Par Firmain Eric Mbadinga
Le Niger et le Bénin, deux voisins ouest-africains, se livrent à une guerre économique qui ne cesse de s'aggraver au détriment d'une région qui la considère encore comme un feu de forêt isolé susceptible de s'éteindre de lui-même.
En l'absence de toute médiation de la part de pays ou d'organisations africaines, ce qui n'était au départ qu'un désaccord sur la circulation des personnes et des biens s'est rapidement transformé en querelle diplomatique.
Le Bénin se plaint depuis le mois d'avril, soit par l'intermédiaire d'un ministre, soit directement à travers la voix du président Patrice Talon, du non-respect par le Niger des lois internationales et des directives régionales régissant la circulation des personnes et des biens entre leurs territoires respectifs.
Ces plaintes ont précédé un appel lancé par le président Talon aux autorités nigériennes pour qu'elles ouvrent leurs frontières en réponse à la levée des sanctions économiques par le bloc régional de la CEDEAO à la fin du mois de février. Ces sanctions avaient été imposées au Niger à la suite du coup d'État contre le président déchu Mohammed Bazoum en juillet 2023.
Lorsque les sanctions étaient encore en vigueur, le Niger a créé l'Alliance des États du Sahel (AES) avec le Burkina Faso et le Mali, réaffirmant ainsi la distance croissante de ces trois pays vis-à-vis de la CEDEAO.
La demande de réouverture des frontières par le pouvoir militaire nigérien étant restée sans réponse, le président béninois a décidé de soumettre le passage du pétrole nigérien et de tout autre bien économique dans son pays à une autorisation préalable et conditionnelle.
"Si demain les autorités nigériennes décident de collaborer formellement avec le Bénin, les bateaux seront chargés", a déclaré le président Talon le 8 mai, faisant allusion aux barils de pétrole en provenance du Niger.
Onze jours plus tard, après la médiation du partenaire économique chinois qui exploite l'oléoduc nigérien, un million de barils ont été expédiés vers les côtes béninoises. Mais le 23 mai, le Bénin a annoncé la fermeture du point de passage du fleuve qui marque la frontière avec le Niger.
Le Niger, dont les interactions médiatiques sur le sujet sont rares, a justifié le maintien de la fermeture de ses frontières en invoquant la présence sur le territoire béninois de camps militaires français.
Le Niger avait exigé et obtenu le départ de l'armée française de son territoire quelques mois auparavant.
"Nous avons décidé en toute souveraineté de maintenir fermée notre frontière avec le Bénin pour la bonne et simple raison que nos anciens amis, les Français, sont revenus sur le territoire béninois après avoir quitté le Niger", a affirmé Ali Mahamane Lamine Zene, Premier ministre de transition du Niger, dans un communiqué daté du 17 mai.
Une divergence de longue date
Certains pensent que le conflit Niger-Bénin pourrait être le catalyseur de tensions entre les membres de la CEDEAO, souvent accusés d'être manipulés par la France, et les pays de l'AES, soupçonnés d'entretenir des relations plus que cordiales avec la Russie.
Moustapha Abdoulaye, spécialiste des relations internationales et de la sécurité, estime que la médiation est nécessaire pour rétablir une harmonie diplomatique entre des pays qui entretiennent des relations de longue date.
Jusqu'à présent, seuls des groupes économiques privés ont tenté une médiation, notamment la China National Petroleum Corporation, qui exploite le pétrole nigérien.
"Le Niger a décidé de quitter la CEDEAO et de s'aligner sur l'AES, notamment le Burkina Faso. Il vise également le port de Lomé au Togo comme point de transit", explique M. Abdoulaye à TRT Afrika. "Ce (le conflit Niger-Bénin) peut en effet être un conflit plus large par procuration".
Des opinions divergentes
Romaric Badoussi, spécialiste béninois de la CEDEAO et de la gouvernance démocratique, estime que la théorie selon laquelle le Niger serait en conflit avec le Bénin sur la base d'une guerre par procuration est truffée d'incohérences.
"Je ne vois pas cette situation comme une guerre ou un conflit entre la CEDEAO et l'AES. C'est plutôt une question de calcul politique de la part de la junte nigérienne. Elle doit gérer un pays en difficulté à plusieurs points de vue. Sur le plan social, la junte ne peut pas répondre aux demandes de la population", explique-t-il à TRT Afrika.
"On voit le mécontentement grandir au sein de la population, notamment à cause de l'augmentation des prix des denrées alimentaires".
Si les avis sont partagés sur les responsabilités et les motivations des uns et des autres, ce sont les populations du Bénin et du Niger qui ont le plus souffert de ce conflit.
La fermeture des frontières du côté nigérien et le blocage de tous les points de passage entre le Bénin et le pays voisin affectent la circulation des biens et des services dont les deux parties ont besoin.
"Je pense que les autorités du Niger et du Bénin doivent trouver une solution. Et cette solution ne peut être trouvée que par le dialogue. Mais les deux parties sont-elles prêtes à négocier ? C'est un grand 'si", déclare Abdoulaye.
Il mise sur l'analyse rationnelle des deux parties pour trouver une solution. "En diplomatie, l'ami d'hier peut être l'ennemi de demain. Et l'ennemi d'hier peut devenir l'ami d'aujourd'hui. La pierre angulaire, c'est le dialogue"