Par Firmain Eric Mbadinga
Ses jeunes fans l'appellent "Aquaman", en clin d'œil au personnage éponyme de DC Comics. Mais Mamadou Diakhaté n'est pas un super-héros de fiction doté de pouvoirs divins, à l'inverse du héros du grand écran. Diakhaté lui est fait de chair, de sang et surtout d'un cœur.
Enseignant de formation, ce Sénégalais de 36 ans a consacré sa vie à creuser des puits dans les régions de son pays natal où il est difficile d'obtenir de l'eau tous les jours de l'année pour répondre aux besoins domestiques tels qu'irriguer les terres agricoles et élever le bétail.
Et en 4 ans de bénévolat, mais surtout d'engagement citoyen, Mamadou Diakhaté et l'équipe d'ouvriers qui l'accompagne sont parvenus à creuser un total de 106 puits.
Dans un pays où les pluies tendent à diminuer, favorisant l'avancée du désert, notamment dans le nord du pays, l'engagement de Mamadou Diakhaté est apprécié avec beaucoup de chaleur.
Novembre dernier, Philippe-Auguste Moundor Sène, chef du service régional de l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie du Sénégal précisait qu'en 2023, le pays avait connu une baisse des précipitations reparties sur seulement une cinquantaine de jours pour toute l’année.
C'est cette tendance à la baisse des ressources hydrauliques, associée à l'absence de système d'adduction d'eau dans certaines régions qui ont poussé Mamadou Diakhaté à agir.
"Quand on est enseignant au Sénégal, on travaille surtout dans les régions reculées du pays. C'est dans l'un de ces villages où j'étais affecté que quelque chose m'a poussé à m'impliquer dans le bien-être de la communauté", explique-t-il à TRT Afrika.
'' C'est dans le village où j'ai servi pour la première fois que j'ai eu le déclic, ce déclic qui m'a poussé à vraiment m'impliquer pour le bien-être des communautés", explique l'enseignant de 36 ans qui avait été affecté dans la région de Kaolack dans le centre-ouest du Sénégal, précisément a l'école publique du village Darou Salam Mouride.
Le modèle participatif
Le mode de financement du puits construit au village Darou Salam Mouride est le même qui s'appliquera pour la centaine d'autres qui ont suivi, à savoir le financement participatif.
Mamadou avait lancé un appel à contribution sur les médias sociaux dont le succès va permettre d'acheter les matériaux et s'entourer d'une équipe de personnes spécialisées dans le creusage de puits.
Depuis ce premier puits, ce sont les populations dans le besoin qui contactent elles-mêmes Mamadou qui lui effectue ensuite une première visite d'inspection dans la zone concernée, afin d'évaluer l'urgence et les possibilités pratiques de construction d'un puits.
La joie manifestée par les populations pendant l'exécution des chantiers, mais surtout à leur livraison, constitue pour ''Aquaman'' et son équipe la première des satisfactions.
'' Tous ces puits aujourd'hui ont vu le jour grâce à la communauté, grâce au financement participatif. On peut dire qu'on a des puits dans la région de Kaolack, dans la région de Diourbel, dans celle de St-louis, dans la région de Matam, Zinguinchor, Sédhiou, ou encore Fatick'' explique Mamadou Diakhaté à TRTAFrika.
Les ajustements personnels
Concilier son devoir d'enseignant et sa passion pour l'humanitaire n'a pas été du tout facile dans les débuts pour Mamadou.
Mais grâce à l'expérience et ses aptitudes dans le secteur éducatif, Mamadou a pu monter en grande et être affecté dans une section qui le maintient dans l'enseignement, mais en l'éloignant du tableau et de la craie, ce qui lui permet donc de faire les deux tâches plus facilement.
Comme dans tout chantier de construction, Mamadou Diakhaté dit enregistrer de temps en temps des accidents et autres blessures dus au caractère ardu et besogneux de certains sites qui varient les uns les autres, en fonction de leur structure géotechnique.
Des incidents de cette nature ont poussé l'ensemble de l'équipe à réaménager son planning de travail. Plus personne ne travaille de nuit ou sous pression afin de minimiser les facteurs de risques.
Adopter les meilleures pratiques
Les puits sortis de terres par Mamadou et son équipe ont pour la plupart une profondeur de 25 mètres et nécessitent une trentaine de jours de travaux. Pendant la phase d'exécution, le gîte et le couvert sont fournis par la communauté qui bénéficie de l'ouvrage.
Sur une période d'un mois, les différentes équipes déployées peuvent construire 4 puits.
Parlant de temps, Diakhaté reconnait néanmoins que son engagement citoyen est quelque peu chronophage, avec parfois des conséquences dans sa vie personnelle.
"Je voyage beaucoup. La dernière fois que j'étais sur le terrain, j'ai parcouru près de 1 600 kilomètres. J'ai été absent de Dakar pendant 15 jours avant de revenir le soir du Nouvel An. C'est beaucoup de route, c'est dur, mais on essaie quand même de continuer", explique l'Aquaman sénégalais.
Dans le but de susciter une plus grande implication de la communauté et de l'État pour les questions d'adduction d'eau dans les zones rurales, Mamadou formule des players lors de colloques et conférences liés à l'eau.
"Les décideurs doivent tout mettre en œuvre pour que l'écart abyssal en matière d'approvisionnement en eau entre nos villes et l'intérieur du Sénégal soit réduit, voire comblé", déclare-t-il à TRT Afrika.
"J'ai parcouru de nombreuses régions et des dizaines de villages, j'ai rencontré des notables. Les faits parlent d'eux-mêmes : certaines zones ont besoin de plus d'assistance pour accéder à des biens essentiels tels que l'eau".
En 4 ans d'engagement citoyen et social, ''Aquaman'' des villages du Sénégal dit n'avoir pas encore reçu de distinctions ou toute autre forme d'encouragement venant des pouvoirs publics et affirme que cela n'est pas le but recherché.
En revanche, certaines structures ont offert leur aide dans le cadre de leurs engagements en matière de responsabilité sociale des entreprises. L'une d'elles a par exemple offert récemment 15 millions de francs CFA pour financer la construction de 15 puits dans tout le pays.
Mamadou publie régulièrement sur ses réseaux sociaux des images de puits construits dans les zones rurales du Sénégal. En plus de la construction de puits, il est également engagé dans la réhabilitation des écoles de village délabrées, en utilisant la même formule que celle qui a permis à ses puits de contribuer à la lutte contre la pénurie d'eau dans certaines régions du pays d'Afrique de l'Ouest.
Dans les yeux des populations rurales reconnaissantes, l'amour pour l'"Aquaman" sénégalais grandit de jour en jour.