Par Firmain Eric Mbadinga
Parmi les créations les plus étonnantes de la nature, on trouve une fleur rose gonflée en forme de cœur, appelée douloureusement "cœur qui saigne", dont la beauté est étrangement utilisée comme métaphore d'un trait de caractère humain peu apprécié.
Bien qu'un cœur qui saigne ne saigne pas physiquement, de nombreux témoignages et vidéos du monde entier montrent certains arbres suintant un liquide de couleur rouge, un phénomène qui continue d'intriguer et de susciter diverses interprétations dans les sociétés traditionnelles.
Dans des régions comme l'Amérique du Sud, ce liquide est souvent confondu avec du sang, tandis qu'en Afrique, les croyances populaires attribuent le phénomène aux esprits ou aux génies de la forêt qui habitent les arbres.
En octobre 2017, un botaniste français a mis en évidence le fait que le Tepezcohuite, ou "arbre de la colline qui saigne", est vénéré depuis des siècles par les Mayas, du sud du Mexique au Guatemala.
Une vidéo mise en ligne confirme l'existence de ces "arbres qui saignent". Ce qui est contesté, c'est la nature du liquide rougeâtre qu'ils exsudent.
Enraciné dans les traditions
La science considère comme un mythe le fait que la substance sécrétée par ces arbres soit du sang. Mais les chamans et les traditionalistes considèrent ces arbres comme des entités sacrées et spirituelles faisant partie intégrante d'un microcosme naturel qui ne doit pas être perturbé.
Le Dr Djibril Diop, environnementaliste et enseignant à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, au Sénégal, affirme qu'aucun arbre ne saigne ou n'est doté de pouvoirs surnaturels en raison du liquide rouge qu'il sécrète.
Il insiste sur le fait que ce liquide est du latex ou de la sève, qui jouent des rôles cruciaux pour la survie de l'arbre.
Le latex est la substance naturelle sécrétée par l'arbre pour sa défense organique, tandis que la sève, généralement blanche, circule entre l'arbre et l'écorce, apportant de l'eau, des sels minéraux ou des sucres à la plante.
Le Dr Diop cite l'exemple d'un neem (Azadirachta indica) dans la région de Bandafassi qui a sécrété une grande quantité de sève à la suite d'une attaque fongique.
"La population locale a interprété cela comme une attaque mystique de la plante, sans savoir que la nature de la plante, la structure du sol et la nature biologique des attaquants peuvent influencer la couleur de la sève ou du latex", explique-t-il à TRT Afrika.
L'écologiste rappelle également qu'aucun arbre ne possède de cellules sanguines et qu'on ne peut donc logiquement pas s'attendre à ce qu'il saigne.
Il cite l'exemple du dragonnier de Socotra (Dracaena cinnabari) pour illustrer les cas de latex ou de sève de couleur rougeâtre pouvant être confondus avec du sang.
Cet arbre, qui peut atteindre 20 mètres de haut, sécrète naturellement une résine rougeâtre qui a même conduit certains articles scientifiques à le décrire "comme un arbre qui saigne".
La résine rougeâtre est composée de sucre, d'eau et de nutriments, et est utilisée dans certaines traditions comme teinture. La couleur rougeâtre est souvent liée au taux de tannage de l'arbre. "Les plantes à résine ont un taux de tannage compris entre 10 et 20 %, tandis que Dracaena cinnabari a un taux de tannage de l'ordre de 70 à 77 %", explique le Dr Diop.
Valeur médicinale
Outre leur utilisation pour la teinture des tissus, certains de ces arbres saignants ont été reconnus comme ayant des propriétés médicinales par des botanistes comme le Dr Diop et des tradi-praticiens comme Romaric Moussounde Moussounda.
Moussounda, qui connaît bien la diversité des forêts gabonaises, estime que de nombreuses espèces, qu'il s'agisse du Pterocarpus angolensis que l'on trouve en Afrique ou des arbres saignants de l'Abitibi au Québec, méritent une considération mystique et spirituelle.
"Ces arbres sont des entités divines qui ne doivent en aucun cas être abattues", explique Moussounda à TRT Afrika.
"Le liquide qui peut s'écouler de ces arbres n'est pas du sang d'un point de vue matériel, mais il a la même importance et le même rôle spirituel que le sang.
Moussounda, qui allie tradition et modernité en tant que praticien certifié en réanimation cardio-pulmonaire et autres soins médicaux d'urgence, cite l'auteur sénégalais Birago Diop qui, en 1960, a écrit sur la "spiritualité" de certains arbres.
"Ces arbres sacrés sont principalement utilisés pour les cérémonies et les traitements. Ils ont tous une résonance cosmique et spirituelle avec l'homme", explique Moussounda.
Alors que les botanistes trouvent des explications cartésiennes à la structure des arbres de saignée, les traditionalistes d'Afrique ou d'Amérique du Sud, comme les Mayas au Mexique ou les Indiens natifs au Brésil, insistent sur le fait qu'ils doivent être traités comme des avatars et des entités mystico-spirituelles sacrées.
Malgré ces différents points de vue, il existe un consensus sur le fait que la protection de ces espèces d'arbres, qu'elles soient sacrées ou non, est vitale pour l'équilibre de la planète. C'est dans la voix unifiée de la conservation que se trouve la confluence de la tradition et de la modernité que des personnes comme Moussounda illustrent.