Par Ishaq Khalid
Grâce à une bourse du gouvernement turc obtenue en 2013, Moustafa Aminou Tukur a atterri à Istanbul en provenance du Nigéria. Tukur poursuit aujourd'hui son doctorat en statistiques et informatique à l'université technique de Yildiz.
Tukur fait partie des quelque 10 000 étudiants, pour la plupart originaires d'Afrique, ayant bénéficié de la bourse Türkiye Burslari au cours des dernières décennies.
Ce n'est qu'une dimension des "politiques d’influence" de la Turquie qui impactent la vie des citoyens sur le deuxième continent le plus peuplé du monde.
Des centaines d'écoles financées par la Turquie fonctionnent dans les pays africains, aidant les jeunes Africains à recevoir une éducation de qualité et les préparant à affronter le monde avec confiance.
L'influence turque en Afrique englobe aujourd'hui de nombreux secteurs, Ankara courtisant agressivement le continent dans le cadre de sa "politique étrangère multidimensionnelle".
Le président Recep Tayyip Erdogan a sillonné plus de 30 pays d'Afrique ces dernières années, signant plusieurs accords bilatéraux pour favoriser les liens économiques, politiques, culturels et éducatifs, ainsi que la coopération militaire.
Les experts politiques affirment que le nombre de voyages d'Erdogan est inédit pour un dirigeant turc , ce qui indique clairement son engagement à renforcer les relations entre la Turquie et l'Afrique.
Selon Sulaiman Dahiru, diplomate nigérian à la retraite, "la Turquie a été très intelligente" en adaptant sa politique étrangère à l'Afrique et à l'Asie.
"La Turquie est un pays développé, elle a une économie très forte et une base industrielle solide. Donc, avec leurs industries réparties dans toute l'Afrique, ce sera un plus pour la Turquie et un plus pour l'Afrique", dit-il à TRT Afrika.
M. Dahiru estime que cette relation est "fructueuse" car la Turquie bénéficie du vaste marché africain et ses entreprises contribuent au développement du continent en termes d'infrastructures et d'opportunités d'emploi.
Des affaires en expansion
Les données du ministère turc des affaires étrangères montrent que le volume annuel des échanges entre l'Afrique et la Turquie est passé de 5,4 milliards de dollars en 2003 à plus de 34 milliards de dollars en 2021.
Les entreprises turques ont également réalisé des projets d'une valeur de près de 78 milliards de dollars à travers l'Afrique - dans le domaine des infrastructures, des écoles et de l'aide humanitaire.
La Turquie a conclu des accords de libre-échange avec plusieurs pays africains, dont l'Égypte, le Maroc, l'île Maurice et la Tunisie.
Les produits turcs sont de plus en plus courants en Afrique - notamment les meubles, les vêtements, les voitures et les appareils électroniques, en plus des produits alimentaires.
En outre, de nombreux foyers du continent sont équipés d'appareils ménagers turcs grâce à l'internet et à un système commercial efficace.
Un autre signe visible des relations économiques dynamiques est le nombre croissant de vols de la compagnie aérienne nationale turque, TurkishAirlines, vers des dizaines de destinations en Afrique.
La Turquie a aussi augmenté le nombre de ses ambassades dans les pays africains - de 12 à 44 au cours des vingt dernières années alors que 28 pays africains supplémentaires ont établi leur ambassade à Ankara en un peu plus de dx ans.
La Turquie a été nommée partenaire stratégique de l'Union africaine en 2008, après avoir reçu le rôle de membre observateur de l'organisation continentale en 2005.
Les dirigeants africains ont tenu plusieurs sommets stratégiques avec la Turquie. Ces rencontres ont contribué à garantir des "progrès rapides" en matière de développement économique, culturel et infrastructurel et sécuritaire.
Le soft power
Idayat Hassan, directrice du Centre pour la démocratie et le développement affirme que la Turquie "a réussi à gagner le cœur et l'esprit de nombreuses personnes en Afrique" grâce à l'utilisation du "soft power".
La stratégie d'Ankara consiste à investir dans les possibilités d'éducation des Africains, l'accès aux soins de santé et la formation de divers professionnels, ainsi qu'à renforcer "les relations entre les peuples et entre les gouvernements", a -t-elle déclaré à TRT Afrika.
Les films et les séries télévisées turcs - traduits en anglais et dans plusieurs langues africaines - ont apporté un art et une culture nouveaux dans les salons des foyers africains.
Selon Mme Hassan, la Turquie va au delà dde la simple continuité des relations entre l'empire ottoman et l'Afrique. "Ce que la Turquie fait maintenant, c'est huiler cette relation et la rendre beaucoup plus importante", précise -t-elle.
Une alternative à l'Occident
Selon le ministère turc des affaires étrangères, le pays s'est engagé à partager son "expérience (...), ses opportunités et ses ressources avec les pays africains" sur le principe des "solutions africaines aux problèmes africains".
Les analystes africains estiment que c'est sur ce point que la Turquie a réussi à séduire les nations africaines.
"La Turquie s'impose comme une alternative aux pays occidentaux" en Afrique, affirme Hassan.
L'ancien diplomate Sulaiman Dahiru souligne que "la Turquie n'interfère pas dans les affaires des pays africains, contrairement au monde occidental qui veut dicter sa loi".
"Bien que l'esclavage soit terminé, ils traitent toujours l'Afrique comme si elle était encore un territoire colonial. L'Afrique résiste à la dictature", dit-il à TRT Afrika, ajoutant que "les aspirations de l'Afrique sont le développement et le respect".
Idayat Hassan ajoute que la politique de la Turquie est "tout à fait adaptable aux réalités actuelles de l'Afrique". Selon elle, des pays comme la Turquie prennent en considération "les véritables préoccupations des Africains".
De retour à Istanbul, Tukur attend le jour où il terminera ses études. Il espère retourner dans son pays natal pour "transmettre ce que j'ai appris à la nouvelle génération d'Africains".
Le jeune Nigérian emportera sûrement une partie de la Turquie là où son travail le mènera.