Akiky Care s'adresse aux personnes âgées dont les proches sont pressés par le temps et à celles qui vivent seules. Les photos / Getty Images

Par Firmain Eric Mbadinga

L'assistance aux personnes âgées en zone urbaine est encore dans de nombreux pays africains un défi qui peut, par moment, surtout en cas d'incompréhension, être source de conflit générationnel et même la cause de certains drames humains.

En effet, les cas de non-assistance à personne du 3ᵉ âge dont les fonctions cognitives et la santé tendent à décliner sont légion. Selon l'OMS, ''dans la Région africaine, le manque de soutien social et de socles de protection, la pauvreté et la violence interpersonnelle déteignent sur la condition des personnes âgées.

Les faits montrent également que les personnes du troisième âge sont victimes de diverses formes d’abus, notamment la violence, la négligence, l’abandon et le manque de respect ''.

Pour répondre aux besoins d'aide physique et morale de ces personnes, des établissements spécialisés sont donc nécessaires et c'est à ce niveau que se situe le problème ; des établissements spécialisés dans l'assistance des personnes âgées en Afrique, il y en a très peu.

La naissance du Projet Akiky Care

Rodolph Eva Ndong Ovono, 45 ans aujourd'hui, a pour sa part assisté son père en lui apportant toute l'aide dont il a eu besoin après avoir développé une maladie des pieds qui finira par réduire sa mobilité en 2018.

Pendant une année entière, Rodolph qui est interprète de métier, partira donc de cette expérience personnelle pour décider de créer sur fonds propres Ayiky Care qui est une prestation de services en faveur des personnes du 3ᵉ âge.

Cette année passée aux côtés de son père a été un ensemble de moments d'humanisme et de complicité particulière pour Rodolph Eva Ndong Ovono.

'' Ce que j'ai appris de mon papa… je ne sais même pas comment vous le dire'' explique Rodolph à TRTAfrika en marquant une pause de quelques secondes dans un moment d'émotion et de remémoration.

''Être au contact des humains, c'est quelque chose de merveilleux, croyez-moi. Ça n'a rien à voir avec l'aspect pécuniaire que certains pourraient mettre en exergue, non. Vous allez vous rendre compte que les gens à partir d'un certain âge deviennent vulnérables. Parce qu'ils se disent qu'ils ont passé la jeunesse, qu'ils ont passé l'adolescence, qu'ils ont passé le stade adulte. De façon psychologique, ils se disent qu'ils sont en train de nous laisser.

Et c'est à ce moment-là qu'ils ont besoin de notre amour. Moi, ayant passé un an avec papa, cela a renforcé encore nos liens, car il s'est senti aimé '', poursuit-il.

Radolphe Eva Ndong a puisé dans ses économies pour lancer  Akiky Care. Photo  Getty Images

Comme tâches, Rodolphe soulevait son père de son lit vers tous les endroits de la maison où ce dernier avait besoin de se rendre. Rodolphe lui faisait également prendre son bain et était avec lui quand son père éprouvait l'envie de s'asseoir à la terrasse de leur maison de Libreville pour prendre un peu d'air.

'' C'est interdit à un enfant de voir la nudité de son père, mais sache que tu ne le fais pas de ton gré... tu le fais parce que je suis malade et je crois que ce que tu entreprends de faire, c'est peut-être cela qui te fera connaître dans le monde entier. '' déclarera Simon NDONG OVONO à son fils Rodolph, un jour, assis sur la même terrasse, avant sa mort.

C'est donc en 2019 que Rodolph va s'organiser pour le lancement de Ayiky Care.'' Ayiky '' étant son deuxième nom et ''Care'' signifiant ''soin'' en anglais.

Au Gabon, seul le centre de gérontologie-gériatrie de l'hôpital de Melen prend en charge les personnes âgées qui y sont admises soit sur décision concertée avec leurs familles, soit de leur propre volonté après avis médical.

Pour celles qui ne souhaitent pas être admises dans ces établissements aux allures de maison de retraite, Ayiky Care se présente donc comme une alternative pour les enfants occupés par leur travail ou pour les personnes âgées qui vivent seules et qui ne souhaiteraient pas aller au centre de Melen où les places sont limitées.

Depuis sa création, Akiky Care a apporté un soutien gériatrique à au moins 35 résidents. Photo : Getty Images

La sociologue sénégalaise Selly Ba note, à propos de la prise en charge des personnes âgées en milieu urbain ou rural, une augmentation exponentielle à la fois des personnes elles-mêmes et de leurs besoins en matière de prise en charge.

'' Si le taux de ces personnes ne représente actuellement que 5 % de la population, ce taux devrait passer à 9 % d'ici à 2050. Cette hausse va induire une augmentation des besoins en protection sociale et en soin de santé chez les personnes âgées.

Il est donc important de réfléchir maintenant sur les mesures et mécanismes institutionnels qui sont mis en place pour leur apporter un soutien parce que ce sont des personnes vulnérables qui ont désormais une capacité à générer un revenu du fait de leur âge'', explique la sociologue.

De l'avis de Selly Ba, la prise en charge des personnes âgées en Afrique est une responsabilité familiale. Or la sociologue souligne une certaine difficulté pour de nombreuses familles à assumer ce rôle du fait de contraintes économiques ou de leur éclatement.

C'est cette réalité qui justifie, selon la sociologue, la mise en place dans certains pays de politiques de protection sociale et d'un système de retraite qui par moment sont d'une incidence faible. Et ces deux mécanismes nécessitent de façon pratique une assistance humaine pour pallier la réduction des capacités physiques des personnes âgées, assistance que peuvent fournir des centres gériatriques ou des structures comme celle de Rodolph Eva Ndong Ovono.

Sur le plan pratique, Ayiky Care emploie pour la plupart des hommes et femmes appartenant au monde médical qui n'exercent pas encore ou plus du tout dans des établissements publics, mais dont l'expertise est certifiée par les diplômes et/ou l'expérience.

La structure, qui collabore également avec les hôpitaux publics et privés du pays, offre donc ses services aux domiciles, même des personnes qu'elle dit considérer plus comme des patients que comme des clients. C'est au domicile même de ces patients que le personnel travaille soit du matin au soir, soit en y étant logé pour un service continu.

'' J'avais des économies suite à mon licenciement abusif dans une grande firme de la place qui fait de l'exploitation du manganèse, dans laquelle j'ai travaillé comme interprète traducteur pendant 1 an. Juste après nos débuts. J'ai dû fermer à cause de la COVID-19 durant 2 ans. À ce jour, nous nous sommes occupés d'au moins 35 pensionnaires, bien entendu avec les décédés,'' précise Rodolph Eva Ndong Ovono.

Radolphe Eva Ndong s'est occupé de son père âgé et a fondé Akiky Care à sa mort. Photo : TRT AfrikaPhoto: TRT Afrika

Parmi les familles qui ont déjà fait appel aux services de Ayiky Care figure celle de Yannick Essono Lee qui vit dans la capitale gabonaise. Occupés par leur emploi de jour, sa femme et lui, Essono Lee contactera la structure quelques années après son lancement pour prendre soin de sa mère tombée malade, alors qu'elle avait été hospitalisée.

''J'ai découvert la structure à travers un forum. J'ai trouvé ça intéressant. Il est souvent difficile de veiller sur des personnes âgées quand on est en activité. Il y a des structures spécialisées en Europe, mais ici, c'est généralement très compliqué.

Lorsque ma mère est tombée malade, j'ai donc fait appel à eux et je n'ai pas été déçu. Le personnel qui se relayait matin et soir a fait preuve de disponibilité, de réactivité et d'humanisme, s'intégrant sans ambages dans la famille.'' témoigne Yannick Essono Lee dont la mère a recouvert la santé et regagné le cadre familial.

Selon le Dr Louis Niamba du Burkina Faso, chercheur en démographie,'' La cohabitation intergénérationnelle est un facteur important du bien-être matériel, mental et sanitaire chez les groupes les plus vulnérables que sont les personnes âgées et les jeunes générations''.

La solution que propose Rodolph Eva Ndong Ovono devrait donc jouer un rôle de connecteur pour que cette cohabitation intergénérationnelle ait lieu de façon juste et objective.

Pour la suite de ses activités, Rodolph Eva Ndong Ovono espère dans un premier temps ouvrir la première maison de retraite au sens propre du syntagme et également éteindre les services de sa structure au reste de l'Afrique.

TRT Afrika