Par Jean Charles Biyo’o Ella
"Elle avait promis de nous ramener dans nos villages, une fois le territoire pacifié de la rébellion armée. Trois générations sont passées, la promesse n’a pas été tenue".
Ce sont les propos de Samuel Moth, député Camerounais, militant du parti au pouvoir. Cet homme politique, se présente comme le porte-voix de la communauté Banen, à laquelle il appartient.
Avec son projet "retour aux sources", il veut fédérer, ses frères, déplacés de la guerre coloniale française, des localités du Nkam et de la Sanaga-Maritime, désireux de réinvestir leurs terres, 60 ans plus tard.
Vestiges de la guerre d’indépendance
Entre 1955 et 1971, le Cameroun, qui, malgré son indépendance acquise le 1er janvier 1960 est toujours sous l’influence de l’administration coloniale française.
Sur le plan sécuritaire, des nationalistes du parti UPC (l’Union des populations du Cameroun), créée en 1948, livrent une guerre sans merci, contre le "colonisateur". Car, en 1919, après la défaite de l’Allemagne à la première guerre mondiale, la SDN, ancêtre de l'ONU, avait placé la majeure partie des colonies allemandes dont le "Kamerun" sous la tutelle de la France. Mais en pratique, le Cameroun sera géré comme une colonie française. Ce qui ne plait pas à l’UPC et son leader Ruben Um Nyobé. Ce dernier sera assassiné, croit-on savoir, par l’armée française le 13 septembre 1958.
Interdit et réprimé dans le sang, le parti UPC entre dans la clandestinité. C’est alors dans ce contexte, que la communauté Banen, située non loin de la cote camerounaise, est appelée à libérer ses territoires. Objectif pour l’administration, débusquer et déloger dans la forêt, ces nationalistes considérés comme des rebelles (maquisards). Pour nettoyer la zone des rebelles, plus de 37 villages seront détruits, et plus 51 000 villageois seront poussés à un exile forcé.
Que sont-ils devenus 60 ans après?
La communauté dessouchée de sa base est éparpillée depuis 60 dans le pays, sans aucun repère.
"Nos parents ont été persécutés, tués et leurs maisons brulées", confie Miloumi, le chef du village Indikibassiomi et fils de combattant. Vêtu de sa tenue traditionnelle, il confie que la communauté Banen face à la pression de l’armée française à l’époque, s’est disloquée. "Nous sommes déconnectés de nos racines, c’est pour cela qu’on doit retourner dans nos ‘’vrais’’ villages", renchérit-il.
En Juillet 2022, alors qu’il effectuait une visite au Cameroun, Emmanuel Macron avait demandé à des historiens de "faire la lumière" sur l’action de la France, pendant la colonisation et après l’indépendance du Cameroun. Par la même occasion, il annonçait "en totalité" l’ouverture des archives françaises.
"Il convient d’établir actuellement les "responsabilités", avait-il promis, lors d’une conférence de presse conjointe, avec son homologue Camerounais Paul Biya à Yaoundé. En février dernier, il a annoncé, la création d’une "commission-mémoire". Celle-ci, co-dirigée par l’historienne française Karine Ramondy et le chanteur camerounais Blick Bassy, doit livrer sa copie en fin d’année 2024.
Domaine privé de l’Etat
A quand le retour aux sources 60 ans après ? La question revient régulièrement dans des discussions entre les membres de l'ethnie Banen au Cameroun. Alors qu’ils attendent la réponse, pour la fin probable de leur "exil forcé", un couperet s’abat sur la communauté le 27 Avril 2023. Un décret du premier ministre classe le territoire d’ancêtres Banen, dans le domaine privé de l’Etat. Le même texte, le converti en unité forestière d’aménagement constituée (UFA).
Une décision qui, selon Greenpeace "replonge les communautés Banen dans l’épisode de 2020, qui les avait privés de leurs terres" avant que l’Etat ne revienne sur sa décision.
Cependant, pour apaiser la colère des populations, le texte du chef du gouvernement, consacre, le retour des populations sur leurs terres ancestrales, tel que formulés par certains demandeurs.
Aussi, fait-il mention du respect des enclaves créées à l’intérieur du domaine forestier et délimitées autour des anciens villages identifiés lors de l’élaboration du plan d’aménagement.
Toute chose devant entrainer, un désenclavement rapide et faciliter le retour des populations sur leurs terres.
Selon un responsable du ministère camerounais en charge des questions forestières, "le texte du premier ministre est un peu plus clair qu’on ne saurait le commenter" !
Pour lui, toutes les terres appartiennent à l’Etat, qui en fait ce qu’il veut, pour le bien de ses populations. Pour ce qui est de ce territoire anciennement occupé, aujourd’hui, de venu massif forestier, "l’Etat, en le classant dans son domaine privé, a par la même occasion, répondu aux doléances des populations.
Lesquelles, souhaiteraient pour certaines, renouer avec leurs ancêtres. Raison pour laquelle, les opérateurs qui exploiteront les richesses de la zone, auront l’obligation de la désenclaver au préalable, en créant des routes pour relier des anciens villages", explique notre source.
La ruse de l’Etat
C’est "une duperie, une ruse" ! S’offusque Victore Yetina, l’un des chefs traditionnels Banen opposés au décret du premier ministre.
Pour lui, "l’Etat du Cameroun est dans un processus masqué d’accaparement de terre, avec la complicité d’une certaine minorité".
S’il n’est pas totalement contre l’exploitation forestière en vue, il redoute qu’elle ne bénéficie qu’à une minorité, au détriment de la communauté. "Faux", rétorque le député Samuel Moth, défenseur de la position gouvernementale. Pour lui, ce décret est une sacrée aubaine pour la communauté Banen.
Riche d’un réservoir de captation de 35 millions de tonnes de carbone, et d’une espèce faunique rares au monde, le massif forestier d’Ebo, est au centre des divergences.
Les déplacées Banens, multiplient des offensives pour retourner et conserver leurs droits coutumiers. L’État, vise pour sa part des recettes fiscales; les sociétés forestières, et agro-industries, lorgnent des essences et des terres arables que regorgent la zone; et des ONG, militent pour la conservation de cet écosystème.