Par Jean-Rovys Dabany
TRT Afrika —Libreville, Gabon
Sephora travaille chez un grand opérateur de téléphonie mobile gabonais. À la maison, c'est elle qui fait à manger aux enfants. Alors pour gagner du temps, elle a un secret : des plats locaux emballés.
De légumes, de l’aubergine... prêts à l’emploi. Une petite révolution pour Sephora qui doit conjuguer son travail et sa vie de maman.
"Le produit est facile à utiliser. J’aime bien l’emballage et c’est facile à ouvrir. Les légumes sont bien protégés et sont déjà nettoyés et ça rend la cuisine très facile", explique Sephora Moussavou à TRT Afrika.
Karl vit dans le quartier chic de Glass avec sa fille de 12 ans. Dans son appartement situé au 1er étage, les signes extérieurs de richesse ne manquent pas : écran plat, ordinateur portable connecté au wifi, téléphones mobiles dernier cri.
Avec un emploi dans le pétrole, Karl fait partie de cette catégorie de chefs de foyer trop pressés qui s’approvisionnent chez Agridis.
"Agridis est une bouffée d’oxygène pour les personnes qui n’ont pas de temps d’aller faire les courses au marché. J’ai une fille à charge. Quand la ménagère n’est pas là, je m’en occupe et ça me permet de gagner du temps. J’aime bien le concept et c’est révolutionnaire", confie Karl Mboma, 37 ans.
Derrière ce concept des plats légumes frais emballés et prêts à l’emploi : Tamarah Moutotekema Boussamba, une diplômée en intelligence économique qui a fait le choix de tout quitter pour l’agriculture.
Elle a fondé Agridis, une jeune start-up créée en 2017 et qui a déjà distribué près de 20 tonnes de légumes frais emballés auprès des ménages. Et sa vision va beaucoup plus loin. Elle souhaite mettre le numérique au service des agriculteurs grâce à une application mobile.
"J’ai créé Agridis en 2016 mais j’ai lancé les activités en 2017. L’acronyme Agridis signifie "agriculture" et "distribution". On fait de la production de bananes plantains, du tubercule de manioc et on rachète aussi des légumes à des coopératives agricoles, dirigées essentiellement par des femmes. On revend tous ces produits-là sur les grands marchés, supermarchés au niveau et auprès des ménages. On a aussi créé une application agricole, Waghi. C'est une application de conseil et de mise en relation entre les producteurs et les commerçants, qui vise à faire comprendre aux producteurs locaux l’importance des nouvelles technologies dans le secteur agricole, mais aussi leur donner accès à différents marchés", raconte Tamarah à TRT Afrika.
En 6 ans, Agridis s’est imposée comme l’un des principaux fournisseurs de fruits et légumes frais dans la capitale Libreville. La start-up a réussi à maintenir la courbe de croissance prévue. Tamarrah espère même dépasser les prévisions initiales.
"De plus en plus des grandes surfaces nous sollicitent. Il y a une grosse demande aussi de la classe moyenne", dit-t-elle à TRT Afrika.
"Nous avons 9 différents produits. Nos produits sont des légumes locaux (feuilles de manioc, aubergine, oseille, épinards…). Nous avons déjà distribué entre 17 et 20 tonnes de légumes transformés", explique Tamarrah.
Achetée chez les paysans, les légumes produits par Agridis proviennent en grande partie de son champ situé à 30km au nord de Libreville.
"L’une des difficultés que j’ai eues au début c’était de trouver du personnel motivé. Puisque je me lançais dans un secteur où je ne maîtrisais vraiment pas. C’était très difficile au début", avoue-t-elle sans détour.
Les défis aujourd’hui, dit Tamarrah, "c’est de continuer à mettre en œuvre la vision d’Agridis : celle de devenir le leader de la production agricole au Gabon, être le leader en terme des légumes locaux".
Mais dans secteur où il n’existe pas de modèles de réussite, la jeune entrepreneuse de 30 ans doit encore se battre contre certains stéréotypes.
"Quitter ses études des finances pour se lancer dans un secteur comme l’agriculture, c’était difficile pour moi de convaincre les parents qui avait parié sur moi après à mon retour des Etats-Unis" confesse Tamarrah.
Réussir en Afrique dans l’entreprenariat n’est pas un pari facile. Et pourtant, Tamarrah fait partie de cette nouvelle génération des jeunes entrepreneurs gabonais qui se font remarquer.
Avec un premier financement obtenu de la Fondation Tony Elumelu, Tamarrah s’est financée surtout grâce aux levées de fonds auprès des organismes privés.
Ses principaux clients sont des supermarchés et une classée moyenne très pressée. "Nos clients sont en grande partie les femmes. Ce sont elles qui gèrent la cuisine à la maison mais il y a aussi des supermarchés et des privés", dit-elle.
Les défis ne manquent pas : difficultés de financement, manque d’infrastructures, secteur peu structuré... Cependant, la jeune trentenaire tente de faire évoluer les choses.
"C'est là même tout l'intérêt de cette application agricole, explique Tamarrah. Grâce à la technologie, on arrive à relier le producteur, le transformateur, le transporteur et le consommateur final. C'est vraiment le modèle idéal, parce que la filière est gagée de réussite dans le secteur agricole. Le producteur ne peut pas lui-même vendre et transformer sa production. Il faut que chacun joue son rôle", explique-t-elle.