Par Yasmine Akrimi
La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a annoncé un protocole d'accord financier pour donner à la Tunisie jusqu'à 900 millions d'euros, le déblocage conditionnel du prêt de 1,9 milliard de dollars négocié en 2022 avec le Fonds monétaire international (FMI) et un déblocage immédiat de 150 millions d'euros de ce qu'ils ont appelé l'aide.
Elle a fait cette annonce lors d'une visite en Tunisie le 11 juin, accompagnée des Premiers ministres italiens et néerlandais, Giorgia Meloni et Mark Rutte.
Cette annonce intervient alors que la Tunisie traverse une grave crise socio-économique, que les ressources se font de plus en plus rares et que les opportunités économiques se réduisent pour les personnes à faibles et moyens revenus.
À peine cinq jours plus tôt, le dirigeant italien d'extrême droite avait été accueilli en grande pompe à Tunis, lors d'une visite précédant de peu la conclusion d'un accord entre les pays de l'UE sur une politique d'asile commune.
Le transfert de responsabilité
Cette politique a été saluée par l'Italie, qui subit une pression croissante en raison du nombre élevé de migrants arrivant par la Méditerranée, la plupart d'entre eux partant de Tunisie.
En quelques mois, Mme Meloni est devenue une sorte de porte-parole du pays maghrébin auprès de l'UE et surtout du FMI. Son ministre de l'Intérieur a été envoyé à Tunis à deux reprises cette année, en janvier et en mai.
Ce pacte "Asile et Migration" affaiblit les normes européennes de protection des demandeurs d'asile et confirme la volonté de transférer la responsabilité de la migration irrégulière à des pays non européens, dont la Tunisie.
Le refoulement
Bien que mise en cause par un récent rapport des Nations Unies pour sa responsabilité dans les crimes contre l'humanité commis en Libye, l'Italie semble reprendre la même stratégie en Tunisie, à savoir soutenir toute forme d'administration en place à condition qu'il s'agisse d'un corps de garde-côtes efficace.
L'objectif final est de faire de l'Afrique du Nord une plateforme de débarquement pour l'Europe, un lieu où l'on renvoie les ressortissants et les non-ressortissants dont les demandes d'asile et de permis de séjour ont été rejetées, et où l'on filtre les demandes des migrants clandestins trouvés en Méditerranée.
Cette "Europe forteresse" produit déjà des crises dans des pays aux conditions socio-économiques précaires, comme la Tunisie et la Libye. La crise libyenne a été marquée par le scandale du traitement inhumain des migrants subsahariens incarcérés dans le pays ces dernières années.
Les séquestrations et les trafics de drogue
En Tunisie, des actes de violence ont été signalés, principalement à l'encontre de migrants, à la suite de commentaires du président tunisien selon lesquels l'arrivée de ces migrants dans son pays pourrait modifier la composition démographique de la société tunisienne.
Les financements européens pourraient renforcer les capacités répressives de l'appareil sécuritaire tunisien. De nombreux témoignages mettent en évidence les pratiques de plus en plus violentes des autorités tunisiennes pour intercepter les migrants qui traversent le pays pour tenter de rejoindre l'Europe par la mer.
La Méditerranée centrale reste la route migratoire la plus dangereuse au monde, les travailleurs pauvres et de la classe moyenne rejoignant désormais les chômeurs et les migrants subsahariens qui se lancent dans des voyages de migration irrégulière depuis la côte nord-africaine.
Les pertes en vies humaines.
Selon plusieurs témoignages, ces migrants, une fois arrivés en Italie, seraient enfermés dans les centres de rapatriement permanents et drogués de force avant d'être rapatriés.
Les accords de coopération ne prévoient rien concernant les personnes disparues en mer, le rapatriement des corps ou l'identification des corps retrouvés.
Tous les discours sur la coopération visant à créer des opportunités pour les Nord-Africains de se rendre en Europe ne sont qu'un écran de fumée pour des politiques migratoires de plus en plus restrictives.
Il est de plus en plus difficile pour les Nord-Africains d'obtenir un visa pour l'Europe, les délais d'attente s'étirant sur plusieurs mois et les refus devenant presque systématiques.
Pire encore, l'UE fait pression sur d'autres pays voisins en dehors de l'Union pour qu'ils imposent des restrictions de visa à la Tunisie, comme cela a été le cas récemment avec la Serbie.
Le paquet financier de l'UE pour la Tunisie est une continuation de cette approche, une militarisation des frontières à un coût humain de plus en plus dramatique, non seulement pour les migrants tunisiens et subsahariens et leurs familles, mais aussi pour l'état des libertés en Tunisie.
L'auteur, Yasmine Akrimi, est analyste politique au Brussels International Center.
Avertissement : Les points de vue exprimés par les auteurs ne reflètent pas nécessairement les opinions, les points de vue et les politiques éditoriales de TRT Afrika.