AWA, un système d'intelligence artificielle en wolof, surmonte les barrières de langue et donne à l'IA une identité africaine. (Image d'illustration / Photo : Reuters Archive)

Par Firmain Eric Mbadinga.

Au Sénégal, on estime à 42 % le taux d'alphabétisation pour une population estimée à 16 millions d'habitants. Ces deux données suggèrent que près de 9 millions de personnes ne savent ni lire ni écrire, ce qui ne les empêche pour autant pas d'être actives dans le tissu social et économique du pays.

En effet, qu'elles soient commerçantes, couturières ou chefs d'entreprise, toutes ces personnes au parcours de vie différent comptent dans un pays réputé dynamique, dont l'économie est considérée comme émergente. Cette réalité vaut pour Dakar au Sénégal comme pour Bangui en Centrafrique.

Si ces personnes qui ne savent peut-être pas lire ou écrire s'en sortent bien dans la vie, il leur arrive souvent d'être confrontées à des difficultés. Elles sont obligées de se soumettre à certains protocoles pour des services en ligne comme acheter de l'électricité, envoyer de l'argent ou régler des factures.

Binta Kéita, qui travaille comme nourrice à Dakar, ne peut pas se faire assister. Elle est obligée de parcourir des kilomètres pour faire des opérations facilement exécutables sur son téléphone Android.

''Ne sachant ni lire ni écrire, je ne peux pas souvent recharger mon électricité à partir de mon téléphone alors même que j'ai l'application sur mon appareil. Je le fais toujours à partir d'une agence de recharge. Pour envoyer de l'argent à mes proches au village, je procède de la même façon. Je vais demander l'aide d'un opérateur d'agence. Je marche parfois une certaine distance pour le faire, mais je n'ai pas le choix...'' détaille la trentenaire.

C'est pour éviter à Binta Kéita et à des millions de personnes de faire ce chemin de croix parfois humiliant que, ''AWA''', une intelligence artificielle qui parle Wolof, a été conçue par la start-up sénégalaise Andakia.

À l'origine du projet, Alioune Badara Mbengue. Le jeune Sénégalais est un passionné et un entrepreneur spécialiste en intelligence artificielle et en innovation digitale. Avec la start-up Andakia, Mbengue et ses collaborateurs promettent de contribuer à donner à l'intelligence artificielle (IA) une identité africaine.

''Notre ambition claire : rendre la technologie accessible à tous les Africains en surmontant les barrières linguistiques. En 2015, nous avons co-inventé '' Mbal-it '', la poubelle intelligente ; ce qui nous a révélé que les technologies, pour être réellement adoptées, doivent parler les langues locales."

"Forts de ce constat, nous avons consacré les années suivantes à développer des solutions inclusives et, en 2024, nous avons lancé AWA, la première IA qui comprend et parle parfaitement le wolof. Notre vision est désormais d’étendre AWA à d’autres langues africaines pour permettre à l'Afrique de devenir un leader en innovation numérique et d’assurer une souveraineté technologique adaptée à ses besoins.'' confie Alioune Badara Mbengue à TRT Afrika.

Andakia a reçu cette année l'AWARD JEUNESSE AFRICAINE dans la catégorie : IA & Nouvelles Technologies. (Photo : Andakia)

Depuis que le projet AWA a été rendu public par le groupe d'innovateurs, un vent de curiosité et d'enthousiasme a gagné la population, notamment à Dakar.

Abdoul Touré est un commerçant du quartier Médina, l'un des plus grands et des plus populaires de la capitale sénégalaise. Abdoul dit ne pas en croire ses yeux et trépigne déjà d'impatience d'avoir l'application sur son téléphone. ''C'est extraordinaire ! '' s'exclame Touré.

''J'en ai entendu parler pour la première fois avec mon frère Alassane. Il est très au fait des nouvelles technologies et autres. Mais je n'y croyais pas, car pour moi, ce sont des choses que je ne voyais plus que dans les films de science-fiction. Mais il y a quelques jours, j'ai vu ces jeunes passer à la télévision et présenter ce projet. C'est génial, j'ai hâte de l'utiliser. '' ajoute Abdoul Touré.

Le vendeur de fruits de 40 ans a également confié à TRT Afrika qu'il espère, comme Binta Kéita, avoir plus d'autonomie en ce qui concerne ses accès aux services digitaux ou en ligne.

Ne sachant pas non plus ni lire ni écrire, Abdoul ne peut pas pour le moment garder certaines choses secrètes ou privées. C'est notamment le cas pour ses entrées et ses activités financières.

Quand il a, par exemple, besoin d'envoyer de l'argent à des proches, de faire des achats en ligne, il est obligé de passer par son petit frère, qui n'est pas toujours à côté de lui.

Melba Orlie, Ibrahima Khalil Ba, Pape Gorgui Ndoye, Mandiaye Gningue et Tidjane Tall, qui sont les autres membres éminents de la start-up, disent prendre chaque jour un peu plus la mesure du rôle qu'AWA va jouer dans plusieurs vies. Pour chacun des membres, c'est à la fois un sentiment de fierté et de responsabilité qu'ils éprouvent, lorsqu'ils constatent que le projet, autofinancé, a un impact réel sur des vies.

''Nous avons soigneusement rassemblé les meilleurs experts, venant de divers domaines, pour bâtir une équipe capable de relever les défis les plus complexes et d’innover dans tous les aspects du projet.'' lance avec fierté Alioune.

La jeune équipe de la start-up Andakia contribue à donner à l'intelligence artificielle une identité africaine. (Photo : Andakia)

Le fonctionnement de AWA

Pour la start-up, qui a fait tester durant plusieurs jours l'IA par un panel de 200 utilisateurs, AWA est la première intelligence artificielle capable de comprendre et de parler le wolof, la langue nationale du Sénégal.

L'application est accessible via une plateforme web et mobile et peut être intégrée à des plateformes comme WhatsApp ou via des API (application programming interface ou interface de programmation d'application) pour les entreprises. Andakia prévoit aussi des collaborations avec les services publics pour faciliter son adoption.

Son mode de fonctionnement est simple : l'utilisateur d'AWA peut avoir une conversation orale avec AWA et lui demander des choses générales, de même que l'utilisateur peut lui demander de faire des opérations financières ou autres.

Pour les développeurs informatiques, Andakia précise que AWA est une interface qui leur permettra d'intégrer ses capacités directement dans leurs propres applications.

''Concrètement, cela signifie que des services digitaux comme les applications ou les chatbots qui étaient jusqu'ici limités au français et à l'anglais pourront désormais offrir une expérience complète en langues africaines, comme le wolof.

Par exemple, un service client sur WhatsApp pourrait répondre aux questions des utilisateurs en Wolof de manière naturelle et fluide, facilitant ainsi l'accès à des services pour des millions de personnes. Cette API ouvre la voie à des solutions adaptées à la réalité locale, et l'application AWA suivra bientôt pour offrir cette accessibilité directement aux particuliers'' étaye Alioune Badara Mbengue.

Alioune Badara MBENG, CEO Andakia (Photo : Andakia)

Si Abdoul, Binta et des millions d'autres pourront facilement avoir accès eux-mêmes à plusieurs informations et services dans leur langue vernaculaire et nationale, ils seront dans le même temps amenés à transmettre à travers AWA nombres d'informations et de données personnelles. Cette réalité pose sur la table l'inévitable question de la protection de ces données personnelles. Andakia dit avoir tout prévu et souhaite déjà rassurer tout le monde.

La start-up garantit que les données de chaque utilisateur seront stockées et sécurisées sur des serveurs fiables et affirme que des mesures strictes de protection de ces données ont été prises afin de respecter la législation en vigueur et dans le but d'assurer la souveraineté numérique.

Awa, la voix

AWA est la version arabe du prénom Ève dans le christianisme. Et dans les deux cas, il renvoie à la femme, l'épouse d'Adam ou d'Adama, le premier homme de la création du point de vue religieux. À la différence de certaines voix créées par l'IA, la voix de AWA a été synthétisée pour lui donner une tonalité humaine et surtout un accent sénégalais.

''Nous avons travaillé avec des experts linguistiques et des locuteurs natifs pour entraîner le modèle de synthèse vocale. Cela garantit une prononciation précise et fluide en Wolof, tout en respectant les spécificités culturelles.'' confie Melba Orlie, la seule femme de l'équipe d'Andakia.

AWA, dont l'application est disponible depuis le 1ᵉʳ novembre, a été mise en avant lors de la présentation du nouveau référentiel Sénégal 2050, où elle a joué un rôle clé en explicitant en wolof les axes stratégiques du plan pendant la présentation du Premier ministre du Sénégal.

Si AWA semble faire ses preuves dans la langue Wolof avec succès, dans un souci d'inclusion et de diversité, les jeunes innovateurs travaillent, entre autres, à l'élargissement de la palette linguistique de leur intelligence artificielle. En plus des autres langues sénégalaises, des langues africaines comme le Pulaar et l'Haoussa vont faire de AWA une intelligence artificielle multilingue.

Et s'agissant de la voix féminine devenue emblématique dans le pays, Alioune assure qu'elle restera l'égérie du projet.

'' AWA restera toujours AWA, car les utilisateurs se sont déjà approprié sa voix et son identité. Il n'est pas rare que des gens nous interpellent dans la rue en nous demandant : "Où est AWA ? " C’est une preuve que la voix et le nom d'AWA sont devenus familiers et appréciés. Cependant, avec l'API d'AWA, nos clients auront la liberté totale de choisir les voix qui leur conviennent. Ils pourront même intégrer leur propre voix, que ce soit celle d'un homme, d'une femme ou d'un enfant, pour personnaliser l'expérience en fonction de leurs besoins et de leur audience.'' affirme-t-il.

À part AWA, Andakia travaille sur des applications spécifiques dans les domaines de la santé, de l'éducation et de l'agriculture, pour créer des solutions à fort impact social, sans se reposer sur ses premiers lauriers.

TRT Afrika