Le secrétaire d'État américain Antony Blinken et le ministre des Affaires étrangères de la RDC Christophe Lutundula lors d'une conférence de presse à Kinshasa le 9 août 2022. Photo : Reuters

Par Jacques-Matand Diyambi

Au siège de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) de Kinshasa en République démocratique du Congo, c’est le silence total, depuis l'annonce des sanctions américaines visant trois de ses anciens responsables dont l'ex-directeur général Cosma Wilungula Balongelwa.

En plus de M. Wilungula, le département d’État américain a sanctionné Léonard Muamba Kanda, ancien chef de département de l’Autorité de gestion de la RDC pour la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages en voie d’extinction (CITES) et directeur de l’ICCN et Augustin Ngumbi Amuri, directeur-coordinateur de l’Autorité de gestion de la RDC pour la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages en voie d’extinction (CITES) et conseiller juridique de l’ICCN.

Le communiqué publié le 16 août par le Département d'Etat américain souligne que ces trois responsables congolais sont "inéligibles à l’entrée aux États-Unis en raison de leur implication dans des actes de corruption importants. En tant que fonctionnaires responsables de la protection des espèces sauvages, ils ont abusé de leurs postes officiels en s’impliquant dans le trafic de chimpanzés, de gorilles, d’okapis et d’autres espèces sauvages protégées de la RDC, principalement vers la République populaire de Chine, en échange de pots-de-vin".

La diplomatie américaine estime que les agissements de ces trois responsables congolais constituent des "actions criminelles transnationales corrompues (qui) ont sapé l'état de droit et la transparence du gouvernement en RDC ainsi que les efforts de longue date de conservation des espèces sauvages".

Elle ajoute que "l’action d’aujourd’hui montre que les États-Unis se tiennent aux côtés de la RDC contre ceux qui s’évertuent à perpétuer le trafic des espèces sauvages et préconisent l’obligation de rendre des comptes incombant aux fonctionnaires corrompus et aux criminels transnationaux"

Kinshasa satisfaite de la mesure?

Au ministère congolais de l’Environnement, aucune réaction officielle n’a été faite. Une source proche du dossier au ministère nous confie que "les autorités congolaises sont contentes de cette décision du département américain. Cela vient confirmer les sanctions qui ont été prises, notamment contre l’ancien directeur général de l’ICCN. Cela fait deux ans qu’il n’est plus à l’ICCN. Aujourd’hui que le Département d’état va dans le sens des autorités congolaises, cela nous réjouit", confie cette source à TRT Afrika.

Rencontre entre le chef de la diplomatie américaine et le chef de l'Etat congolais en marge de la 76e Assemblée générale annuel de l'ONU. Photo : Reuters

En août 2021, Eve Bazaiba, ministre congolais de l’Environnement, avait suspendu Cosma Wilungila de son poste de Directeur général de l’ICCN surtout pour mauvaise gestion.

"Le monsieur a géré le patrimoine de l’Etat comme son argent privé, son argent personnel. Il a signé des contrats avec des partenaires sans rendre compte à l’Etat. Les fonds destinés à investir dans les aires protégées, il les aurait affectés vers des individus. En fait, il y a beaucoup de choses qui lui étaient reprochées. Aussi, il s’est permis d’envoyer certains animaux dans des parcs animaliers privés", glousse ce proche du dossier au Ministère congolais de l’Environnement.

Un expert congolais des questions environnementales nous confie qu’en fait ce qui serait reproché à l’ancien directeur général de l’Institut congolais pour la conservation de la nature, c'est sa proximité avec Joseph Kabila, ancien président de la République démocratique du Congo.

Du coup, on le soupçonnerait de lui avoir facilité l’obtention de quelques animaux pour son parc animalier de Kingakati, à Kinshasa.

Wilungula nie en bloc

Dans un entretien exclusif à TRT Afrika, Cosma Wilungula rejette en bloc toutes ces accusations et se dit victime de pression politique et tribale.

Il ne nie pas le fait "d’avoir facilité à Joseph Kabila l’obtention des documents de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages en voie d’extinction (CITES) pour faire venir les animaux de la Namibie, Zambie, Afrique du Sud, etc., dans son parc animalier. Il les a fait venir dans les normes", affirme Cosma Wilungula.

En ce qui concerne les accusations du Département d’État américain, l’ancien DG de l’ICCN regrette le fait qu’aucun détail n’a été fourni par la diplomatie américaine. "S’il s’avère corrompu, qui serait le corrupteur ? Cela s’est passé quand ? Et par où serait passé l’argent?" s'intérroge-t-il.

Cosma Wilungula Balongelwa, ancien directeur général de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) rejette les accusation de Washington. Photo : TRT Afrika

"On ne peut pas vouloir parler d’un dossier sérieux sans donner les précisions. En clair, je n’ai jamais signé un permis Cites ou autorisé la sortie d’un animal quelconque. Ceux qui ont leur quota, ont droit d’obtenir des permis auprès des services attitrés pour les espèces de l’annexe 2, concernées par le quota. Les animaux pour lesquels ces sanctions ont été prises sont de l’annexe 1" se défend l’ancien DG sanctionné.

"C’est-à-dire qu’ils ne peuvent faire l’objet d’aucune transaction. Ils n’ont pas des prix commerciaux à part les échanges scientifiques entre établissements scientifiquement enregistrés au niveau du Secrétariat général de Cites à Genève en Suisse. Or, au niveau de Cites, aucun mouvement d’animaux n’est documenté depuis plus de 20 ans entre la RDC et la Chine" poursuit-il.

Au sujet des espèces concernées, Cosma Wilungula affirme que la surveillance internationale de ces animaux ne laisse pas de place aux accusations portées contre lui. "Les espèces : okapi, chimpanzé et gorille sont gérés et bien surveillés dans le monde via des organisations installées en Europe et aux États-Unis", fait-til valoir.

"Aucun okapi ne peut quitter l’Afrique pour la Chine. Le nombre d’okapi au monde en dehors de la RDC est bien connu. Si un pays a besoin d’un okapi, c’est l’organisation internationale présidée par Mr. John Lucas, un Américain, qui décidera de le lui donner. La RDC ne joue que le rôle de facilitateur entre les pays concernés. Et pour les Grands singes, gorilles et chimpanzés, il y a également une autre organisation appelée Grasp, qui fait la police mondiale, et les différents pays s’organisent. Ces animaux ne quittent plus la RDC depuis des années pour aller dans tout autre pays", explique l’ancien patron de l’ICCN.

Pour M. Wilungula, les accusations contre lui et ses deux collaborateurs sont non seulement sans fondement solide, pire, elles émanent de ceux qui, selon lui, veulent salir sa réputation et saper son travail pour la conservation de la nature en RDC.

TRT Afrika