Pour la deuxième fois en quelques mois, la justice suisse est ainsi amenée à juger un prévenu étranger accusé d'avoir commis des crimes contre l'humanité dans son pays d'origine.
Le procès d'Ousman Sonko est possible car la Suisse se reconnaît une compétence universelle pour certains crimes graves en vertu du droit international.
L'audience se tiendra devant le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone et c'est la première fois que cette notion de crime contre l'humanité - des exactions commises dans le cadre d'une attaque de grande ampleur visant des civils - est abordée en première instance.
Ousman Sonko, ancien ministre de l'Intérieur gambien, qui aura 55 ans mardi, est "le plus haut responsable étatique jamais jugé pour des crimes internationaux sur la base de la compétence universelle en Europe", a souligné l'ONG Trial International, à l'origine de la procédure.
Il a été arrêté le 26 janvier 2017 au lendemain d'une dénonciation pénale déposée à son encontre par l'ONG. Cette dernière avait été informée qu'il avait demandé l'asile en Suisse après avoir été limogé de son poste ministériel qu'il a occupé pendant dix ans jusqu'en septembre 2016.
Il est depuis son arrestation en détention provisoire, et conteste les charges qui pèsent contre lui, selon son avocat.
Prison à vie
Le Ministère public de la Confédération (MPC, bureau du procureur général) l'accuse "d'avoir, en ses qualités et fonctions, soutenu, participé et de ne pas s'être opposé aux attaques systématiques et généralisées menées dans le cadre de répressions par les forces de sécurité gambiennes contre tout opposant au régime du président Yahya Jammeh" (1994-2017).
Les reproches s'étendent sur une période allant de 2000 à 2016 et seraient constitutifs de crimes contre l'humanité selon le parquet général.
Le MPC lui reproche notamment "d'avoir, dans le cadre de cinq événements entre 2000 et 2016, participé, ordonné, facilité et/ou n'avoir pas empêché des meurtres, des actes de torture, des viols et des détentions illégales".
Dix personnes se sont constituées parties plaignantes, dont huit "victimes directes" et la fille d'une personne décédée en détention, a dé taillé Trial.
La procédure doit se dérouler en allemand, une des langues nationales suisses, mais tant les avocats de la défense que des parties plaignantes déplorent qu'elle ne soit pas interprétée en anglais dans son intégralité afin qu'elle soit comprise par tous, y compris la population gambienne.
Le procès devrait durer un mois et le verdict n'est pas attendu avant mars. Ousman Sonko risque la prison à vie.
Yahya Jammeh
La Gambie, pays d'Afrique de l'Ouest et ex-colonie britannique, a été dirigée pendant 22 ans par Yahya Jammeh qui vit en exil en Guinée équatoriale après avoir été battu lors de l'élection présidentielle de décembre 2016.
Avant d'être ministre, M. Sonko occupait le poste d'inspecteur général de la police gambienne. Il a également servi comme commandant de la garde nationale, chargée de la protection du président.
Selon son avocat, Me Philippe Currat, les faits décrits par l'acte d'accusation n'engagent pas la responsabilité de son client mais de l'Agence nationale de renseignement (NIA), et "cette agence-là n'a jamais été ni sous l'autorité, ni sous le contrôle, ni en fait ni en droit, d'Ousman Sonko", a -t-il dit à l'AFP.
Avocate de trois des parties plaignantes, Me Caroline Renold a elle indiqué que M. Sonko ne pouvait ignorer "toutes les atrocités qui étaient commises alors qu'il était un haut responsable dans l'appareil sécuritaire gambien".
"Et d'autre part, il est mis en cause pour avoir participé directement à des atrocités", a -t-elle dit.
M. Sonko n'est pas la première personne poursuivie hors de Gambie pour des crimes commis dans ce pays sous l'ère Jammeh. Fin novembre, un tribunal allemand a condamné à la prison à perpétuité un Gambien membre d'un escadron de la mort qui assassinait des opposants.
En Gambie, le gouvernement a annoncé en février 2023 œuvrer avec le bloc sous-régional (CEDEAO) à la mise sur pied d'un tribunal chargé de juger les crimes commis sous le règne de Yahya Yammeh. Mais l’ancien dirigeant vit en exil dans un pays, la Guinée Équatoriale avec qui la Gambie n'a pas d'accord d'extradition.