Par Sylvia Chebet
En début de semaine, de jeunes manifestants ont engagé des batailles rangées avec la police dans la capitale du Kenya, Nairobi, lors de manifestations baptisées « Occupy Parliament », qui ont contraint le gouvernement à faire marche arrière sur un plan ambitieux visant à financer un budget de quatre trillions de shillings (près de 30 milliards de dollars) par une augmentation des impôts.
Les jeunes manifestants estiment que les Kenyans sont déjà surtaxés et sont en colère contre les taxes supplémentaires proposées dans le nouveau budget.
« Nous rejetons le projet de loi de finances 2024. Pourquoi nous l'impose-t-on ? Nous n'en voulons pas et c'est définitif", a déclaré Wanjira Anjira, un manifestant.
Des dizaines de manifestants ont brandi des pancartes portant l'inscription : « Ne nous imposez pas les taxes », faisant référence au président Ruto en tant que Zakayo, le nom swahili du collecteur d'impôts biblique Zacchaeus.
Les manifestations semblaient spontanées, mais elles ont été mobilisées par l'intermédiaire des médias sociaux. Une fois dans la rue, les jeunes manifestants n'ont pas bougé malgré plusieurs arrestations, au milieu de panaches de gaz lacrymogènes.
Selon un rapport de police, un agent a été grièvement blessé lorsqu'une bombe lacrymogène lui a explosé dans les mains.
Taxe sur le pain
« Beaucoup de gens trouvent les taxes très punitives », explique Mohamed Guleid, expert en gouvernance, à TRT Afrika, en citant en exemple la proposition d'imposer une TVA de 16 % sur le pain.
« Et vous savez ce que le pain signifie, non seulement au Kenya, mais dans le monde entier. Vous savez que le pain a fait tomber des gouvernements. Si vous vous souvenez bien, la révolution française qui a fait tomber le roi Louis XVI a été provoquée par le pain", note M. Guleid.
Mardi, les manifestants vêtus de noir ont engagé avec la police une course au chat et à la souris autour des bâtiments du parlement dans la capitale.
Pendant ce temps, les députés ont déclaré avoir reçu une avalanche de messages sur leur téléphone, les suppliant et les menaçant en même temps de se ranger du côté des manifestants.
« Je ne sais pas d'où les Kenyans tirent leurs contacts, presque tous les membres du Parlement ont reçu un message leur demandant de rejeter tout ce qui sera présenté à la Chambre », renseigne Hussein Weytan, député de Mandera East, ajoutant que « le gouvernement kenyan est entre deux chaises ».
Le gouvernement kenyan se trouve entre le marteau et l'enclume. Pour financer le budget le plus important du pays, il est confronté à deux choix : emprunter davantage ou imposer davantage de taxes.
Il a opté pour l'augmentation des impôts.
Une mesure nécessaire
Le gouvernement a défendu les hausses - qui devraient rapporter quelque 346,7 milliards de shillings (2,7 milliards de dollars) - comme une mesure nécessaire pour réduire la dépendance à l'égard des emprunts extérieurs.
Cependant, « parfois, lorsque le gouvernement touche aux besoins fondamentaux de la population, il peut sembler très cruel », a déclaré M. Guleid, également ancien gouverneur adjoint.
En fin de compte, c'est le gouvernement qui a cédé le premier, en supprimant une série de taxes avant même que le Parlement ne se réunisse pour la première lecture du projet de loi de finances 2024.
Les membres du Parlement devaient débattre du projet de loi mardi après-midi mais ont reporté la discussion à mercredi, juste avant que la présidence n'annonce des amendements aux taxes proposées suite aux recommandations faites par un comité parlementaire.
« Parce que les représentants du peuple ont écouté le peuple... ils ont ajusté les propositions », a déclaré le président William Ruto lors d'une réunion avec les législateurs de la coalition au pouvoir Kenya Kwanza.
D'ordinaire, le public a la possibilité de participer entre les débats parlementaires et l'adoption du projet de loi. Cependant, selon M. Guleid, « le public s'est déjà prononcé ».
Le Parlement doit voter
Le gouvernement a jusqu'au 1er juillet pour mettre en place une loi rendant le nouveau budget opérationnel. D'ici la fin du mois de juin, le Parlement se prononcera sur l'adoption du projet de loi de finances, qui indique comment les fonds publics doivent être dépensés au cours de l'année à venir.
« Si ce n'est pas le cas, il y aura un blocage total du gouvernement, ce qui signifie que le gouvernement n'a pas de budget et n'a pas le droit de dépenser », explique M. Guleid, un expert en gouvernance.
Quelques heures après le début des manifestations, la commission des finances du parlement a annoncé qu'elle supprimerait un grand nombre des dispositions les plus controversées du projet de loi, notamment les taxes sur l'achat de pain et la possession d'une voiture.
« Le projet de loi de finances a été amendé pour supprimer la TVA de 16 % proposée sur le pain, le transport du sucre, les services financiers, les transactions en devises ainsi que la taxe de 2,5 % sur les véhicules à moteur », a déclaré le président de la commission, Kimani Kuria.
« En outre, il n'y aura pas d'augmentation des frais de transfert d'argent par téléphone mobile et les droits d'accise sur l'huile végétale ont également été supprimés ».
Le style de la génération Z
« Ce qui s'est passé à Nairobi est quelque chose de phénoménal qui n'avait jamais été vu auparavant », déclare M. Guleid, qui note qu'auparavant, les manifestations de rue étaient principalement organisées par les partis d'opposition.
« C'était l'apanage de gens comme Raila Odinga, le principal leader de l'opposition. Mais cette fois-ci, les manifestants sont des jeunes, ce que l'on appelle aujourd'hui la 'génération Z' ».
Les experts estiment qu'il s'agit d'un groupe démographique qui semblait auparavant apolitique.
« Les jeunes n'avaient jamais participé aux discussions politiques, mais il semble qu'ils aient maintenant trouvé leur voix », observe M. Guleid.
« Il s'agit de nos vies », souligne Njira, qui ajoute que la frustration va au-delà des impôts. « Il s'agit de la manière dont nos ressources nationales sont dépensées ».
Un programme qui part de la base
M. Ruto est arrivé au pouvoir en 2022 en promettant de relancer l'économie et de mettre de l'argent dans les poches des pauvres, mais sa politique fiscale a suscité un mécontentement généralisé.
« L'année dernière, en 2023, il a introduit un certain nombre de taxations, dont une taxe supplémentaire de 2,5 % pour le financement de logements abordables et une augmentation des contributions à l'assurance maladie, tout en doublant la TVA sur les produits pétroliers pour la porter à 16 % ».
L'inflation globale dans ce pays d'Afrique de l'Est est restée obstinément élevée à un taux annuel de 5,1 % en mai, tandis que l'inflation des denrées alimentaires et des carburants s'élevait à 6,2 % et 7,8 % respectivement, selon les données de la banque centrale.
Une nouvelle série de manifestations est prévue jeudi à Nairobi, les manifestants ayant exprimé leur mécontentement face aux concessions faites par le gouvernement sur les hausses d'impôts proposées.