Le directeur exécutif du Groupe d'initiative de Bakou, Abbas Abbasov, est l’ancien vice-premier ministre de l’Azerbaïdjan (1992-2006). Il a publiquement soutenu la mobilisation kanak contre la réforme électorale lancée par la France. “Les émeutes ne sont que le résultat de la politique française qui essaie d’imposer une réforme au peuple Kanak”, a-t-il confié à TRT français.
Gérald Darmanin, le ministre français de l’Intérieur, a carrément accusé l'Azerbaïdjan d’ingérence, citant comme preuve la présence de drapeaux azerbaïdjanais sur les barricades des émeutiers. Cette accusation fait sourire Abbas Abbasov. “Notre ONG soutient les mouvements indépendantistes. Nous réactivons un des principes fondamentaux du mouvement des Non-alignés. Nous travaillons à partir des résolutions de l’ONU. Nous n’avons pas la même façon de penser que le gouvernement français.”
A Nouméa, on minimise aussi le soutien de l’ONG. Roch Wamytan, le président du Congrès calédonien admet, dans des propos recueillis par TRT Français, être en contact avec le Groupe d’initiative de Bakou mais de là à imaginer une machination étrangère en Kanaky, l’élu calédonien s’en amuse. “Dans les années 80, Paris accusait la Libye d’être à l’origine de la mobilisation kanak. C’est un vieux truc qu’ils nous servent à chaque fois qu’il y a des tensions”, a-t-il affirmé.
Relancer le mouvement de décolonisation
Le groupe d’initiative de Bakou a été créé en juillet 2023 par les pays membres du Mouvement des non-alignés. Né en pleine guerre froide pour donner une voix à ceux qui ne voulaient appartenir ni au bloc américain ni au bloc russe, ce mouvement a soutenu les luttes de décolonisation dans les années 60, et a établi, en 1979, plusieurs principes de lutte, comme la lutte contre le néo-colonialisme, le racisme ou la ségrégation.
L’organisation comprend 120 pays dont l’Azerbaïdjan qui assurait la présidence du mouvement de 2019 à 2024. Et c’est sous la présidence azerbaïdjanaise que le groupe d’initiative de Bakou est né en juillet 2023 avec comme mission d’informer les populations sur les droits et les règles internationales en matière de décolonisation.
La France se veut une puissance pacifique
Le moins qu’on puisse dire c’est que cette jeune ONG est active, elle a organisé neuf conférences en huit mois, dont certaines aux Nations Unies. Le groupe est en relation avec les mouvements indépendantistes d’Outre-mer. Ainsi, le 16 mai dernier, alors que les émeutes secouaient l'archipel calédonien, l’ONG a organisé une visioconférence avec tous les mouvements indépendantistes des territoires d’outre-mer français pour discuter de la situation à Nouméa. Paris n’a évidemment pas du tout apprécié cette initiative.
L’ONG creuse son sillon et aujourd’hui tous les mouvements indépendantistes de Martinique, Guadeloupe, Guyane, de Polynésie et de la Corse postent leurs publications. Les commentaires des uns et des autres ne sont guère positifs envers la France accusée au fil des pages de “néo-colonialisme”.
La Polynésie et la Nouvelle-Calédonie sont sur la liste des Nations unies des territoires à décoloniser. En Martinique et en Guadeloupe, certains aujourd’hui aimeraient y ajouter leur île. Le Groupe d’initiative de Bakou soutient aussi la souveraineté de l’Union des Comores sur le département français de Mayotte qui de fait est situé dans le même archipel. De là à parler d’ingérence, c’est un pas que Paris n’a pas hésité à franchir.
Le travail du Groupe d’initiative de Bakou passe forcément mal à Paris qui y voit un danger de propagation des idées indépendantistes aux autres territoires d’Outre-mer. Au-delà de l’embarras et des tensions que cela pourrait provoquer, cela vient contrarier la stratégie française dans cette région. La France se veut une puissance indo-Pacifique au même titre que la Chine et les États-Unis. Les territoires français d'Outre-mer vont des côtes orientales de l'Afrique aux côtes occidentales des Amériques avec Mayotte, l'île de la Réunion, la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, et la Polynésie française.
L’Outre-mer choqué par les émeutes en Nouvelle-Calédonie
Dans ce rêve diplomatique français, la Nouvelle-Calédonie est centrale puisque l’archipel est en plein milieu du Pacifique mais les émeutes de ces derniers jours, avec ses sept morts, ont été mal vécues dans tous les territoires français de l’Océan Indien et du Pacifique. Paris est jugée responsable de la dégradation de la situation à Nouméa.
Sur les réseaux sociaux, les commentaires acides ou désabusés sur la “France coloniale” abondent. La visite surprise d’Emmanuel Macron jeudi 23 mai est moquée, “c’est le pompier pyromane qui vient éteindre le feu”, peut-on lire. “Vu de nos voisins mélanésiens, la faute est entièrement celle d'un État français néocolonial qui n'écoute pas sa population première", analyse Marianne Péron-Doise, chercheuse à l'Institut de relations internationales et stratégiques à Paris.
Les émeutes créent un terrain favorable pour le Groupe d’initiative de Bakou qui l’exploite à fond. La position de la France et sa crédibilité sont au plus bas. En Nouvelle-Calédonie, Paris revient sur les accords de 1998 qui devaient permettre la décolonisation. Les Kanaks ont reçu des messages de soutien de la Martinique, Guadeloupe, Guyane, Polynésie, avec parmi eux des élus comme des députés ou des présidents de région qui soutiennent que la France veut empêcher un peuple de s’émanciper.