Au diapason d'une opposition violemment réprimée et écartée de la course, qui appelle à boycotter un scrutin "joué d'avance" pour perpétuer une "dynastie Déby" de trois décennies, des ONG mettent en doute la crédibilité de l'élection.
Dans le bureau de vote de la grande poste de Ndjambal Ngato, à deux pas de la présidence dans le centre de N'Djamena, un quartier réputé acquis à M. Déby, quelques électeurs ont commencé à voter. Dans trois autres bureaux de la capitale, l'affluence était également relativement faible à l'ouverture du scrutin, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Comme à Guinebor, dans le nord de la ville, où une dizaine de personnes s'impatientaient devant un bureau installé sous un arbre, encore fermé une heure après l'ouverture officielle du scrutin.
A Abena, le quartier du siège du parti de M. Masra, une trentaine de personnes qui patientaient depuis une bonne heure, ont commencé à déposer leur bulletin dans l'urne.
Au début de la campagne, tous les observateurs prédisaient une victoire massive du président de transition Déby après qu'il eut fait écarter tous ses rivaux les plus dangereux.
Mais l'économiste Masra, accusé par ses anciens alliés de l'opposition d'être un "traître" rallié au système Déby et vrai-faux candidat pour "donner un vernis démocratique" au scrutin, est apparu en fin de campagne comme un possible trouble-fête. Capable au moins de pousser le général à un second tour, en drainant des foules imposantes à s es meetings.
Déby et Masra, âgés de 40 ans, se sont dits chacun convaincu d'être élu au premier tour. Huit autres candidats ne peuvent espérer que des miettes, car peu connus ou réputés peu hostiles au pouvoir.
Le 20 avril 2021, après avoir régné 30 ans d'une main de fer sur le Tchad, le maréchal Idriss Déby Itno était tué au front par une des innombrables rébellions qui sévissent depuis l'indépendance de la France en 1960. Quinze de ses fidèles généraux proclamaient son fils Mahamat président d'une transition de 18 mois.
Il é tait aussitôt adoubé par une communauté internationale -- France et Union africaine en tête -- prompte à condamner et sanctionner les militaires putschistes ailleurs en Afrique, au motif principal que le Tchad est réputé être le pilier régional de la guerre contre les jihadistes au Sahel.
Mais 18 mois plus tard, la junte prolongeait la transition de deux ans et les militaires tuaient par balle plus de 300 jeunes selon les ONG, une cinquantaine selon le pouvoir, qui manifestaient contre cette extension. Plus d'un millier étaient déportés dans un bagne en plein milieu du désert, et des diz aines exécutés ou torturés, selon les ONG.
Les principaux cadres de l'opposition étaient traqués et certains -- dont M. Masra -- ont fui en exil.
"Assassiné"
L'un d'eux, resté au pays, Yaya Dillo Djérou, cousin et principal rival du général Déby pour la présidentielle, a été tué le 28 février dernier par des militaires à l'assaut du siège de son parti. "Assassiné", "d'une balle dans la tête à bout portant", selon l'opposition et des ONG internationales.
Vendredi, la Fédération Internationale pour les droits humains (FIDH) s'est inquiétée d'une "élection qui semble ni crédible, ni libre, ni démocratique", "dans un contexte délétère marqué par (... ) la multiplication des violations des droits humains", dont la mort de Dillo.
Le même jour, l'ONG International Crisis Group (ICG) a également émis des "doutes sur la crédibilité du scrutin" après l'éviction des candidats d'une "opposition politique muselée". M. Déby, "grand favori, n'a aucun adversaire de poids hormis Succès Masra" mais celui-ci, nommé Premier ministre il y a quatre mois par M. Déby, a perdu "une partie importante de ses électeurs considérant qu'il est devenu un faire-va loir", conclut ICG.
Les deux ONG mettent aussi en doute "l'indépendance" des deux institutions chargées d'organiser le scrutin et de proclamer les résultats, dont les membres ont été nommés par M. Déby: le Conseil constitutionnel -- qui avait invalidé dix candidats dont le remplaçant de M. Dillo -- et l'Agence nationale de gestion des élections (ANGE).
"Le nouveau code électoral a supprimé l'obligation d'afficher les procès-verbaux (de dépouillement) à l'extérieur des bureaux de vote et permet de ne publier les résultats qu'au niveau régional, ce qui empêchera les observateurs de consolider les résultats par bureau de vote pour vérifier les chiffres", regrette ICG.