La très grande majorité des candidats qualifiés à la présidentielle au Sénégal ainsi qu'un important collectif citoyen ont rejeté vendredi le dialogue proposé par le chef de l'Etat pour fixer la date de l'élection et tenter de sortir d'une crise profonde.
"Nous nous opposons à tout dialogue sur cette question et nous exigeons qu'une date soit prise avant le 2 avril", a dit devant la presse Boubacar Camara, membre d'un collectif de 16 candidats supposés être les premiers à être reçus par le président Macky Sall lundi prochain.
"Nous appelons à la mobilisation", a déclaré un autre candidat du collectif, Aliou Mamadou Dia. Le collectif, qui représente 16 des 19 candidatures validées en janvier par le Conseil consitutionnel, travaille à un plan d'actions à mener lundi et mardi, pendant qu'aurait lieu le dialogue, a-t-il dit.
De son côté, Aar Sunu Election ("Préservons notre élection"), qui réunit des dizaines d'organisations de la société civile, a qualifié de "tentative de diversion" le dialogue envisagé par le président et l'a jugée "inacceptable" dans un communiqué. Il exige que l'élection ait lieu avant le 2 avril.
Après la prise de parole très attendue du président Sall jeudi soir, la balle était dans le camp des acteurs politiques et sociaux, à charge pour eux de dire s'ils acceptaient de suspendre la date à un dialogue que M. Sall a dit vouloir mener lundi et mardi, avec l'espoir de s'entendre mardi soir.
Les Sénégalais étaient censés se rendre aux urnes ce dimanche. Le président Sall a décrété le report de l'élection le 3 février, au prix de l'une des plus graves crises traversées par son pays depuis des décennies.
Le report, dénoncé comme un "coup d'Etat constitutionnel" par l'opposition, a provoqué une commotion dans l'opinion et des manifestations qui ont fait quatre morts. Le Conseil constitutionnel a finalement déjugé M. Sall et l'Assemblée nationale.
Après ce veto constitutionnel, et malgré une aspiration partagée à la clarification dans un électorat largement attaché à l'exercice démocratique et au respect du calendrier, le président Sall a non seulement laissé la date en suspens, mais jugé plus probable que les Sénégalais ne voteraient pas avant l'expiration officielle de son mandat le 2 avril.
M. Sall, au pouvoir depuis 2012, a répondu à une préoccupation répandue et dissipé le doute sur le fait qu'il quitterait bien son poste le 2 avril, à la fin de son deuxième mandat.
Lui qui avait justifié le report par la crainte de contestation pré et post-électorales et de violences comme le pays en a connu en mars 2021 et juin 2023, a insisté sur sa volonté d'apaisement et de réconciliation.
"Le 2 avril, ma mission se termine à la tête du Sénégal", a-t-il dit, piqué au vif par le fait que son attachement aux principes démocratiques ait fait l'objet de "procès d'intention", dans son pays comme à l'étranger.
Patate et pilule
Mais pour la date, M. Sall, soumis à de multiples pressions nationales et internationales pour organiser le plus vite possible cette élection, aura des discussions lundi et mardi, d'abord avec les candidats, puis avec les autres acteurs politiques et sociaux. Il écoutera "ce que le dialogue dira" et "si un consensus peut être obtenu sur la suite".
A défaut d'accord, il appartiendra au Conseil constitutionnel de trancher, a-t-il dit.
"Le président rassure le pays", a titré le quotidien gouvernemental le Soleil. Au contraire, il "refile les patates chaudes au dialogue", affichait le journal Vox Populi.
"Notre position, c'est (avant) le 2 avril, sinon c'est la crise", a dit à l'AFP Malick Diop pour Aar Sunu Election. Le collectif redoute la situation exceptionnelle de vacance dans laquelle s'organiserait l'élection.
Aar Sunu Election, qui a mobilisé plusieurs milliers de personnes le week-end dernier à Dakar, maintient ses actions, dont un nouveau rassemblement samedi à Dakar et une journée ville morte mardi, a-t-il dit.
Le candidat Thierno Alassane Sall a accusé le président de manoeuvre. M. Sall va sélectionner pour son dialogue des participants divisés, a-t-il dit sur les réseaux sociaux. Puis il prétextera de l'absence de consensus "pour réintroduire et exclure qui bon lui semble" de la liste des candidats "et rester jusqu'à la passation de pouvoir" au-delà du 2 avril, a-t-il poursuivi.
"Pour faire passer la pilule, Macky Sall nous offre une amnistie", ajoute-t-il.
Le président a envisagé la possibilité de libérations provisoires, de grâces ou d'une loi d'amnistie, dont pourraient bénéficier, entre autres, Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye.
Ousmane Sonko, personnage principal d'un bras de fer avec l'Etat qui a donné lieu à plusieurs épisodes de contestation meurtrière depuis 2021, est emprisonné depuis juillet 2023 et a été disqualifié de la présidentielle. Mais la candidature de son second, Bassirou Diomaye Faye, détenu lui aussi, a été validée par le Conseil constitutionnel.