Illustration/Des cartes de débit et de crédit bancaires sont photographiées dans cette image d'illustration dans un bureau à Francfort, en Allemagne/Reuters

Dans presque toutes les villes libyennes, les retraits d'espèces s'apparentent à un parcours du combattant avec des heures passées devant les portes closes et bien gardées des banques où les clients n'entrent qu'au compte-goutte.

Les fonctionnaires qui représentent l'écrasante majorité de la population active (2,3 millions sur 2,6) reçoivent leurs salaires à la banque, souvent en retard. Au guichet, les retraits sont plafonnés à 1.000 dinars (190 euros) à chaque fois.

Une fois retiré, l'argent est rarement réinjecté dans le circuit bancaire, les Libyens n'ayant pas confiance dans le système et préférant garder leurs espèces chez eux, ce qui alimente des pénuries régulières de billets.

Le pays est désorganisé et en proie aux divisions entre autorités rivales de l'Ouest et de l'Est depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011.

A Misrata, troisième ville du pays avec 400.000 habitants et grand hub commercial et portuaire, les clients des banques font désormais de plus en plus souvent la queue pour obtenir une carte de paiement électronique.

Cette culture "n'est pas encore enracinée mais les jeunes générations l'adoptent facilement", explique à l'AFP Abdallah al-Gatet, employé d'une banque de la ville, qui constate "une forte augmentation de la demande".

Défis et mentalités

Il y a une "prise de conscience" chez les citoyens de "l'importance des solutions électroniques pour faciliter les transactions quotidiennes, en particulier en temps de crise de liquidités", souligne ce banquier de 30 ans, "même si les infrastructures sont encore insuffisantes".

L'un des défis réside dans le manque de distributeurs de billets. Autre écueil: beaucoup de petits commerçants n'acceptent pas de tels paiements, faute d'être équipés d'un terminal relié à un compte bancaire.

Pour l'analyste économique Khaled Al-Delfaq, 42 ans, ce qui encourage l'utilisation des cartes, c'est le manque d'espèces mais il faudrait aussi aider les mentalités à évoluer par une "sensibilisation" de la société et en rendant "ces services plus accessibles".

Certains Libyens en sont déjà fans, à l'image de Mohamad al-Soussi, un père de famille venu faire ses courses dans un grand supermarché de Misrata. "Les transactions sont simplifiées avec la carte. Je n'ai plus besoin de grosses liasses de billets sur moi", estime le quinquagénaire.

Trois coupures de 50 dinars

Les divisions politiques qui déchirent le pays depuis 2014 entre Est et Ouest ont contaminé les institutions étatiques.

La Banque centrale de Libye (BCL) a été scindée en deux jusqu'en août 2023, avec un siège à Benghazi (est) et un autre, internationalement reconnu, à Tripoli. Deux gouverneurs apposaient, chacun de son côté, leur signature sur les billets.

En 2012, de nouveaux billets de 50 dinars libyens (environ 9,7 euros) avaient été mis en circulation pour faciliter la vie des consommateurs dans un pays où les paiements en liquide peuvent atteindre des dizaines de milliers de dinars. Au-delà, pour un bien immobilier notamment, l'achat se fait par chèque bancaire certifié.

En avril dernier, la BCL a annoncé le retrait des billets de 50 dinars, en raison de la prolifération de coupures contrefaites, à côté des billets émis par Tripoli (et imprimés au Royaume-Uni) et de billets mis en circulation par les autorités de l'Est imprimés en Russie.

Après l'annonce de la disparition de la plus grosse coupure disponible, "la situation est devenue compliquée avec des commerces refusant les billets de 50 dinars", pourtant délivrés par les banques, explique Moussab al-Haddar, un enseignant de 45 ans, venu demander une carte à son agence.

Dans un premier temps, la BCL avait fixé à fin août la disparition des 50 dinars, avant de prolonger les délais jusqu'à fin 2024, après une crise majeure en août autour de sa gouvernance qui s'est résolue récemment.

Pour remédier à la pénurie de liquidités, la BCL a injecté fin octobre 15 milliards de dinars (3 mds d'euros) dans le système, tout en exhortant les banques à développer les modes de paiement électronique en "facilitant l'octroi de cartes" aux clients.

AFP