Par Firmain Eric Mbadinga
Quand il souhaite consommer du riz, françis Fiocca le préfère moelleux, c'est-à-dire du riz préparé avec de l'eau, de l'huile et quelques ingrédients en plus, et dont la cuisson finale donne un gout plutôt doux.
Et du riz moelleux, ce n'est pas ce qui manque au Sénégal où l'étudiant ivoiro-italien vit. Le pays doit une partie de sa réputation à son ''Tiep Bou Dien'' qui veut dire ''riz au poisson'' en langue wolof. En 2021, ce plat a même a été inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'Unesco.
Et à Dakar, la capitale, Abby Khane, qui tient un restaurant au quartier Ouest-Foire, affirme quant à elle, que dans tous ses menus quotidiens, le riz est l'aliment principal. ''Chaque jour que Dieu fait, on mange du riz'' lance la restauratrice.
''Dans tous les plats que je propose à ma clientèle, il y a toujours du riz au menu. Même quand il m'arrive de vouloir varier l'offre avec des plats comme des sauces à la viande qui peuvent être accompagnées de pain ou de tubercule. Il faut toujours prévoir du riz à côté. On fait du mafé, yassa, tout ce que l'on propose, il faut du riz comme accompagnement'' explique Abby Khane qui souligne au passage que la quantité de riz préparée par jour trouve toujours acheteurs.
L'effervescence qui caractérise le restaurant d'Abby témoigne de l'intérêt qu'ont les populations du continent pour cet aliment, qui est la plupart du temps importé d'Asie. Afin de répondre à la demande des millions d'Africains qui aiment la saveur du riz, les gouvernements africains, notamment ceux des pays au sud du Sahara, dépensent par année des dizaines de millions de dollars chacun.
En 2023, les dépenses cumulées en Afrique en général sont estimées à 13,5 milliards de dollars. Un montant qui pourrait atteindre les 15,72 milliards de dollars en 2028, soit un taux de croissance de 3,41%, de l'avis de Jean-Louis Mbadinga, conseiller sénior du Vérificateur général du Québec.
Jean-Louis Mbadinga, qui est, entre autres, expert international en audit et en gestion des finances publiques,pense qu'en en tonne métrique, en 2023, la taille du marché de la consommation de riz en Afrique sera d’environ de 50 millions tonnes pour une importation d’environ 18 millions de tonnes.
''En 2022, l'Afrique a presque atteint un record en important près de 20 millions de tonnes de riz, représentant 40% du commerce mondial de riz. Cette forte dépendance s'explique par une production locale impactée par la pandémie et une demande toujours croissante, augmentant de 2 à 3% par an. Pour les années à venir, la croissance de la production de riz des producteurs africains ne pourra probablement pas suivre la demande, principalement due à la croissance démographique '', explique l'expert international originaire du Gabon.
Les indicateurs avancés par l’économiste confirment donc l’hypothèse qui suggère que les États africains importent des quantités de riz plus importantes qu’ils n’en produisent pour satisfaire les populations.
Cette réalité pose de fait la question du rapport de ces populations à cet aliment importé la plupart de temps de Chine, d'Inde, de Thaïlande ou d'Indonésie.
"Cette dépendance expose les économies africaines aux variations des prix mondiaux, entraînant ainsi une augmentation considérable de la facture des importations de riz sur le continent. Cette situation est particulièrement notable chez les quatre principaux importateurs de riz en Afrique, à savoir la Côte d'Ivoire (8,9%), l'Afrique du Sud (8,8%), le Sénégal (6,9%) et le Ghana (6,4%)" avance Jean-Louis Mbadinga
"Le reste de l'Afrique représente quant à lui 69% de cette dépendance. Avec la croissance démographique et l'évolution des habitudes alimentaires des consommateurs, il est fort probable que ces chiffres connaîssent une augmentation notable dans les années à venir’’ renchérit -t-il.
L'arrivée du riz en Afrique
Afin de bien comprendre comment le riz est parvenu à se faire une place si importante dans le panier de la ménagère en Afrique, il faut remonter le temps.
''En Afrique en général, les sociétés africaines connaissaient le riz sous sa forme brute, sauvage. Mais, il faut avouer que c'est durant la Seconde Guerre mondiale que des pays comme le Tchad ont le plus connu et cultivé cette céréale, quand les colons français ont amené les populations à cultiver du riz pour leur consommation à eux, notamment pour nourrir leurs soldats'' rappelle Félix Mbeté, sociologue tchadien.
Le sociologue de préciser que les colons ont introduit de nouvelles variétés de riz qu'ils ont ensuite fait cultiver par les populations locales dans les zones bordées d'eau.
''Il faut le dire, pour beaucoup de populations, le riz est un produit de couleur blanche, c'est amené par le blanc, et tout ce qui est blanc a une certaine valeur supérieure pour ces populations. Et comme le disait un illustre homme politique (Thomas Sankara), la colonisation ne se limite pas aux idées ou à un processus mental, elle est aussi dans nos plats. Dans toutes les sociétés africaines, on voit du riz importé qui crée une dépendance. ''ajoute Félix Mbeté.
Le sociologue pense que pour mettre un terme à cette dépendance, les gouvernements africains pourraient aider les agriculteurs locaux dans la culture de produits alimentaires de substitution adaptés au sol africain. Le sociologue parle de produits tels que le maïs, le sorgo.
De nos jours, beaucoup de pays font de la question de l'alimentation une arme redoutable et comme on le voit de plus en plus, beaucoup de révoltes dans plusieurs pays sont parties de la simple question du prix du riz, du pain ou du blé.
‘' Les coûts associés à ces importations exercent une pression significative sur les budgets nationaux, impactant inévitablement les balances commerciales des pays du continent. Un exemple frappant de cette dynamique se manifeste en Côte d'Ivoire et au Sénégal, où les importations de riz demeurent élevées, même après les efforts déployés récemment par les autorités pour stimuler la production locale" note Jean-Louis Mbadinga.
"Les chiffres indiquent une moyenne annuelle d'importation d'environ 700 000 tonnes pour la Côte d'Ivoire et environ 500 000 tonnes pour le Sénégal. Ces importations ont un gros impact déficitaire sur la balance commerciale de la Côte d'Ivoire, sur celle du Sénégal" alerte l'expert international en audit et en gestion des finances publiques.
Changement d'approche
Comme l'a indiqué Félix Mbeté, une culture du riz local existe bien sur le continent. Cette production, était, à titre d'exemple, estimée à environ 4 % de la production rizicole mondiale entre 2019 et 2020. Ce qui représente seulement 4 grains de riz dans une assiette qui devrait en compter 100.
Avec près de 600 millions d'hectares de terres arables non exploitées, représentant 60% du total mondial, l’Afrique, celle au sud du Sahara en particulier, peut encore soit par la diversification des produits, soit par l’optimisation de la culture du riz, mettre un terme à cette dépendance au riz importé.
"Les nations africaines devraient envisager la diversification alimentaire en encourageant leur secteur agricole à cultiver d'autres céréales et cultures locales, réduisant ainsi la dépendance au riz. Dans cette optique, il serait essentiel d'inclure des allocations budgétaires destinées à soutenir la recherche agricole, visant la réintroduction de cultures délaissées ou le développement de variétés locales résilientes pour améliorer les rendements" propose Jean-Louis Mbadinga.
Des idées suggérant un plus grand investissement dans la mise en œuvre des programmes de formation destinés aux agriculteurs, afin de renforcer leurs compétences, favoriser l'adoption de pratiques agricoles durables dans le but d’optimiser les rendements, sont aussi avancées par le spécialiste.