Par Awa Cheikh Faye
« Quand quelqu’un finit sa médecine, il n’est pas intégré dans la fonction publique, il n’a pas encore les moyens d’ouvrir son cabinet pour pouvoir s’épanouir, il n’a pas trouvé un contrat qui lui permette de vivre décemment mais il ne va pas rester au Sénégal » résume le Professeur Serigne Mor Mbaye cardiologue enseignant à l’UGB de Saint-Louis à TRT Afrika.
La migration des médecins africains, les jeunes en particulier vers l’Europe est un phénomène qui prend de l'ampleur depuis quelques années.
Causes multiples
« En France par exemple en tant que stagiaire on te paye et tu as 300 euros la garde alors qu’ici on te paye 5000 francs la garde en tant que stagiaire et à la fin du mois on ne te paie pas. Associé à un burnout permanent et les difficiles conditions de travail, ça fait un cocktail explosif » détaille Docteur Oumou Fadily Touré.
Ce médecin généraliste sénégalaise, qui finit bientôt sa spécialisation en pédiatrie, envisage d’aller pratiquer à l’étranger.
« Le salaire n’est pas bon, les conditions ne sont pas bonnes, les horaires on n'en parle pas. Et ça coïncide avec la période où un peu partout dans le monde le personnel soignant est valorisé, parce que la pandémie de la Covid a donné une bonne leçon à la plupart des pays. Mais au Sénégal c’est le contraire. Le médecin n’est pas respecté » liste docteur Touré. Toutes raisons qui la poussent à envisager l’expatriation.
Les médecins doivent souvent faire face à des situations d'urgence avec des moyens limités, ce qui peut être stressant et épuisant. De plus, la rémunération des médecins sur le continent est généralement inférieure à celle offerte en Europe, ce qui peut être un facteur important dans la décision de partir.
Surtout que comme le souligne le docteur Touré, les autres pays mettent le prix et les conditions pour attirer les médecins africains.
Des facilités pour le visa et pour le regroupement familial aux logements de fonction et voitures de fonction en passant par les salaires très attractifs, des offres « vraiment tentant », commente docteur Touré qui dit y réfléchir très sérieusement.
Si cette jeune médecin sénégalaise saute le pas, elle rejoindra des milliers d’Africains ayant déjà fait le choix de travailler en Europe et en Amérique du nord.
C’est le cas du docteur Tony Mwamba, médecin d’origine congolaise, qui a décidé de rester pratiquer en Belgique après ses études.
« Certains des acquis sont difficiles à adapter en RDC, le matériel ne suit pas, et la médecine ne se limite pas à la clinique », a-t-il expliqué à TRT Afrika.
Nouvelle loi en France
La France veut créer une nouvelle carte de séjour dénommée « talents- professions médicales et de la pharmacie » qui s’adresse à toutes les spécialités médicales, aux sages-femmes, aux chirurgiens-dentistes et aux pharmaciens.
Elle vise à attirer des professionnels de santé étrangers pour soulager le secteur de la santé en France sous tension et contribuerait surtout à accentuer la saignée des personnels médicaux qualifiés du continent. Un grand nombre de praticiens en France vient de l’Afrique francophone et du Maghreb.
En janvier 2023, André Grimaldi, Jean-Paul Vernant, Xavier Emmanuelli et Rony Brauman, médecins eux-mêmes, appelaient dans une tribune le gouvernement français à ne pas « transférer nos déserts médicaux dans nos anciennes colonies ».
Des déserts médicaux ?
Le départ des professionnels de santé qualifiés vers l'occident prive les communautés d’un accès vital à des soins de qualité. Mais de l’avis du docteur Mwamba, si la fuite des ressources qualifiées est une réalité, il n'existe pas de « déserts médicaux » sur le continent.
« L’Afrique ne souffre pas d’un déficit en production de personnel médical. Le problème se situe au niveau de la concentration des médecins dans les milieux urbains où leur pratique est facilitée, laissant les zones rurales à elles-mêmes » explique le docteur Tony Mwamba.
Le médecin congolais avance que cette situation peut être réglée par un engagement de l'État.
« Le premier employeur du médecin c’est l’état. Et c’est à l’Etat de réguler ce secteur en envoyant les médecins dans les localités qui en ont besoin. Mais malheureusement nos Etats sont démissionnaires dans ce cadre-là, car être responsable des médecins signifie les prendre en charge, faciliter leur travail mais c’est là que les Etats pèchent » se désole-t-il.
Prévenir la saignée
La migration des médecins a des conséquences économiques pour leurs pays. Formés sur le continent, ils ont souvent bénéficié de subventions et de bourses des gouvernements, ce qui représente un investissement important pour les pays.
Si ces médecins partent pour travailler en occident, leurs pays d’origine ne bénéficient pas du retour sur investissement de leur formation.
« Ce n’est pas qu’une question de nombre, c’est une question de qualité aussi. Si on laisse partir tous nos meilleurs éléments c’est compliqué parce qu’après il faut du temps pour former d’autres médecins avec le même niveau. Nous perdons nos ressources de qualité et cela prend du temps pour qu’on en forme suffisamment. De l’autre côté, ils récupèrent un produit fini » résume le professeur Mbaye.
Quel doit être l’approche des gouvernements pour retenir les professionnels de santé dans les pays? Pour le professeur Mbaye, Il s’agit pour les États de sécuriser leur investissement.
« Il faut essayer de mettre en place un contrat avec les médecins issus de l'enseignement public, c’est-à-dire, on te forme et après il faut travailler pendant 10 ans par exemple pour l’Etat en intégrant la fonction publique » avance-t-il, citant l’exemple d’une pratique qui a cours au Maroc.
« Il faut aussi que l’Etat améliore les conditions de prise en charge des médecins, les valorise. Si quelqu’un a des responsabilités et un travail, il n’arrive pas à s’en sortir mais il va monnayer ses talents ailleurs » conclut-il.