Une cohabitation entre le président William Ruto et son grand rival Raila Odinga au sein d'un gouvernement semblait presque impossible pour beaucoup, mais certains analystes politiques l'ont vue venir.
Afin de stabiliser son régime en difficulté, M. Ruto a nommé quatre personnalités de l'opposition appartenant au camp de M. Odinga au sein de son cabinet.
Les nouveaux ministres issus de l'opposition sont John Mbadi (finances), James Opiyo Wandayi (énergie et pétrole), Hassan Ali Joho (mines et économie bleue) et Wycliffe Oparanya (coopératives et développement des micro, petites et moyennes entreprises).
Macharia Munene, professeur d'histoire à l'Université internationale des États-Unis en Afrique, estime que cette alliance n'est pas surprenante, mais qu'elle a été accélérée par les protestations de la génération Z.
"C'est une stratégie de survie politique qui a été mise en place par le gouvernement, mais qui ne s'est pas concrétisée".
"Il s'agit d'une stratégie de survie politique qui donnera au président une certaine marge de manœuvre avant de décider de ce qui se passera par la suite. Cela dépendra de la façon dont les membres du Parlement se comporteront dans les deux semaines à venir, lorsqu'ils feront leur travail d'examen des candidats", explique M. Munene à TRT Afrika.
Ce qui a commencé comme une contestation de la hausse des impôts s'est transformé en des manifestations violentes, qui ont fait au moins 50 morts et causé de nombreux dégâts matériels.
Mais les dernières manifestations de jeunes n'ont pas été organisées par l'opposition.
"L'opposition aurait voulu être le visage de l'agitation, mais elle n'a rien eu à y voir cette fois-ci", déclare M. Munene. M. Munene qui estime que les récents événements survenus au Kenya placent l'opposition en terrain inconnu.
"Ils auraient aimé être les premiers à s'attribuer le mérite de la réussite de la protestation. Maintenant, ils doivent trouver des moyens de détourner l'attention de la génération Z", ajoute-t-il.
L'opposition phagocytée?
Le plus grand parti d'opposition ayant été coopté au sein du gouvernement, la question-clé est de savoir qui gardera le contrôle du gouvernement.
Les experts politiques pensent qu'après les récentes manifestations, la politique et la gouvernance du Kenya seront soumises à une certaine retenue, avec ou sans un parti d'opposition dynamique.
"Les membres de la génération Z ont montré comment contrôler le gouvernement", note M. Munene, ajoutant qu'il est du devoir de chaque citoyen d'exprimer ses inquiétudes lorsque les choses vont mal.
Les députés, qu'ils soient dans l'opposition ou dans le parti au pouvoir, sont élus pour représenter le peuple, et non le gouvernement, souligne M. Munene.
"Ainsi, lorsque les députés manquent à leur obligation de représenter les intérêts du peuple, les citoyens ont le droit d'exercer ce mandat et c'est ce qu'ont fait les "Gen-Z", à tel point que la classe politique est très inquiète parce qu'elle perd du pouvoir au profit de personnes non élues", observe M. Munene.
Pour survivre politiquement, il est devenu nécessaire d'enterrer la hache de guerre.
"Ils doivent trouver un moyen de désamorcer ce mouvement."
Les partisans des personnalités de l'opposition désignées pour rejoindre le nouveau cabinet ont jubilé en apprenant la nouvelle.
De même, lorsque le président Ruto s'est rendu à Mombasa, fief de l'opposition, pour une tournée de trois jours la semaine dernière, il a reçu un accueil enthousiaste, ce qui contraste fortement avec la colère exprimée à l'encontre de son gouvernement quelques semaines auparavant.
Maintenant que le gouvernement kenyan et l'un des principaux partis d'opposition se retrouvent ensemble, les préoccupations soulevées par les jeunes recevront-elles une réponse appropriée ?
"On pourrait dire que les tensions se sont un peu apaisées, mais ce serait une erreur de penser que c'est fini, car si les problèmes ne sont pas abordés, les gens auront des raisons de continuer (l'agitation)", note M. Munene.
Les yeux rivés sur le Parlement
Les membres du Parlement seront cette fois-ci soumis à un examen minutieux lorsqu'ils examineront les nouveaux candidats au poste de ministre.
Après la débâcle du 25 juin, au cours de laquelle le parlement a été envahi par des manifestants en colère peu après l'adoption d'un projet de loi controversé approuvant une série de hausses d'impôts, les analystes pensent que les députés vont maintenant essayer de prouver qu'ils sont des dignes représentants du peuple.
"Le Parlement est à nouveau mis à l'épreuve", estime M. Macharia, qui ajoute : "S'ils (les députés) montrent qu'ils ne sont que des figurants, alors cela pourrait être une bonne raison pour le retour de la dynamique de dire 'non, ce n'est pas possible'".
Selon lui, les deux prochaines semaines pourraient être déterminantes pour la suite des événements.
Frères politiques
Le lien entre le président Ruto et le leader de l'opposition Odinga est une est une illustration parfaite de la relation douce-amère.
Ils ont été de proches alliés politiques pendant des années, M. Ruto étant un fervent partisan de la candidature de M. Odinga aux élections de 2007.
Après les élections, M. Odinga, alors candidat de l'opposition, a rejeté les résultats des élections présidentielles qui donnaient la victoire au président sortant Mwai Kibaki.
Des violences post-électorales ont alors éclaté, causant la mort de plus de 1000 personnes. Des pourparlers sous l'égide de la communauté internationale ont abouti à la formation d'un gouvernement d'unité nationale auquel ont adhéré Ruto et Odinga, ce dernier devenant premier ministre.
Toutefois, les relations entre les deux hommes politiques ont commencé à se refroidir après qu'en 2010, la Cour pénale internationale a inculpé William Ruto ainsi que plusieurs autres hommes politiques kenyans pour les violences meurtrières.
Odinga ne figurait pas parmi les accusés. En 2013, M. Ruto s'est associé au candidat de l'opposition à la présidence, Uhuru Kenyatta, qui était lui aussi inculpé par la CPI.
La CPI a par la suite abandonné les charges contre Ruto et Uhuru. Après avoir battu Odinga aux élections, Uhuru a nommé Ruto vice-président.
Kenyatta a toutefois invité Odinga à rejoindre son gouvernement, ce qui a apparemment exaspéré le vice-président Ruto.
M. Ruto s'est présenté aux élections présidentielles de 2022 contre la volonté de son patron, M. Uhuru, qui soutenait la candidature de M. Odinga.
M. Ruto, dont la famille n'a pas d'histoire politique nationale, a promis de mettre fin aux "dynasties politiques" du Kenya, en référence aux familles d'Uhuru et d'Odinga, qui ont de fortes racines politiques.
Il a battu M. Odinga d'une courte tête lors de l'élection présidentielle du 9 août 2022. Depuis lors, ils étaient devenus de féroces adversaires politiques...
Jusqu'à la dernière décision du président Ruto d'attribuer des postes ministériels importants aux lieutenants d'Odinga.