En France, la mort tragique d’un adolescent d’origine maghrébine, abattu au volant d’une voiture à bout portant par un policier, et les émeutes dévastatrices qui ont suivi ont mis à nu les profondes tensions qui subsistent entre les forces de l’ordre et les minorités vivant dans les zones urbaines les plus pauvres du pays. Ce nouvel incident a également ravivé les accusations de “violences et de racisme systémiques” dans les rangs de la police française.
Des émeutes ont éclaté suite à la mort de Nahel mardi dernier, lors d'un contrôle routier dans la banlieue parisienne de Nanterre. Comme dans le cas de George Floyd, un Afro-américain étouffé par des policiers de Minneapolis aux États-Unis en 2020, une vidéo du malheureux incident a largement circulé sur les réseaux sociaux, provoquant un tollé massif.
Des barricades érigées, des voitures et des bâtiments publics incendiés et des magasins pillés. Il s'agit des émeutes les plus graves que le pays ait connues depuis 2005, à la suite de la mort accidentelle de deux adolescents lors d’une poursuite policière.
La police cible de critiques virulentes
Ce n’est pas la première fois que la police en France se trouve impliquée dans des incidents qui l’incriminent et mettent en cause le respect de ses éléments pour les droits humains.
Quelques jours après la mort de Nahel, la porte-parole du Haut commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme a épinglé l’Hexagone pour les “profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre”.
Paris a rapidement réagi à cette accusation par le biais de son ministère aux Affaires étrangères qui a affirmé que toute accusation de racisme ou de discrimination systémiques par les forces de l'ordre en France était totalement infondée.
“Il n'y a pas de problème de racisme systémique dans la police. La police n'est pas raciste, mais il y a des racistes dans la police. Ce sont des cas isolés, Il y en a beaucoup, mais cela ne revêt pas un caractère générique”, a commenté Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Securité en Europe (IPSE) lors d’une interview accordée à TRT Français.
Pour M. Dupuy, il n ' y a nullement lieu de parler de “racisme institutionnel” en France. “La police ne reçoit aucun ordre particulier pour cibler une catégorie de Français”, a-t-il poursuivi.
Pourtant, une enquête réalisée en 2017 par le +Défenseur des droits+, entité chargée d'améliorer les relations entre le citoyen, l'administration et les services publics a révélé que les jeunes hommes perçus comme arabes ou noirs étaient 20 fois plus susceptibles d'être arrêtés en France pour un contrôle d'identité que le reste de la population.
Les minorités en ligne de mire
Selon des statistiques officielles, pendant la seule année 2022, 13 personnes ont été tuées par la police pour “refus d’obtempérer”, sept d’entre elles portent des prénoms de personnes de confession musulmane.
Pour le politologue et ex-directeur de recherches à l’Institut de recherches et d'études sur le monde arabe, François Burgat, les membres de la communauté musulmane font l’objet depuis plusieurs années de “multiples formes de stigmatisation très spécifiques”.
Lors d’une interview avec TRT Français, M. Burgat a souligné que “les musulmans sont maltraités en France principalement parce qu’ils appartiennent à cette génération des “descendants des colonisés” que les “descendants des colonisateurs” refusent avec obstination, et de longue date, de traiter à égalité”.
“Il est de ce point de vue très révélateur que les Français descendants de sociétés africaines de culture autre que musulmane souffrent d’un identique ostracisme”, a-t-il renchéri.
Depuis trois ans, a poursuivi Burgat, et notamment depuis que le président Macron a réalisé qu’il lui fallait, pour être réélu, concurrencer l’extrême-droite sur son terrain (la stigmatisation raciste des dernières générations de l’immigration), les provocations se sont multipliées.
Quels remèdes ?
Le président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) a insisté sur l’importance de faire porter le débat sur l’intégration des communautés des banlieues dans la société française et non sur la “violence de la police” dont il réfute l’existence.
L’extrême-droite en France a longtemps tenu l’immigration pour la cause des problèmes de la France.
La délinquance et l’insécurité seraient ainsi le fait des immigrés. Le chômage serait lié à la présence d’étrangers qui occupent des emplois censés revenir aux Français. Sans craindre la contradiction, les immigrés sont aussi présentés comme des gens sans travail qui profitent de la générosité de l’Etat-providence. Enfin, l’identité française serait menacée par l’arrivée de populations trop éloignées culturellement des mœurs nationales.
Pour M. Dupuy, il ne faut pas faire jouer à la police le rôle qui n'est pas le sien, la police étant chargée d'assurer l'ordre. “La police n'est pas là pour assurer la cohésion nationale. Ça, c'est un faisceau qui est beaucoup plus large, qui implique la justice, l'éducation nationale, l'économie et une prise de parole forte de ceux qui sont garants de l'unité républicaine, c'est à dire l'exécutif et accessoirement le législatif et législateur qui votent la loi », a noté M. Dupuy.
Interrogé sur les solutions que le gouvernement français peut trouver pour mettre un terme aux émeutes et à la violence policière, M. Burgat a de son côté indiqué qu’il existe des mesures d’apaisement à court terme.
Celles-ci incluent, selon le politologue, le fait de donner aux institutions de contrôle des forces de police une crédibilité que l’actuelle Inspection générale de la police nationale (IGPN), totalement discréditée, a définitivement échoué à acquérir ou encore de rétablir cette police dite “de proximité” supprimée par le Président Sarkozy.
Mais sur le fond, a insisté M. Burgat, le chantier est beaucoup plus important. Il s’agit, selon lui, de “restaurer, ou d’instaurer, la légitimité et les droits entiers de cette France de la diversité héritée en droite ligne de l’aventure coloniale, à qui la République ne semble pas encore s’être résolue à ouvrir véritablement ses portes”.
Certes, l’intensité des violentes émeutes a faibli par rapport aux premiers jours suivant la mort de Nahel, mais la tension entre la police et la population des banlieues en particulier est loin d’être dissipée.
Selon les propres termes du président français Emmanuel Macron "Même si le calme est revenu, je considère que l'on ne peut pas faire comme si rien ne s'était passé". Il reste à savoir si Macron réussira à prendre les mesures adéquates pour mettre fin à cette situation explosive.