C'était dans une plantation de café sur les hauteurs de Kibirizi, bourgade agricole de l'est de la République démocratique du Congo, passée début mars sous le contrôle du M23 ("Mouvement du 23 mars") et de l'armée rwandaise qui soutient cette rébellion congolaise, majoritairement tutsi, à l'offensive depuis fin 2021.
Après le départ de ses bourreaux, "en tenue M23" selon lui, Innocent grimpe, sanguinolent et traumatisé, au sommet d'une colline et rejoint la zone gouvernementale.
Depuis une dizaine de jours, le jeune homme de 30 ans récupère des forces dans un hôpital de Kanyabayonga, dernière ville avant le "front nord" entre la rébellion et les forces armées de RDC (FARDC) appuyées par une coalition hétéroclite de groupes armés, regroupés sous l'appellation "wazalendo" ("patriotes" en swahili).
"Quand les M23 sont arrivés à Kibirizi, ils ont tenu un meeting et nous ont assuré que nous étions en sécurité", se souvient Innocent, ses grands yeux clairs perdus dans le vague, assis dans le bureau du directeur de l'hôpital.
Fin avril, l'armée congolaise et les "wazalendo" lancent une offensive pour reprendre Kibirizi.
Dommages collatérauxLes combats font rage jusque dans le centre. Des obus de mortier, tirés par les FARDC, détruisent des maisons et tuent leurs occupants, de l'aveu même d'un colonel FARDC rencontré dans la zone. "Dommages collatéraux", justifie-t-il.
En vain. L'armée décroche et abandonne les derniers habitants à la vindicte du M23. "Après cette attaque, les rebelles ont commencé à s'en prendre à la population", explique Innocent.
"Ils nous soupçonnaient d'être des traîtres et d'avoir facilité l'entrée des wazalendo" dans la cité. Avant de leur trancher la gorge, les rebelles ont accusé Germain et Innocent d'appartenir à un groupe de miliciens qui leur avaient tendu une embuscade.
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Pour des motifs similaires, plus d'une centaine de personnes avaient été massacrées fin 2022 dans le village de Kishishe, à une dizaine de km au sud de Kibirizi. Les enquêtes, dont celle de l'ONU, avaient démontré la responsabilité du M23.
Dans les draps sales d'un lit voisin de celui d'Innocent, un combattant au visage adolescent est blessé au bras: "un éclat de roquette" l'a atteint dans la contre-offensive ratée sur Kibirizi.
Germain déclare avoir 18 ans et combattre depuis quatre ans dans les rangs du FPP/AP (Front des patriotes pour la paix/Armée du peuple), un des plus importants groupes armés de la zone.
Dirigé par le "général" Kabido, ce groupe, après des années de combat contre l'armée, a rejoint la coalition pro-gouvernementale où il opère désormais aux côtés de ses ennemis d'hier.
Depuis près de deux ans, cette alliance contre nature n'a remporté aucune victoire.
De mois en mois, les rebelles progressent dans la province du Nord-Kivu et installent une administration parallèle dans les secteurs dont ils s'emparent.
"Repli sur repli", "fuite devant l'ennemi", non-respect des accords signés avec les groupes armés: le "colonel" Augustin Darwin, porte-parole du FPP/AP, dit n'avoir aucune confiance dans les FARDC.
ImpunitéDans le quartier général du groupe, posté sur une colline en retrait du front, il condamne le traitement réservé par Kinshasa aux militaires, qui n'ont "pas de bottes, pas d'uniformes, ne reçoivent pas de rations... Ils sont démoralisés".
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S'il y avait moins de détournement d'argent dans l'armée, "les FARDC ne devraient même pas avoir besoin des wazalendo", déclare-t-il.
"Nous vivons la peur au ventre", lance Chrisostome Kasereka, bourgmestre de Kanyabayonga, qui redoute un bombardement sur sa ville, devenue refuge pour des dizaines de milliers de déplacés ayant fui les combats et les exactions du M23.
"Comme ce qui s'est passé ces derniers jours à Mugunga", craint-il, où entre 15 et 35 déplacés, selon différents bilans, ont été tués dans un bombardement à la périphérie de la capitale provinciale Goma.
Autour de Kanyabayonga, trois obus sont tombés ces dernières semaines, sans faire de victimes, affirme le bourgmestre, dont le secrétaire s'empresse de montrer à une équipe de l'AFP les restes d'un projectile retrouvé dans un champ.
Questionnés, des responsables de la société civile de Kibirizi, Kanyabayonga et Kishishe accusent certains officiers FARDC d'avoir "facilité le passage aux rebelles".
Mi-mars, ces mêmes officiers ont été rappelés à Kinshasa pour enquête. Depuis, certains d'entre eux sont de retour à Kanyabayonga.
"L'impunité, c'est ça qui fait que ça ne marche pas dans notre République...", désespère Innocent, alors qu'une nouvelle offensive est en train d'être lancée sur Kibirizi par la coalition FARDC/wazalendo.
"Chaque jour, des camions remplis de militaires arrivent ici", raconte un des responsables de la société civile. "S'ils nous font encore le coup du +repli stratégique+, nous allons assister à un combat entre les wazalendo et les FARDC... et nous-mêmes nous allons prendre les armes", menace-t-il.
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