Par Awa Cheikh Faye
La CEDEAO, bloc régional, politique et économique de 15 pays d'Afrique de l'Ouest créé en 1975, est peut-être en proie à une crise existentielle après avoir traversé des décennies en dents de scie.
Malgré la suspension et les sanctions imposées à trois États membres qui ont été le théâtre de coups d'État militaires depuis 2020, un autre pays, le Niger, a rejoint la liste des pays dirigés par des juntes le 26 juillet.
La menace d'une intervention militaire pour rétablir le président déchu Mohamed Bazoum soulève depuis lors, des questions sur les méthodes de résolution des crises de la CEDEAO et, plus généralement, sur l'avenir de l'ensemble du bloc ouest-africain.
Depuis plus d'un mois, le bloc régional est engagé dans un bras de fer avec la junte militaire nigérienne, sans grand résultat.
La CEDEAO exige la libération de l'ex-président Bazoum et de sa famille, sa réintégration et le retour des militaires dans les casernes. Non seulement ces demandes sont restées lettre morte, mais l'emprise de la junte sur Niamey semble se renforcer de jour en jour.
Près de deux mois après le cinquième putsch de l'histoire du Niger, la menace initiale d'une action militaire brandie par le bloc ouest-africain a cédé la place à des discours axés sur la nécessité de trouver une solution diplomatique par le dialogue.
Force en attente
Face aux complications de la crise nigérienne, la CEDEAO semble avoir atteint son seuil de tolérance. Elle a déjà fait part de son intention de recourir désormais à la "force en attente" en cas de changement anticonstitutionnel de régime dans l'un de ses États membres.
La "force en attente" de la CEDEAO est une initiative militaire régionale dont l'objectif est de répondre rapidement et efficacement aux crises et aux conflits en Afrique de l'Ouest.
Créée en réponse aux conflits en Sierra Leone et au Liberia il y a plus de vingt ans, elle est composée de troupes des pays membres de la CEDEAO et est prête à être déployée en cas de besoin.
Censée être l'emblème de la détermination de la région à prendre en charge ses problèmes de sécurité et à maintenir la stabilité, la perspective de son déploiement au Niger divise pourtant.
Adjaratou Wakha Aïdara Ndiaye, directrice exécutive de Partners West Africa au Sénégal, note que la réponse de la CEDEAO, en particulier la mention d'un éventuel déploiement de la force en attente, "reflète la crainte d'un effet boule de neige" dû au succès perçu des putschs au Mali, au Burkina Faso et en Guinée.
Selon Mme Ndiaye, cette crainte est amplifiée par le sentiment anti-occidental observé dans la région, "qui est le résultat des frustrations vécues par les jeunes non seulement dans ces pays, mais dans toute l'Afrique de l'Ouest francophone". Elle souligne des facteurs tels que le chômage, la corruption et l'exploitation économique, ainsi que les conflits et la mauvaise gouvernance.
"Tous ces problèmes auxquels sont confrontés les jeunes diplômés qui ne parviennent pas à s'insérer socialement et économiquement les poussent à favoriser les putschistes", explique-t-elle.
Une crise de légitimité
Stanislas Zézé, chef d'entreprise ivoirien, estime que la CEDEAO a été dépassée par les événements, la rendant aveugle aux changements de l'environnement économique et politique qui annoncent ce qu'il appelle "une véritable révolution économique et politique". Le sentiment que le bloc régional n'agit pas dans l'intérêt de ses pays membres grandit également.
"Ces quatre pays où des coups d'État ont eu lieu (Mali, Guinée, Burkina Faso et Niger) commencent clairement à se demander s'il est nécessaire de rester dans cette union économique. S'ils se retirent, à mon avis, cela fera certainement boule de neige", explique M. Zézé à TRT Afrika.
L'économiste et commentateur estime que la CEDEAO s'est empressée d'agir sur le Niger, "jouant de ses muscles de papier" au point qu'il est devenu difficile de négocier avec le régime militaire de Niamey.
Mme Ndiaye voit dans les récents événements survenus en Afrique occidentale le reflet d'une "crise de la CEDEAO". Selon elle, l'organisation régionale, dont le mandat a évolué de l'économique au politique, est de plus en plus décriée sur le continent, souvent assimilée à un "syndicat de chefs d'État" perdant le contact avec les réalités des peuples qui composent la communauté.
Certains parlent d'une perte de légitimité, d'autres affirment que c'est la survie même de l'organisation qui est en jeu.
"Cela me rappelle la Société des Nations, qui a dû être réformée pour devenir ce que nous appelons aujourd'hui l'ONU", note M. Ndiaye. "Je pense qu'aujourd'hui la CEDEAO est en train de. mettre en jeu sa crédibilité. Une partie de la population nigérienne a soutenu le coup d'État militaire, mais presque tout le monde, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, s'interroge sur la stratégie de sortie de crise.'' ajoute-t-elle.
Pas de solution miracle
M. Zézé insiste sur le fait qu'il n'y a pas de réponse facile à la question de savoir pourquoi les coups d'État se produisent et comment endiguer leur résurgence. "Presque tout le monde condamne les coups d'État, mais personne n'essaie de comprendre pourquoi ils se produisent, et personne ne se penche sur les raisons qui les sous-tendent en termes de discussion et de débat", déclare-t-il.
De nombreux pays du Sahel ont connu, ou connaissent encore, des périodes d'instabilité politique, des coups d'État militaires et des conflits depuis leur accession à l'indépendance il y a plusieurs décennies. Ces troubles ont affaibli les institutions étatiques, créé une vacance du pouvoir et entravé le développement économique.
Le Sahel connaît des niveaux élevés de pauvreté, de chômage et de manque d'accès à l'éducation et aux soins de santé. Le sous-développement économique contribue à l'instabilité. "La CEDEAO n'a jamais organisé de sommet ou de forum pour discuter des raisons des coups d'État. Quelles sont les causes des coups d'État ? Comment les prévenir ? Au lieu d'être dans une logique curative, nous devons être dans une logique préventive", déclare M. Zézé.
La CEDEAO a toujours affirmé qu'elle s'engageait à approfondir la démocratie dans la région. Cependant, l'expert ivoirien espère que le débat qui fait rage sur la récurrence des coups d'État dans la région fera comprendre aux responsables de la CEDEAO que les modèles politiques qu'ils choisissent doivent être "ajustés", de peur qu'ils n'ajoutent de la frustration à la frustration.