Des personnes fêtent leur soutien aux putschistes dans les rues de Libreville, au Gabon. Photo de la ville de Libreville : Reuters

Par Fırmaın Erıc MBADINGA

Pendant des années, une expression très connue des Gabonais et d'ailleurs conçue par ces derniers, a eu une valeur de ''mot de fin'' ou de point final . Cette expression n'est rien d'autre que ''on va encore faire comment ?'' Et contrairement à sa forme interrogative, cette expression a toujours été perçue comme un code commun de résignation absolue de la situation politique au Gabon, entraînant avec elle, tous les domaines de la société, du moins pour une bonne partie de la population.

En effet, beaucoup de Gabonais semblaient bien vivre sans grosse difficulté les 42 ans de gestation d'Omar Bongo, tout comme les 14 ans de son fils Ali Bongo qui lui a succédé après les élections de 2009. Et pourtant, les réactions observées aux premières secondes du coup d'État laissent croire que les gens, certains du moıns, ne vivaient plus bien cette hégémonie qui avait pris des allures de dynastie ''démocratique''.

En effet, au matin du 30 août 2023, de nombreux Gabonais sont sortis, chantant et dansant, afin d'accompagner les militaires dans leur parade ''triomphale '' marquant la prise symbolique du palais de présidentielle du Gabon. Et ce sentiment de joie, qui interroge réellement sur l'état d'esprit des Gabonais sous le règne des Bongo, anime même des personnes jadis considérées comme très proches du système déchu.

L'une des plus belles illustrations de ces soutiens improbables à la junte; la fille du président déchu ; Malika Bongo. La petite fille d'Omar Bongo Ondimba a en effet ouvertement salué l'alternance au Gabon.

''Mes Félicitations au nouveau Président de la Transition, son Excellence Brice Clotaire Oligui Nguema'' avait-elle écrit sur son compte Facebook peu après le putsch. Depuis le 30 août, c'est donc comme si une chape de plomb avait été levée, donnant libre cours à des avis et autres opinions différents de ceux qui sonnaient, presque qu'en chœur, en faveur d'un autre mandat d'Ali Bongo.

'' On n'avait pas le choix '' déclare Annie Ipendi, pour expliquer le silence dans lequel elle s'est toujours murée. À 41 ans, elle dit avoir pris conscience de la situation politique dans son pays alors qu'elle votait pour la première fois en 2005. '' je n'avais pas voté pour le PDG, ici à Port-gentil, on avait tous voté pour l'opposition'' dit la jeune dame qui exerce comme esthéticienne au quartier ''cuvette centrale'' à Port-Gentil , la capitale économique du Gabon.

''En 2005 l'opposition avait gagné, en 2009 et 2016 ; pareil et en 2016, vous avez vu ce qui s'est passé, on devait encore faire comment en 2023 ?'' s'interroge ironiquement la porgentillaise.

Depuis la prise du pouvoir par le général Olıgui qui a du reste promis de le rendre au terme d'une transition qui devrait durer deux ans, dans les rues de Libreville et des autres villes du pays, c'est en quelque sorte un vent de renouveau ,empreint d'espoir ,qui semble faire valser les populations.

''Du point de vue psychologique, le coup d’État constitue une rupture importante dans la vie du Gabon et surtout des deux millions de Gabonais, qui n’ont rien connu d’autre que les Bongos(…). La transition n’est pas seulement politique ; elle est aussi psychologique puisqu’on ne parlera plus jamais d’un nom (les Bongo) auquel les Gabonais étaient habitués, voire attachés.

Les Bongos ne dirigeaient pas seulement le Gabon ; ils faisaient partie de la vie des millions de Gabonais. Une réalité abruptement interrompue par le coup d’État'' pense Patrick Mbeko politologue canadien d'origine congolaise et spécialiste des enjeux géopolitiques de la région des Grands Lacs.

Dans cette rupture d'avec les Bongo, Patrick Mbeko suggère de faire un tri même au sujet des effets psychologiques auprès des populations.''le coup d’État au Gabon n’est pas vécu de la même façon dépendamment de la position qu’on occupe dans le pays.'' affirme le spécialiste canadien.

''Pour les tenants du régime déchu d’Ali Bongo, il s’agit d’une situation difficile à supporter, d’autant plus qu’on ne s’y attendait aucunement. Pour l’opposition, le coup d’État constitue un acte à la fois salutaire et porteur d’inquiétudes et de circonscriptions dans la mesure où il permet, certes, de se débarrasser des Bongos, mais ne dit rien quant à la suite des évènements.

En outre, on a salué la chute du régime, mais on est resté prudent sur la suite des choses. Le principal opposant gabonais, Albert Ondo Ossa, qui estime avoir remporté le dernier scrutin présidentiel, estime pour sa part qu’il s’est agi non pas d’un coup d’État, mais d’une '' révolution de palais '', argue Patrick Mbeko. Après cette analyse de principe qui encourage à distinguer ''l'ivraie du blé''.

''S’agissant de la population, on peut affirmer sans crainte d’être contredit qu’elle a bien accueilli le coup d’État militaire, elle qui a passé plus d’un demi-siècle sous la férule des Bongos. La surprise et l’euphorie des premiers jours passées, elle semble, à l’instar de l’opposition politique, aborder l’avenir avec une certaine dose de circonspection étant donné que les intentions des militaires au pouvoir demeurent floues, et leur chef, le général Brice Oligui Nguema, est un homme du sérail... '' explique-t-il.

Brice Oligui Nguema

Le droit de rêver et d'entreprendre.

Dans la célébration de cette alternance qui s'est imposée à elles, les populations gabonaises semblent, en effet, par moment, se poser des questions sur la bonne foi des putschistes qui ont entre autres promis une nouvelle constitution et des élections crédibles sous deux ans.

Néanmoins, les questionnements de ces populations paraissent minimes comparées à l'impact mental qu'ont les premières actions posées par la junte.''Il faut partir du principe que la situation politique dans un pays conditionne l'émancipation de sa population, ceci dans tous les secteurs. Pour s'épanouir socialement, il faut que l'écosystème soit favorable ou réponde à nos aspirations : le besoin d'entreprendre, de discuter, de dénoncer, pour ne citer que ces derniers.

Au Gabon, le système Bongo a favorisé l'émulation d'une certaine classe sociale, proche des couloirs du palais. Et avec, des familles se sont formées, des clans aussi. Ce qui n'a pas profité à tout le monde.'' déclare Boursier Tchibinda, journaliste et consultant en communication gabonais. Pour le fondateur de ''Gabon Mag'', l'impact de l'alternance en cours au Gabon dépasse même les clivages politiques.

''Avec du recul et de l'expérience vécus dans certains pays africains et européens, le sentiment d'épanouissement se manifeste par l'état de chaque système démocratique. Si les indicateurs sont au rouge, il favorise la minorité au profit de la majorité, s'ils sont au vert (cas de la France, du Sénégal), ils permettent de donner le pouvoir aux citoyens. J'ose espérer qu'avec la transition actuelle, l'épanouissement social et intellectuel devienne une réalité. Nous avons besoin de nous sentir bien, mieux valorisé avec des conditions qui favorisent l'éclosion sociale.'' conclut le journaliste formateur.

À en croire Tchibinda, un climat des affaires, une bonne gouvernance, bref une démocratie active contribue à un sentiment d'épanouissement des populations. Et en vue de ramener les voyants au vert, le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (la junte au Gabon) a entrepris une série d'actions avec notamment la traque des auteurs de détournements de fonds présumés parmi lesquels le fils du président déchu.

De l'avis de Guy Germain Mihindou Kanda, leader religieux obédience chrétienne, ces actions ont un impact majeur sur le mental des citoyens. ''Pour nous, les hommes de Dieu, ce changement a été une agréable surprise.'' explique-t-il.

''s'agissant de l'impact psychologique de cette alternance, on peut attester qu'il existe et va continuer de se produire. Celui qui est à la tête d'un état a forcément de l'influence sur ceux qui sont en bas. Quand cette influence est négative, cela a des répercussions sur les comportements.

C'est en effet celui qui est la tête qui a le pouvoir d'orienter, de dire et de faire voter certaines lois. En ce qui me concerne, ces derniers temps, avec le régime déchu, tout allait dans tous les sens.

On a vu la dépénalisation de l'homosexualité, on a vu la gabegie financière, ou même des faits de corruptions présumés qui ont prospéré. Et cela influence les comportements. Or ce changement, avec le CTRI, nous voyons qu'il y a une nouvelle rigueur qui inspire ''

Pour le leader religieux, l'idée selon laquelle l'alternance pourrait émanciper et libérer les mentalités est fondée. Et pour le cas du Gabon, cette idée se consolide fort des indicateurs de bonnes gouvernances et de rupture que la junte a présentés jusqu'ici.

Des indicateurs qui n'ont pas échappé à l'analyse de Patrick Mbeko.''Le 13 septembre dernier, le général Brice Oligui Nguema a annoncé vouloir relancer la ' task force ' chargée de traquer les '' fraudes '' et autres malversations dans les marchés publics.

C’est le genre d’annonce et d’action qu’on observe souvent au lendemain des coups d’État, les nouveaux maîtres du pays désirant afficher leur volonté de rompre avec les mauvaises habitudes du passé.

Ali Bongo Ondimba a dirigé le Gabon pendant 14 ans et s'était assuré un troisième mandat controversé avant son éviction mercredi. / Photo : AFP

Au Gabon, ce processus de récupération des fonds publics détournés revêt une dimension assez particulière dans la mesure où le nouvel homme fort du pays est un homme du sérail et est soupçonné de vouloir maintenir en place le système Bongo sans les Bongo''explique Patrick Mbeko.

''Pour ne pas être perçu par les Gabonaises et les Gabonais comme le chantre d’un changement dans la continuité, le général Brice Oligui Nguema se devait donc de prendre les grands moyens. C’est la seule manière de se distancier du régime qu’il a servi pendant des années avant de le renverser. Reste à voir s’il ira au bout de sa logique. Seul le temps nous dira'' commente Patrick Mbeko.

Si le philosophe demande à voir plus, Guy Germain Mihindou Kanda en homme d'Église, dit avoir la foi.'' Cette alternance m'amène personnellement à rêver plus grand, à croire que malgré la durée de la nuit, le jour finit toujours par poindre. Donc s'agissant de mes ambitions personnelles, je suis, je me sens revigoré d'espoir et d'assurance. Même dans mon travail, je crois encore plus au concept de ''délivrance'' et ''réalisation'' et de '' terre promise '' estime ce dernier.

La fuite des cerveaux

Les événements du 30 août au Gabon marqué par la chute des Bongo a eu une onde de choc pour tous les Gabonais y compris ceux vivant à l'étranger.Lola Ismaël Nzengue est ingénieur en data science. Loin de l'idee de renforcer la jubilation face à la chute du régime des Bongo, le trentenaire souhaite que cette alternance soit vraiment le début d'une dynamique qui crée les conditions de développement.

Arrivé en France en 2009 après avoir obtenu son baccalauréat, il dit avoir réalisé les limites dans son pays, même dans la possibilité de l'employer et de le payer conséquemment après sa formation.

''Quand je suis arrivé ici, j'avais simplement envie d'avoir des diplômes et de rentrer dans mon pays. Mais ce qui m'a choqué en venant ici, c'était de constater que mon pays était à des années lumières des autres pays en matière de développement. Aussi, je me suis rendu compte qu'au Gabon on nous a presque mis dans un état psychologique et social visant à ne pas mesurer les carences dans notre pays.

Ajouté à cela la différence qu'il y a dans la dynamique de développement et le sérieux qui y est consacré. J'ai eu du mal à décider de rentrer au Gabon. Aussi, je me suis dit que si je rentrais au pays et que je prenais des postures critiques comme des opposants que j'ai toujours vus dans mon enfance, je devais aussi être la cible de ce système. J'ai donc choisi de rester '' explique celui qui est aujourd'hui responsable data dans une structure de renom en France.

'' D'après mon analyse à moi, le système au pouvoir jusqu'au 30 aout avait mis en place un fonctionnement de ciblage qui voulait que si tu ne t'y alignais pas, tu recevais des coups. J'ai donc choisi de rester et de combattre ce système de l'extérieur et a ma manière.

L'idée de rentrer et de me radicaliser m'a d'ailleurs fait peur, car j'ai souvent vu des activistes qui une fois en séjour au pays ont été inquiétés. Face à cette situation où l'emprise était telle que les gens se limitaient à dire 'on va encore faire comment ?' , une phrase qui résume la résignation du peuple, j'ai préféré rester conclut-il.

Face à ce qui ressemble un peu à un procès post mortem, certains membres du Parti Démocratique Gabonais, l'ancien parti au pouvoir, suggèrent une évolution des mentalités dans une approche inclusive.

Pour Martinien Ferreri Moungala qui reste membre du PDG, le CTRI est dans une bonne dynamique en ce qui concerne sa politique d'assainissement des comptes et des finances publiques.

'' Les actions basées sur le respect d'autrui, le respect du droit, sur la raison participeront sans doute à un changement positif des mentalités, ce que nous approuvons.'' explique le juriste de formation.

''Au niveau entrepreneurial, nous encourageons le CTRI à faire en sorte que les Gabonais développent un esprit d'affairistes et s'il facilite les conditions d'accès aux marchés et si le climat des affaires est favorable aux citoyens, nous l'apprécierons. C'est de même l'occasion de nationaliser certaines responsabilités étatiques afin de créer des champions locaux.'' ajoute le membre du parti de l'ex-président Ali Bongo.

Pour Martinien Ferreri Moungala, ''l'importance historique'' de la transition qui a été entamée depuis le 30 aout dernier commande de surpasser les clivages partisans.''Ce qui doit primer en pareilles circonstances, c'est l'intérêt premier du Gabon, c'est donc pour cette raison que j'invite à l'inclusion des compétences des fils du pays ,afin à bâtir ensemble'' lance sur un ton ému Moungala.

Pour ce dernier, l'un des principaux challenges du pouvoir de transition sera sans aucun doute l'organisation des prochaines d'élections présidentielles.

TRT Afrika