Par Mamadou Thiam
Dans un contexte mondial caractérisé par une crise alimentaire sans précédent, le gouvernement sénégalais a lancé une vaste offensive pour relever les défis et doper la filière rizicole.
« Si nous voulons être à l’abri des aléas du commerce mondial, nous ne pouvons plus continuer à importer massivement des denrées de première nécessité. C’est une grande vulnérabilité dont nous ne pouvons-nous libérer qu’en assurant au plus vite notre autosuffisance alimentaire », indiquait Macky Sall le 4 février 2023, lors d’une cérémonie de remise de matériels agricoles.
Une déclaration qui sonne comme un plaidoyer pour la souveraineté alimentaire. Jadis un des axes majeurs dans le programme de campagne de l’actuel chef de l’Etat, l’autosuffisance alimentaire reste toujours une épine dans le pied des gouvernants.
Après plusieurs initiatives jusque-là infructueuses, l’Etat du Sénégal s’est engagé à rattraper le temps perdu. Ainsi, il a décidé de faire de la modernisation du secteur agricole, un de ses défis dans cette deuxième phase du plan Sénégal émergent (PSE).
Au premier plan pour mener à bien cette vaste opération, le président sénégalais invite les acteurs à utiliser des méthodes modernes pour l’atteinte rapide des objectifs. « Nous n’atteindrons nos objectifs qu’en rompant avec les vieilles méthodes de production. Il fallait, par conséquent, investir durablement dans la mécanisation soutenue de l’agriculture », avance-t-il.
Un programme ambitieux, gigantesque, mais réalisable. Pays sahélien situé sur la côte atlantique, à l’extrême ouest du continent africain, le Sénégal importe près de 70% de ses besoins alimentaires, principalement le riz, le blé et le maïs.
Une dépendance que beaucoup n’arrivent pas à comprendre, dans la mesure où le pays dispose d’un énorme potentiel pour répondre aux besoins. En guise d’exemple, la Vallée du fleuve Sénégal (Nord du pays), principale zone d’intervention de la Société d’aménagement des terres du Delta (SAED), occupe une place de choix, avec un potentiel estimé à 240 000 hectares de superficies irrigables, dont 121 000 hectares de terres sont aujourd’hui aménagés.
A cela s’ajoutent l’existence d’un réseau hydrographique dense, une population active importante et des organisations de producteurs bien structurées. L’analyse des potentialités hydro-agricoles de cette partie du pays montre la possibilité que dispose le Sénégal pour atteindre l’objectif d’autonomie alimentaire, si celles-ci sont valorisées de manière optimale et durable.
De la « GOANA » de Wade au « PRACAS II » de Sall
Selon une étude du Programme alimentaire mondial (PAM), environ 16% de la population sénégalaise est en situation d’insécurité alimentaire. En 2013, soit un an après la venue au pouvoir du président Macky Sall, le Sénégal était classé 154éme sur 186 pays sur l’Indice du Développement Humain (IDH).
Dans un pays dont l’économie dépend essentiellement de la pêche, le tourisme ou encore la production d’arachide (principale culture de rente du pays), il fallait une véritable révolution, notamment dans le domaine agricole. Pratiquée par environ 72% des ménages, l'agriculture joue un rôle majeur dans l'économie du Sénégal.
Conscient des énormes potentialités dont dispose le pays, le président sénégalais a lancé des initiatives et pas des moindres. Parmi les innovations phares du successeur de Me Abdoulaye Wade (initiateur du GOANA, Grande offensive vers l’agriculture), il y a le Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture sénégalaise (PRACAS II).
L’objectif visé à travers cette nouvelle trouvaille est d'atteindre l'autosuffisance en riz en 2017. Et le Chef de l’Etat l’avait bien souligné à l’époque. « L’objectif en matière de production de riz reste à 1,6 million de tonnes de paddy pour atteindre l’autosuffisance en riz. Je suis convaincu qu’avec le Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture sénégalaise (PRACAS II) et les nouvelles formulations, nous devrions y arriver », disait-il.
Et pour la réussite de ce programme, il n’avait pas hésité à organiser un Conseil présidentiel avec les acteurs concernés ainsi que les membres du gouvernement pour recueillir les avis des producteurs, commerçants ou encore des associations consuméristes.
Toutefois, le challenge ne sera pas relevé et le gouvernement repoussera de deux ans son objectif (de 2017 à 2019). A l'entame de cette année 2023, la question de la souveraineté alimentaire demeure toujours d’actualité. Malgré les efforts déployés depuis toutes ces années, de nombreux défis restent à relever pour doper véritablement la filière rizicole.
Perspectives pour sauver le Sénégal et l'Afrique
L’Afrique doit se nourrir et nourrir le reste du monde. Le président sénégalais est convaincu que ceci n’est point un rêve, tant le continent regorge énormément de potentialités. Selon plusieurs rapports sur l’état de l’alimentation et de la nutrition, sur les 828 millions de personnes souffrant de faim sur terre, les 30% vivent en Afrique (soit 249 millions de personnes).
« Si ce rythme de progression de la sous-alimentation se poursuit, elle pourrait toucher 2 milliards de personnes supplémentaires d’ici à 2050 », estiment les Nations Unies.
Face à de telles prédictions, tout devient urgence. Et les dirigeants du continent en sont conscients. A l’image du Sénégal, beaucoup de pays africains dépendent également de l’importation. Et c’est en ce sens qu’a eu lieu le deuxième sommet de Dakar sur la souveraineté alimentaire et la résilience (Dakar II).
Pendant trois jours, 34 chefs d’Etat et de gouvernement, dirigeants du secteur privé, représentants d’organisations multilatérales, ONG, ainsi que des scientifiques et des chercheurs, ont échangé autour du thème : « Nourrir l’Afrique : souveraineté alimentaire et résilience ».
Ce conclave de Dakar s’est fixé des objectifs précis. Il fallait dans un premier temps susciter un engagement politique fort autour de la production, des marchés et du commerce. Ce qui permettrait de mettre en place des pactes de livraison de produits alimentaires et agricoles pour les Etats. Il s’agissait également de renforcer la sécurité alimentaire des Etats, à travers la mobilisation et l’alignement des ressources gouvernementales, celles des partenaires au développement et le financement du secteur privé, autour des pactes de livraison de produits alimentaires et agricoles.
Pour intensifier le soutien à l’agriculture, les dirigeants africains présents à ce sommet ont également évoqué l’idée de partager des expériences réussies sur l’alimentation et l’agriculture en Afrique.
Ils estiment également que « l’indépendance alimentaire » passera forcément par une réflexion sur les moyens d’augmenter la résilience des systèmes agricoles et la productivité agricole, grâce à l’utilisation de technologies innovantes et adaptées au climat, la recherche et des services de conseil.
Enfin, un dernier point et pas des moindres, ils pensent à mettre en place des infrastructures et une logistique, en mesure de soutenir la transformation agro-industrielle. Une approche qui permettrait de créer des marchés et des chaînes de valeur alimentaires et agricoles compétitives.
« Apprendre à se nourrir et contrinuger à nourrir le monde »
Le président sénégalais qui a fait de la question de la souveraineté alimentaire un challenge, se présente comme le porte-parole d’un continent qui se cherche encore. Macky Sall a profité du Sommet de Dakar pour appeler les partenaires bilatéraux et multilatéraux à se mobiliser, avec les acteurs continentaux, pour mener ensemble, le combat.
« Nous devons faire de Dakar II un véritable sommet de l’action, afin de réussir ensemble le pari de la production agricole et de la souveraineté alimentaire en Afrique. La priorité accordée à l’agriculture et à la sécurité alimentaire est devenue aujourd’hui une urgence de première nécessité. Cette crise sans précédent interpelle l’Afrique qui dispose pourtant d’importantes potentialités pour mettre fin à sa dépendance alimentaire vis-à-vis de l’extérieur et apprendre à se nourrir, voire, contribuer à nourrir le monde », avait-il lancé à Diamniadio.
Une invite aux chefs d’Etats présents, qui estiment que les différentes initiatives en direction de l’Afrique doivent être mieux coordonnées au plan continental. Dans sa volonté de redonner un second souffle à l’agriculture en Afrique et au Sénégal en particulier, le président sénégalais pourra compter sur le soutien sans faille de la Banque africaine de développement (BAD).
A Dakar lors de cet important sommet, le président du Groupe a invité les dirigeants africains à faire de cette question alimentaire une de leurs priorités.
« L’Afrique n’a pas le choix, car le temps ne joue pas en sa faveur, au regard de la croissance démographique en cours sur le continent. Nous devons prendre des mesures décisives dès à présent pour sécuriser l’approvisionnement en denrées alimentaires. Il faudra des systèmes alimentaires plus productifs, efficaces, compétitifs, dynamiques et écologiquement durables. L’agriculture doit devenir le nouveau pétrole de l’Afrique », avait recommandé Akinwumi Adesina.