Par Firmain Eric Mbadinga
En 2015, des jarres vieilles de 3 000 ans ont été découvertes dans des pyramides en Égypte. Les récipients, faits d'argile, étaient couverts de poussière et de toile d'araignée. Ce qui est normal après une si longue durée dans un espace peu aéré.
Le fait qui a, en revanche, surpris certains, c'est l'état du contenu de ces jarres : du miel naturel qui avait gardé sa saveur et sa qualité malgré cet enfouissement de longue date.
Si pour le grand public, cela a semblé extraordinaire, pour les apiculteurs, cela l'a été moins, car ces derniers savent que le miel compte, parmi les vertus et les qualités qui lui sont attribuées, celle de résister au temps.
La panoplie de qualités du miel, saveur et longévité incluses, ont séduit et poussé Déborah Nzarubara, une Congolaise de la ville de Goma, à investir dans l'élevage des abeilles, c'est-à-dire dans l'apiculture.
C'est en effet aux abeilles que le monde doit la production du miel naturel, riche en glucides et très prisé des amateurs de sucrerie, entre autres. Et jusqu'ici, le moins que l'on puisse dire, c'est que les abeilles que l'apicultrice élève lui rendent généreusement service.
Green Community Mind (Grecom), l'entreprise que Déborah Nzarubara a fondée en 2018, gagne des marchés, emploie de plus en plus de personnels, fait du chiffre, et les produits de la marque continuent de se diversifier.
Une mauvaise image qui ne se justifie pas
Dans son management et ses efforts quotidiens, Déborah s'est engagée à changer, premièrement, l'image peu positive que les gens ont du métier d'apiculteur dans sa communauté. Déborah s'est de même engagée à revoir les codes et les pratiques d'un métier exercé par presque tous les membres de son entourage.
Si certains aiment le miel, les abeilles qui le produisent ne sont en revanche pas souvent très appréciées, parfois en raison de préjugés ou de fausses croyances.
''Étant née et ayant grandi près du parc de Virunga, j'ai, dès mon bas âge, vu des apiculteurs à l'œuvre. Mes parents l'ont eux-mêmes été et mon mari exerce aussi ce métier. Cette proximité m'a permis de voir de près les difficultés liées à ce métier dans notre pays. Je sais que les apiculteurs sont parfois stigmatisés."
"Quand ils ne sont pas accusés de sorcellerie du simple fait qu'ils arrivent à dompter les abeilles, d'autres sont méprisés parce qu'ils n'ont, pour certains, pas eu la chance de faire des études. En me formant et en m'engageant à mon tour, je veux que les choses changent. '', confie Déborah Nzarubara à TRT Afrika.
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En sautant le pas du rêve à la réalité, Déborah, qui a fait ses classes à l'Institut supérieur de développement rural de Goma d'où elle est sortie comme technicienne supérieure, a pris le soin de s'assurer que les abeilles soient protégées et un peu plus valorisées. Elle aura l'idée en 2013 de créer une ONG : 'Action Solidaire pour la Protection des Abeilles', qui, en plus de sa mission première, forme les apiculteurs aux nouvelles techniques de travail, plus respectueuses de l'environnement.
"Ces formations ont un gros impact, car elles ont permis aux apiculteurs de renoncer aux techniques qui avaient des retombées négatives sur la biodiversité, sur la production de miel et qui étaient surtout létales pour les abeilles'' , précise Déborah.
Le renforcement du réseau
Dès l'application de nouvelles techniques de travail, au bout de quelque temps, la qualité et la quantité de miel produite a accru, obligeant les opérateurs à envisager d'écouler le miel vers de plus grands marchés.
C'est ainsi que va naître en 2018 une structuration moderne, plus écologique, de production et de vente de miel, à travers Grecom.
Si les abeilles s'évertuaient, comme elles le font naturellement, à butiner les fleurs, les employés apiculteurs, eux, vont construire des ruches modernes avec des ressources locales, fabriquer des enfumoirs et confectionner des combinaisons plus adaptées afin de renforcer leurs équipements et leur protection.
Cette réorganisation des pratiques, tout comme l'investissement dans des équipements et la logistique, ainsi que l'amélioration du cadre de travail, vont porter leurs fruits très rapidement. Une communication marketing inventive et dynamique a également été développée pour que le miel, qui bénéficie naturellement d'une réputation, soit encore plus attrayant grâce à un meilleur emballage.
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Même si cette labélisation, en raison de ses standards élevés, a créé une légère méfiance quant à l'origine locale du produit, les campagnes de sensibilisation menées par la structure, mais surtout le gout du miel de Grecom a dissipé tout doute auprès des clients congolais.
''La stratégie a été payante. Nous avons expliqué notre technique de conditionnement pour avoir du miel de cette qualité. Puis, nous avons vu que la confiance s'est installée. Nous avons eu des contrats avec des dizaines de boutiques et magasins et à ce jour, nous avons près de 2000 clients permanents'' se réjouit Déborah.
La gamme de produits développée aujourd'hui par Grecom s'étend du miel sous forme liquide à l'hydromel, à la cire d'abeille, à la propolis et s'étend même à la pommade de miel.
Après Goma, le miel de Grecom a commencé à satisfaire les papilles gustatives des consommateurs de Kinshasa, de Bukavu et même d'Allemagne, de Belgique ou encore des États-Unis grâce à une chaîne d'exportation en plein rodage.
Ce succès de la marque et de ses produits a pour conséquence d'améliorer les revenus des apiculteurs et de changer leur image dans la communauté.
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La cartographie des apiculteurs actifs, que permet l'application NyukiTech, facilite une dynamique de coordination, de solidarité et de formation de ces professionnels du secteur de l'apiculture.
Des informations liées aux aléas climatiques ou aux itinéraires techniques de productions y sont partagées. À travers des échanges de SMS, tous les apiculteurs de la RDC peuvent interagir et se soutenir dans plusieurs domaines à tout moment.
Cette mère de quatre enfants, qu'elle dit chérir plus que tout, fait souvent preuve d'humilité, mais avoue être fière des changements positifs qu'elle et ses collaborateurs ont pu apporter dans le secteur de l'apiculture dans leur pays.
Près de 10 ans après son entrée dans le monde des abeilles, Déborah avoue que les femmes, y compris elle-même, sont moins stigmatisées, que les gens de façon générale, peu importe leur niveau intellectuel et leur classe sociales, sont plus avenants vis-à-vis des artistes des abeilles et des abeilles elles-mêmes.
Le parcours et l'engagement entrepreneurial de Déborah lui ont valu de nombreux prix et distinctions d'institutions financières comme la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement.
Résilience dans l'adversité
Grecom, qui emploie des dizaines de personnes, a mis en place une coopérative pour les apicultrices et ambitionne de mettre sur pied un centre de recherche spécialisé sur les abeilles et leur apport dans la société, particulièrement en RD Congo.
Tous les efforts et les rêves de Déborah ont failli être anéantis lorsque, une semaine après l'entretien avec TRT Afrika, la ville de Goma est tombée aux mains des forces du M23 et de leurs alliés en fin janvier 2025. Comme de nombreux habitants, Déborah a été privée d'eau, d'électricité et d'Internet pendant des semaines. Ses installations ont été endommagées par les combats et les pillages qui ont suivi.
Mais la résilience de Déborah face à l'adversité lui permet de continuer à vivre. Elle garde la foi en un avenir stable et meilleur pour sa ville et son pays, espérant reprendre bientôt sa mission de transformation de l'apiculture en RDC.