga voit dans le travail de M. Nkogho "un exemple inspirant" d'entrepreneuriat social. "Son initiative promet de contribuer de manière significative à la réduction du chômage et à la redynamisation de l'économie locale, à condition qu'elle soit soutenue et non isolée", confie cet expert à TRT Afrika.
Les pierres d'achoppement
M'Badinga souligne que le principal défi reste le financement. "Les Gabonais ont souvent du mal à accéder au capital nécessaire pour lancer leur entreprise, ce qui limite le potentiel des petites entreprises à transformer l'économie".
"Ce qu'il faut, c'est un changement de mentalité pour que des métiers comme chauffeur de taxi, boutiquier, vendeur de poisson, boucher, éleveur ne soient plus perçus comme des métiers ridicules. Avec l'implication de l'Etat dans la facilitation des procédures administratives, nos populations peuvent changer de point de vue et devenir plus productives".
En ce qui concerne l'État, l'économiste M'Badinga constate qu'il est essentiel de reconnaître que les petites entreprises sont confrontées à plusieurs défis, notamment la concurrence accrue des grandes chaînes de distribution, les coûts élevés des loyers commerciaux et les difficultés de gestion des stocks face à l'essor du commerce électronique.
"Pour un développement économique durable, les gouvernements doivent soutenir ces initiatives locales et promouvoir la diversification économique en stimulant les secteurs à valeur ajoutée tels que l'industrie manufacturière, les services financiers et le tourisme", conseille-t-il.
M. Nkogho espère recevoir un jour le soutien des autorités. Pour l'heure, il s'emploie à faire connaître son projet, qu'il entend déployer dans les neuf provinces du pays, à l'aide d'un large éventail d'outils de communication numérique.