Le chanteur et danseur congolais Fally Ipupa pose lors d'une séance photo à Paris le 27 septembre 2023. (Photo JOEL SAGET / AFP)

Deux concerts caritatifs étaient prévus jeudi et vendredi. L'occasion pour ses fans d'ouvrir une brève parenthèse dans un quotidien plombé par le conflit.

Le premier concert, pour l'élite gomatracienne, a bien eu lieu dans l'un des hôtels les plus chers de la capitale de la province du Nord-Kivu. Deuxième autorité de cette région soumise à l'état de siège depuis 2021, le vice-gouverneur militaire avait fait le déplacement pour ce concert dont le prix d'entrée est de 100 dollars, et plus de 2.000 pour une table VIP face à la scène, champagne inclus.

Quelques centaines de chanceux ont ainsi eu droit à plus de deux heures de spectacle de l'icone de la Rumba congolaise, qui a glissé quelques mots à la mémoire des victimes du conflit, et s'est vu arroser de billets de 100 dollars par un riche entrepreneur local.

Un second concert, destiné à un public plus large, était prévu le lendemain sur un terrain au bord du lac Kivu, à l'ouest de la ville. Son prix d'entrée de cinq dollars n'était pas non plus à la portée de tous dans un pays où environ 74,6 % de la population vivait avec moins de 2,15 dollars par jour en 2023, selon la Banque mondiale.

"J'ai connu Fally quand j'avais 28 ans. J'aurais aimé aller le voir, mais je manque d'argent", déclare Mudege Manigabe, 74 ans, cordonnier dans le quartier de Ndosho à l'ouest de la ville.

Jule Polizien, 22 ans, vendeur dans une cafétéria affirme qu'il aurait "préféré que le concert soit gratuit, car nous sommes en guerre. Néanmoins, s'il va chanter pour compatir avec la population, c'est une bonne chose".

Pour une partie de la jeunesse gomatracienne, une telle opportunité est "impossible à rater", estime un jeune diplômé qui préfère s'exprimer sous couvert d'anonymat.

"Une grande star comme ça, il n'est pas souvent au Congo, alors à Goma, il faut en profiter", dit-il au milieu d'un groupe d'amis qui sirotent un whisky coca apporté discrètement, pour éviter de se ruiner dans les buvettes installées pour l'occasion.

Tirs et lacrymogènes

Dès les premiers essais de micro, ils sont plus de 2.000 à s'élancer vers la scène pour occuper les premiers rangs.

"J'espère que ça va montrer que Goma n'est pas seulement une ville où on a peur", affirme Léa, étudiante à Goma.

"On n'est pas toujours censés vivre avec des traumatismes liés aux coups de feu et aux balles parce que à Goma, ça tire, ça tue, c'est la chanson de tous les jours mais la vie doit continuer", abonde David De Mielo, artiste chanteur présent dans le public.

Mais les heures passent, le soleil tombe, et Fally n'arrive pas. Bientôt le bruit court sur WhatsApp que sa venue est annulée. Et que la police anti-émeute s'est déjà déployée en prévision de troubles.

De longues files de spectateurs déçus se forment et se déversent calmement dans les rues. Mais face à la scène, quelques esprits s'échauffent et les projectiles volent. Il sont dispersés par des tirs de sommation de la police et des gaz lacrymogènes.

"On a bouffé notre argent", peste Nathan Tubure, un spectateur. "On est tellement déçues", déclare Judith, une jeune femme croisée à la sortie.

Plusieurs spectateurs sont légèrement blessés, dont David De Mielo tombé dans la cohue et piétiné.

A qui la faute ? Un proche de la star contacté par l'AFP assure que son équipe a attendu en vain le feu vert du comité d'organisation.

Un représentant de ce dernier a invoqué sur les réseaux sociaux des raisons de sécurité : les taxi motos, moyen de transport le plus répandu, sont interdits de circulation à partir de 18 heures en raison de l'état de siège et le retard de l'équipe risquait de créer un attroupement difficile à protéger.

Une mesure déjà réputée pour empêcher une bonne partie de la jeunesse de venir s'égayer dans les bars du centre le soir, faute de moyens pour payer un taxi.

AFP