Par Lulu Sanga
Le nombre croissant de Tanzaniens qui renoncent à leur nationalité pour embrasser celle d'autres pays - 66 rien que cette année - et la position du gouvernement sur la question ont ouvert les vannes d'un débat sur la double nationalité sur les réseaux sociaux du pays d'Afrique de l'Est.
La publication des dernières données officielles sur les Tanzaniens choisissant une nationalité étrangère plutôt que la leur intervient environ un mois après que le gouvernement a précisé devant le parlement que le moment n'était pas venu d'offrir la double nationalité en option.
"Lorsque cette demande de double nationalité deviendra le souhait de la majorité, le gouvernement reconsidérera sa position, a déclaré le ministre de l'intérieur", Hamad Masauni, au parlement le 15 mai.
"Pour l'instant, le gouvernement en est aux dernières étapes de la décision sur le statut spécial de la diaspora", a –t-il ajouté.
Le ministre tanzanien des affaires étrangères, Stergomena Tax, a depuis officiellement annoncé que les personnes d'origine tanzanienne vivant à l'étranger auraient droit à un statut spécial à partir de décembre 2023, ce qui leur permettrait de participer à des activités économiques dans leur pays d'origine.
Ce plan a suscité des sentiments mitigés au sein de la diaspora tanzanienne, beaucoup refusant d'accorder beaucoup d'importance à l'octroi d'un statut spécial en tant qu'étape préliminaire. Certaines personnes d'origine tanzanienne vivant à l'étranger y voient même une manière de tuer dans l'oeuf le débat sur la double nationalité.
Bupe Amon Kyelu, présidente du Conseil de la diaspora tanzanienne, cite une étude de l'institution qui a révélé que de nombreux expatriés vivant dans des pays qui n'autorisent pas la double nationalité à l'heure actuelle pourraient considérer le statut spécial accordé par leur pays d'origine comme une solution rapide.
"Actuellement, le statut spécial peut être une solution parce que la question de la double nationalité n'est pas encore acceptée dans le monde entier, et même si elle est autorisée en Tanzanie, certains membres de la diaspora qui sont déjà citoyens d'autres pays qui n'ont pas accepté la double nationalité auront des difficultés, y compris la perte de leurs droits dans ces pays", explique Mme Bupe.
Les craintes d'une partie des Tanzaniens selon lesquelles une personne possédant la nationalité d'un autre pays peut encore participer pleinement aux activités nationales en Tanzanie, y compris aux élections, sont largement infondées, explique Mme Bupe à TRT Afrika.
"Ce n'est pas l'objectif", dit-elle. "Nous voulons que ce statut spécial nous aide dans des domaines fondamentaux tels que l'identification spéciale, la liberté de rentrer en Tanzanie sans demander de visa, les investissements et les enfants qui héritent de biens dans leur pays d'origine. Le bonus est de ramener au pays les connaissances que nous avons acquises à l'étranger".
Selon Mme Bupe, l'impact constitutionnel d'un statut spécial pour la diaspora, et la question de savoir si ce statut pourrait empiéter sur les droits politiques, n'est même pas encore à l'ordre du jour.
La question du vote ou de la concurrence pour des postes politiques n'est absolument pas un sujet de discussion car il s'agit d'une question constitutionnelle", déclare la présidente du conseil de la diaspora.
Mme Bupe considère que le statut spécial n'est qu'une première étape et insiste sur le fait que, dans un avenir proche, la question de la double nationalité reviendra sur le tapis.
"Nous pensons que, comme le gouvernement l'a promis, nous obtiendrons une reconnaissance spéciale. Mais la génération future aura besoin d'une double nationalité car les choses changent. Il peut y avoir un changement dans la politique des dirigeants, et c'est une vaste question politique. Nous n'avons pas abandonné", dit-elle.
Raison de l'hésitation
Godwin Gonde, expert de la Diplomacy Academy en Tanzanie, explique que la question de la double nationalité profite davantage à l'individu qu'au pays en question. La sécurité nationale est un autre aspect à prendre en compte.
"Par ailleurs, il est très difficile de mesurer le patriotisme d'une personne à qui l'on accorde la double nationalité. Il est donc impossible d'ignorer que cela peut devenir une menace pour la sécurité. Il peut être très difficile d'empêcher le sabotage si une personne ayant la double nationalité a recours à cette pratique contre l'un ou l'autre pays", explique M. Godwin à TRT Afrika.
La Tanzanie campe, depuis longtemps, sur sa position consistant à ne pas autoriser la double nationalité en citant le chapitre 357 de la loi sur la citoyenneté, référence 2002, qui stipule que "tous ceux qui se voient refuser la citoyenneté tanzanienne perdent le droit de continuer à être tanzaniens".
Toutefois, les autorités tanzaniennes ont mis en place un système numérique pour répertorier les membres de la diaspora.
La Banque centrale de Tanzanie a donné des instructions aux institutions financières pour permettre aux Tanzaniens de l'étranger d'ouvrir des comptes bancaires en devises étrangères en utilisant les documents d'identification des pays où ils sont installés.
Ces mesures visent à garantir que les contributions de la diaspora au pays soient clairement visibles. Mais le débat sur les droits à la double nationalité risque de faire rage, étant donné le nombre croissant de Tanzaniens qui choisissent aujourd'hui de vivre à l'étranger.