Selon l'UNICEF, près de 40 millions d'enfants ont rejoint la population active au cours des quatre dernières années en Afrique. / Photo : Getty Images

Par Firmain Eric Mbadinga

Sur le chemin du retour, après une dure journée de travail, la seule chose qui compte pour Jean Ralph Odzaga est la rapidité avec laquelle le bus qu'il a emprunté doit l'emmener à destination.

La chaleur, les embouteillages, le bavardage des autres passagers, les klaxons des véhicules à l'extérieur, tout cela n'est rien comparé à la fatigue qui accable cet ouvrier du bâtiment à Libreville, au Gabon.

Ce jour-là a été différent, presque comme une révélation. Jean était fatigué, comme d'habitude, mais il lui était difficile d'ignorer la vue d'un couple essayant de calmer les deux plus jeunes de leurs trois enfants à l'intérieur du bus bondé.

Alors que les deux garçons, âgés d'un an et de trois ans environ, braillaient sans cesse, les yeux de Jean étaient rivés sur l'aînée. C'est une fille d'environ cinq ans. Elle est silencieuse et son visage est dépourvu d'émotion.

La dame assise à côté de Jean semblait observer la fillette avec autant d'attention que lui. Elle pousse un soupir avant de s'exclamer : '' Pauvre fille ! On risque de la priver de son enfance.''

Une phrase qui a tout de suite déconcerté Jean Ralph. ''J'ai demandé à la dame ce qu'elle voulait dire par là '', raconte-t-il à TRT Afrika.

''Elle a émis l'hypothèse que la petite fille ne recevait peut-être pas l'attention dont elle avait besoin parce que ses parents s'occupaient trop des deux enfants en bas âge et qu'elle n'avait peut-être pas d'aide à la maison. Il se peut même qu'elle soit la nounou de ses frères depuis leur plus jeune âge.''

Lorsque Jean lui a demandé comment cette dame pouvait en être aussi sûre, sa co-passagère a insisté sur le fait qu'il s'agissait d'une '' possibilité ''.

Puis celle-ci est alors descendue du bus. Jean a pris connaissance, ce jour-là, de ce dont la plupart des gens sont peut-être conscients, sans pourtant autant la prendre dans sa pleine mesure : la réalité d'une ''enfance volée''.

Un malaise généralisé

Du Moyen Âge à nos jours, de l'Afrique au reste du monde, le bien-être mental et physique des enfants est un sujet qui a évolué, suscitant une attention croissante. La logique consistant à faire travailler les enfants de 5 à 16 ans dans des ateliers ou des champs était autrefois courante, au moins jusqu'à la fin du 18ᵉ siècle, en particulier en Occident.

Pour que ce genre de phénomènes cessent et pour que tous les enfants du monde puissent profiter de leur enfance et avoir accès à l'éducation et à de meilleurs soins, l'Assemblée générale des Nations Unies a créé en 1946 le Fonds international des Nations unies pour l'enfance (UNICEF).

Le Dr Comlan Kouassi, psychologue exerçant à Cotonou, au Bénin, considère la question de l'enfance volée comme une anomalie sociétale qui a un impact profond sur le développement mental des futurs adultes.'' Quand on est enfant, c'est le moment de s'amuser, d'être dépendant des adultes. Nous devons aussi nous former et nous préparer à la vie d'adulte. Mais dans de nombreux pays africains, y compris à Cotonou, dans mon pays natal, le Bénin, beaucoup d'enfants doivent travailler pour subvenir à leurs besoins'', explique le clinicien à TRT Afrika.

Certains enfants doivent même travailler pour subvenir aux besoins de leurs parents et ne profitent pas de ce qui est censé être une enfance insouciante, à en croire le spécialiste béninois.

"Ils sont obligés de vivre comme des adultes. Je qualifierais ce phénomène d'enfants parents. Bien qu'ils soient des enfants, ils doivent assurer leur subsistance quotidienne", explique le Dr Kouassi.

Être un adulte malgré son âge

Jack De Souza, un Togolais de 17 ans, est coiffeur à Lomé. C'est un métier qu'il exerce un peu malgré lui pour assumer ses charges vitales.

Abandonné par ses parents à l'âge de 12 ans, Jack n'a pas connu une enfance typique. Il doit sa survie au centre d'accueil de l'association Kpa Domeviwo, qui l'a soutenu pendant ses premières années d'errance.

Même après avoir trouvé un moyen de subsistance dans la coiffure, Jack dit ressentir un vide qui l'envahit souvent.

"Ayant pratiquement grandi dans la rue à la suite du rejet inexpliqué de mes parents, j'ai dû acquérir des compétences en coiffure pour subvenir à mes besoins. Quand je vois des enfants comme moi avec leurs parents, je me sens vide et démuni. Mais c'est la vie", déplore-t-il.

Les spécialistes des sciences sociales estiment que certains enfants ne vivent pas une enfance typique en raison de contraintes économiques ou sociales. L'effondrement de la structure familiale est considéré comme l'un des facteurs contribuant à ce phénomène.

Les enfants ont droit à une famille, à la nourriture, à un abri, à des soins, à l'éducation et aux loisirs, conformément à la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant. Photo TRT Africa

''L'abandon volontaire des parents est également fréquent '', explique le Dr Kouassi qui ajoute que cette démission des parents tout comme le dénuement contraint certains enfants à mendier.

Les dangers qui guettent

Selon le Consortium for Street Children, une organisation caritative, les enfants abandonnés sont souvent exposés à des '' abus sexuels, physiques ou émotionnels et au VIH/SIDA ''.

Certains sont attirés par la criminalité, d'autres sont confrontés à des problèmes de santé mentale. Emmanuel Dogbevi, du Ghana, n'a pas fini dans la rue comme Jack, du Togo, mais il a eu une enfance tout aussi difficile après la séparation de ses parents. ''J'ai grandi avec une mère célibataire. Nous étions neuf, et c'était difficile '', se souvient-il.

'' Après avoir terminé l'école primaire en 1983, à l'âge de 15 ans, on m'a demandé de trouver un emploi. C'est pourquoi j'ai mis plus de temps à poursuivre mes études supérieures. Je suis entré à l'université à 31 ans '', explique-t-il à TRT Afrika.

Emmanuel, qui est aujourd'hui un journaliste d'investigation bien connu au Ghana, pourrait être une exception. L'enfance volée est souvent si préjudiciable que la plupart des gens ne s'en remettent pas, notamment du point de vue affectif et mental.

Ratifiée par la quasi-totalité des pays en 2002, la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant garantit à ceux-ci sept droits fondamentaux. Les pays signataires doivent veiller à ce que chaque enfant ait une famille (biologique ou non), une éducation, de l'affection, un abri, des loisirs et des soins. Malheureusement, la plupart de ces droits restent des vœux pieux.

Selon l'UNICEF, en Afrique subsaharienne, la croissance démographique, l'extrême pauvreté et l'insuffisance des mesures de protection sociale sont à l'origine de l'entrée sur le marché du travail de près de 16,6 millions d'enfants au cours des quatre dernières années. Cela conduit à la présence de près de 40 millions d'enfants dans le monde du travail.

TRT Afrika