Par Coletta Wanjohi
En mars 2023, un mari et père inquiet s'est rendu dans un poste de police au Kenya pour signaler la disparition mystérieuse de sa femme et de sa fille après avoir rejoint ce qu'il a dit être une congrégation religieuse.
Le plaignant a déclaré à la police qu'il les avait vu pour la dernière fois avant qu'elles ne quittent Nairobi pour se rendre dans une forêt isolée pour l'événement religieux, organisé par un pasteur identifié par la suite comme étant Paul Mackenzie.
La recherche du duo disparu a conduit les enquêteurs à la forêt de Shakahola, située à la lisière du vaste parc national de Tsavo East. Il s'est avéré que Mackenzie dirigeait une secte apocalyptique qui serait responsable de la disparition de centaines d'autres personnes sans laisser de traces.
Son domaine de 800 acres à l'intérieur de la forêt comportait des fosses communes d'où 400 corps ont été exhumés.
Certaines familles endeuillées ont depuis trouvé la paix en identifiant les restes de leurs proches grâce à des tests ADN et en accomplissant leurs derniers rites. Des dizaines d'autres attendent toujours des nouvelles de leurs proches disparus.
Mackenzie est toujours en détention, menant une bataille juridique qui risque d'être longue et dont les ramifications vont au-delà des horreurs de Shakahola.
Ramadhan Rajab, responsable de la campagne pour la liberté d'expression et l'espace civique à Amnesty International Kenya, constate des obstacles juridiques au traitement de ces affaires.
"Le Kenya n'a pas encore ratifié la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (ICPPED). Par conséquent, il est difficile de poursuivre ou de tenir les gens responsables des cas de disparition forcée", explique-t-il à TRT Afrika.
"Au Kenya, la disparition forcée n'est pas légalement un crime dont on peut être tenu responsable tant que le corps ou les restes de la personne disparue n'ont pas été retrouvés. Elle est considérée comme distincte de l'enlèvement, qui est un problème majeur."
Zone grise juridique
La CIPPED, adoptée par l'Onu en 2006, est entrée en vigueur le 23 décembre 2010.
La convention stipule que "tout État partie prend les mesures nécessaires pour tenir pour pénalement responsable au moins toute personne qui commet, ordonne, sollicite ou encourage la commission d'une disparition forcée, tente de commettre une disparition forcée, s'en rend complice ou y participe".
Une douzaine de pays africains l'ont ratifiée, mais pas le Kenya.
A Nairobi, il a été reproché aux gouvernements successifs de ne pas avoir renforcé les dispositions légales permettant des poursuites rapides dans les cas de disparitions forcées autres que les enlèvements avérés.
Le 21 avril dernier, le président William Ruto a déclaré lors d'un service religieux : "Sans crainte d'être contredit, il n'y aura plus jamais d'exécutions extrajudiciaires".
Moins de trois mois plus tard, le 12 juillet, le pays a été choqué par la découverte des corps de six femmes jetés dans une décharge à Nairobi, ce qui a fait craindre d'autres cas de disparition forcée.
Trois jours plus tard, la police a arrêté un homme qui, selon elle, a avoué avoir tué 42 femmes. Le 15 août, il se serait échappé d'un poste de police où il était détenu.
En Ouganda, un autre pays qui n'a pas encore ratifié la Convention, Sarah Damulira a vu son mari, John, pour la dernière fois il y a quatre ans.
"Nous avons appris qu'il avait été arrêté. Je l'ai cherché dans les prisons et je n'ai trouvé aucune trace", explique à TRT Afrika Sarah Damulira, qui a dû élever seule ses sept enfants.
John a disparu en novembre 2020, au moment où le chanteur et parlementaire ougandais Robert Kyagulanyi, alias Bobi Wine, lançait une campagne visant à évincer le président Yoweri Museveni.
Les groupes de défense des droits soupçonnent que la disparition de John, l'un des nombreux cas non résolus en Ouganda, est d'une manière ou d'une autre liée à la situation politique de l'époque.
Un problème généralisé
Selon les données de la Croix-Rouge, plus de 71 000 personnes sont portées disparues en Afrique en 2024, soit une augmentation de 75 % par rapport à 2019.
Les conflits armés prolongés dans certaines parties du continent, les catastrophes naturelles et le changement climatique sont quelques-uns des facteurs responsables de cette situation.
De nombreuses personnes, en particulier dans les pays de la Corne de l'Afrique, ont disparu en prenant le risque de se rendre illégalement dans divers pays à la recherche de ce qu'elles croyaient être des pâturages plus verts.
"La question des disparitions, y compris des disparitions forcées, reste l'une des conséquences humanitaires les plus préjudiciables et les plus longues des conflits armés et autres situations de violence. Cette situation est particulièrement pénible pour les proches, qu'il s'agisse d'une épouse en attente ou d'un fils au cœur brisé", déclare Patrick Youssef, directeur régional de la Croix-Rouge pour l'Afrique.
La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples s'est jointe à d'autres agences internationales pour appeler à une action mondiale afin de mettre fin à ce fléau.
"Nous renouvelons notre solidarité avec les victimes de disparitions forcées, ainsi qu'avec les organisations, les défenseurs des droits de l'homme et les avocats qui les soutiennent", indique une déclaration commune.
Appel à l'action
Alors que le monde entier a célébré la Journée internationale des victimes de disparitions forcées le 30 août, les agences de défense des droits de l'homme ont exhorté les pays africains à participer au premier Congrès mondial sur les disparitions forcées, prévu les 15 et 16 janvier 2025 à Genève, en Suisse.
La réunion visera, entre autres, à promouvoir la ratification universelle de la Convention internationale.
"La ratification de la convention permet de créer des lois nationales pour traiter ce problème", explique M. Ramadhan.
"Pour les victimes, la disparition forcée est un acte de torture et d'intimidation. Pour leurs familles, c'est un traumatisme, d'autant plus qu'elles ne parviennent jamais à tourner la page."