Par Mamadou Dian Barry
Alors qu’elle continue de lutter le terrorisme, l’Afrique de l’Ouest doit faire face à un nouveau défi. La sous-région est secouée par une série de coup d’Etat militaire, semant la panique au sommets des Etats et hypothéquant les plans des partenaires traditionnels.
Le Mali, la Guinée, le Burkina et plus récemment le Niger : Trois pays qui ont en commun la Cedeao, le bloc sous régional dont ils sont membres et qui sont tous aujourd’hui à leur tête des militaires.
Ce n’est certes pas un phénomène nouveau. Le coup d’Etat est en quelque sorte une tradition dans ces quatre pays de l’Afrique de l’Ouest.
Il suffit de regarder la cartographie des coups d’Etats en Afrique pour s’en rendre compte. Avec dix tentatives et coups d’Etat à leurs actifs, le Burkina Faso, le Ghana et la Sierra Leone dominent le classement en Afrique de l’Ouest.
Ils sont suivis par la Guinée-Bissau qui a connu neuf coups de force, puis le Mali, le Niger, le Bénin et le Nigeria avec huit (8) putschs chacun. Dans la sous-région, le Sénégal est l’exception qui confirme la règle, selon des données de University central of Florida et University of kentucky, au Etats-unis.
Le Togo, la Guinée, le Libéria, la Côte d’Ivoire et la Gambie ayant tous connus au moins un coup d’Etat militaire depuis leur accession à l’indépendance.
En ce qui concerne les pays francophones susmentionnés, l’ancienne puissance coloniale a de façon directe ou indirecte joué un rôle dans ces changements anticonstitutionnels de gouvernement pour garder son emprise et préserver ses intérêts dans ce qui est convenu d’appeler son pré carré.
Dans le passé, la France n’a pas hésité à soutenir des militaires pour renverser des régimes trop nationalistes à son goût. Ce fut le cas au Togo.
En 1963, soit trois après son arrivée au pouvoir, Sylvanus Olympio a été renversé par un groupe de militaires à la tête duquel Eyadema. Chassé du pouvoir, il sera ensuite tué dans des conditions assez troubles.
D’après Bidossessi Katakenon, président de l’association Planète des jeunes panafricanistes Bénin (PjP), "M.Olympio a été éliminé pour préserver les intérêts de la France au Togo puisque, après son assassinat un Président pro-français a pris le pouvoir et a mis fin à ses projets souverainistes".
Elle "voulait sans doute sa mort politique et voir même sa mort physique à cause des idées qu’il défendait à savoir un partenariat gagnant-gagnant", a indiqué M. Katakenon.
L’on peut également citer le père de l’indépendance du Mali, Modibo Keïta. L’ancien instituteur et parlementaire français, devenu président du Mali au lendemain de la fédération soudanaise en 1960, a été renversé huit ans après par un groupe de militaires emmené par le lieutenant Moussa Traoré qui, lui-même, subira le même sort des années plus tard.
A quelques exceptions près (Thomas Sanakara et Mathieu Kerekou), jusque dans les année 1990 on a assisté presque partout en Afrique de l’ouest francophone, à des changements de régimes ; des Panafricanistes ont été évincé par des coups d’Etat portant des officiers militaires au pouvoir.
D’Eyadéma à Blaise Compaoré en passant par Ibrahim Baré Maïnassara du Niger, tous se sont vus dérouler le tapis rouge à l’Elysée, le palais présidentiel de la France.
Certains parmi les nouveaux dirigeants ont été à leur tour évincé des années plus tard. Ce fut le cas de de Traoré du Mali et de Maïnassara du Niger, ce dernier ayant été assassiné.
D’autres en revanche ont troqué leur treillis contre des habits civils, continuant à diriger en maniant le bâton et la carottes jusqu’à mourir en fonctions (Eyadema).
Nouvelle poussée nationaliste
Aujourd’hui, la Cedeao assiste au retour des coups d’Etat en son sein. En l’espace de trois ans (depuis 2020) l’espace communautaire a vécu trois putsch.
D’abord au Mali, puis en Guinée, suivi du Burkina et plus récemment le 26 juillet au Niger avec à chaque fois des officiers membres de la garde prétorienne, renversant des dirigeants considérés par Paris comme des partenaires privilégiés.
Cette série de coup d’Etat est jugée menaçante pour la démocratie dans cet espace qui était jusque-là présentée comme une vitrine de la démocratie, en raison des alternances observées à la tête des pays qui le composent.
Mais hormis le moment – ces putsch sont survenus dans des pays à priori démocratiquement stable (Mali, Guinée, Burkina et Niger) - le monde a été surpris par la similarité des profils des leaders qui incarnent ces changement anti constitutionnels de régimes et de leur modus operandi.
Le Pr Pascal Touoyem, enseignant dans plusieurs universités, philosophe et penseur engagé au service de l'Afrique constate une nouvelle poussée nationaliste portée, non plus par des politiques (Olympio, Sékou touré, Modibo Keïta, etc…) mais par de jeunes officiers militaires décomplexés qui rappelle un certain Thomas Sanakara.
Pour, lui, il un nouvel vent nationaliste souffle sur les casernes militaires. "Nous assistons ici à l’émergence voire à la montée en puissance des armées souverainistes portant les aspirations profondes des peuples. Il s’agit là d’une démocratisation qui se met en place mais par le bas, à partir du bas et pour la majorité silencieuse", déclare à TRT Afrika l’universitaire camerounais.
"Voilà pourquoi ces jeunes officiers, notamment ceux qui dirigent la Guinée, le Mali et le Burkina Faso mais aussi plus récemment celui du Niger sont portés en triomphe par la quasi majorité du peuple, debout pour soutenir cette révolution populaire", ajoute le Pr Touoyem.
L’auteur de "Conflictualités contemporaines, Sécurité globale et Maintien de la Paix : Penser la puissance africaine au 21e siècle", entre autres ouvrages, refuse d’assimiler ces coups de forces observé depuis 2020 en Afrique de l’Ouest francophone à des coups d’Etat.
"Il ne s’agit pas de coups d’Etat. Ce à quoi on assiste est une révolution populaire qui est l’expression d’un ras-le-bol par rapport à la prégnance et la dominance du système mondial de prédation incarné ici par la France et de manière générale par l’OTAN voire l’Occident collectif. C’est un conflit hiatus entre le Sud global et le Nord collectif".
Sans effusion de sang
Que ce soir au Mali, en Guinée ou au Burkina Faso, les militaires ont tenus tête à l’organisation sous-régionale et aux fortes pressions couplées de sanctions de la communauté internationale.
Assimi Goïta, Mamady Doumbouya et Ibrahim Traoré, dont les pays ont été soumis à un régime de sanctions sans précédent ont adopté une position de défiance vis-à-vis de la Cedeao et de l’Occident.
Tout comme le général Abdourahmane Tchiani qui à braver l’ultimatum du bloc sous-régional, appuyé par la France et les Etats-Unis notamment.
Ils doivent aussi la réussite de leur putsch au soutien des peuples désemparés et galvanisés par des mouvements panafricains qui se sont hissé à la tête de la société civile africaine, luttant contre le "néocolonialisme" grâce aux armes modernes que sont les réseaux sociaux et bien évidemment au charisme et à la capacité de mobilisation de ses leaders.
"Ce sont de jeunes parfaitement bien formés à l’école occidentale et en Russie avec le même niveau et la même capacité intellectuelle que leurs collègues occidentaux. Voilà pourquoi à la différence de leurs aînés, leurs coups d’Etat réussissent sans effusion de sang parce que c’est l’intelligence qui est mise en œuvre ici", souligne Pr Touoyem.
En plus des cours et de l’expérience acquis en occident, ces jeunes officiers sont fortement enracinés dans les valeurs africaines, selon l’analyste.
"En plus de leurs formations professionnelles, il y a l’école endogène, l’école traditionnelle. C’est donc deux écoles concentrées en une que ces jeunes officiers incarnent", a –t-il noté.
Vigilance
A ce stade, la lutte pour la libération n’est pas définitivement gagnée.
Certes, la France, ancienne puissance coloniale, est bousculée, ballotée, mais elle est aux aguets. Elle garde encore une emprise sur son empire d’hier où elle garde plusieurs bases et des troupes (Sénégal, Côte d’Ivoire, Niger, Gabon, Tchad…).
Sur le plan politique, elle garde encore une des leviers grâce notamment à ce qui est appelé la Françafrique, un puissant réseau d’influence qui tire les ficelles depuis Jacques Faucard, ancien secrétaire général de l’Elysée).
Mais en Afrique, la vigilance est de mise. Au Mali, Assimi Goïta et ses hommes n’ont pas de reprendre les rênes du pays quand ils ont senti que la Transition menée par l’ancien haut gradé Bah Ndao changeait de trajectoire, après notamment des rencontres avec l’actuel président français, Emmanuel Macron, qui s’est empressé de dénoncer "un coup d’Etat dans le coup d’Etat".
L’universitaire camerounais estime que, pour ne pas faire face à la fronde populaire, la France doit anticiper son départ de l’Afrique avant que le chaos ne s’installe, fermer ses bases et rapatrier ses troupes perçues comme le symbole de de la colonisation. Pour lui, c’est une nouvelle Afrique qui émerge.
"Je pense qu’ils (les leaders militaires) ont déjà compris ce qu’il leur faut. Il faut incarner ses aspirations du peuple car nous assistons à un basculement. Les peuples africains disent non, ils veulent s’émanciper de la tutelle occidentale qui interpelé", a –t-il expliqué.
"Cet Occident doit comprendre que l’Afrique a compris et l’Afrique est debout. Une nouvelle Afrique décomplexée, rassurée et rénovée se met en place et bouscule donc les canaux de la gouvernance. Il faut pour l’Afrique aujourd’hui, une gouvernance par le bas, pour le bas et pour la multitude sociale", a –t-il conclu.