Par
Firmain Eric Mbadinga
L'art d'assister une femme enceinte dans l'acte délicat et physique de l'accouchement est peut-être aussi vieux que la civilisation. L'histoire et la littérature témoignent de l'essor de la profession de sage-femme dans l'Égypte ancienne, à Byzance, en Mésopotamie et dans les empires méditerranéens de Grèce et de Rome.
Il s'agissait de sages-femmes qualifiées qui s'occupaient des accouchements, en s'appuyant sur leur connaissance des plantes, du positionnement et des soins nécessaires à la femme enceinte. Ces femmes étaient vénérées pour leur sagesse et leur compassion. Elles rendaient service à l'humanité qui cherchait à perpétuer la vie de manière sûre et naturelle. Comme l'a dit le penseur et médecin français Robert Debré, ''Nos enfants sont notre éternité ''.
Au Bénin, en Afrique de l'Ouest, Annick Nonohou, sage-femme et juriste de formation, milite au sein de son ONG contre les '' violences obstétricales '', que l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit comme '' tout acte d'un professionnel de santé portant atteinte à une personne enceinte ou en train d'accoucher ''.
Annick a fondé RSAP Bénin pour lutter contre les violences obstétricales en sensibilisant les femmes enceintes et le personnel soignant à une approche humaine et sécuritaire de l'accouchement.
'' Notre objectif est de défendre les droits des patients et de lutter contre les violences gynécologiques et obstétricales afin d'améliorer la santé maternelle et infantile et de réduire de manière tangible les décès maternels et néonatals évitables dans notre pays '', explique Annick à TRT Afrika.
L'expérience marocaine
Le Réseau des soignants amis des patients (RSAP) a pris forme dans l'esprit d'Annick en 2012, après avoir suivi une formation au Maroc. Elle s'est associée à une amie sage-femme parajuriste, Émilienne Badou Adjobo, pour s'inspirer du modèle développé par le Maroc à l'époque pour la protection, la prise en charge et l'accompagnement des femmes tout au long de la grossesse.
''Le stage nous a permis d'apprendre que nos collègues sages-femmes marocaines ont pu améliorer la qualité des soins obstétricaux et néonataux et réduire de moitié les décès maternels en une décennie (2001-2011), grâce à leur remarquable activisme dans la vulgarisation des droits des patients dans les milieux sanitaires et communautaires'', raconte Annick, la quarantaine.
Elle a été particulièrement impressionnée par leur travail en réseau, qui a conduit à l'élimination progressive de la violence médicale. De retour chez elles, Annick et d'autres, dont Émilienne, installent leur ONG naissante dans un petit local au cœur du quartier de Tankpè, dans la commune d'Abomey-Calavi. Ce lieu est devenu depuis le siège de RSAP Bénin.
Au centre, et parfois au domicile des patientes ou dans les hôpitaux, les membres de l'ONG sensibilisent les femmes enceintes aux subtilités de l'accouchement, notamment aux violences obstétricales, d'où qu'elles viennent.
'' Sur le terrain, nous fournissons un large éventail d'informations et de compétences scientifiques et juridiques. Aux soignants, aux familles et aux communautés, nous présentons les exigences légales et réglementaires internationales, régionales et nationales relatives aux lois sur la santé et à la prévention et à la répression des violences faites aux femmes et aux filles '', explique Annick.
Les professionnels de la santé, quant à eux, bénéficient d'une remise à niveau des dispositions législatives régissant l'obstétrique, notamment l'humanisation des soins et le respect des droits des patients.
Le traumatisme de la mère
L'histoire personnelle d'Annick renseigne sur son choix de la profession de sage-femme et sur son engagement pour la promotion des droits obstétricaux. Dans sa jeunesse, elle a été témoin des souffrances de sa mère, qui a connu plusieurs accouchements difficiles.
C'est alors qu'Annick s'est promis de faire quelque chose pour éviter que l'accouchement ne devienne une épreuve encore plus douloureuse en raison de mauvais traitements ou de négligences.
'' J'ai moi aussi subi des violences obstétricales lors de la naissance de mon fils aîné. Je sais tout sur le traitement inhumain et dégradant des patients et sur les cas de maltraitance infligés aux femmes dans les établissements de santé, qui ont même entraîné des décès '', dit-elle.
Comme une parfaite destinée, Annick a jeté son dévolu sur les professions de sage-femme et de juriste.
Une mission autofinancée
Après son séjour au Maroc, elle a utilisé ses économies pour créer l'ONG qui est aujourd'hui une lueur d'espoir pour de nombreuses personnes au Bénin.
Au cours des dix dernières années, Annick a mis de côté une partie de son salaire chaque mois pour assurer le fonctionnement de RSAP Bénin.
Les nouveaux membres paient de petites cotisations, qui s'ajoutent au fonds nécessaire pour financer les actions de terrain.
'' Nous faisons comprendre aux femmes enceintes qu'elles doivent exiger le respect de leurs droits et de leur liberté, qu'elles doivent exprimer leurs opinions et dénoncer les violences gynécologiques et obstétricales auxquelles elles peuvent être confrontées'', explique Annick à TRT Afrika.
Des exercices de simulation de grossesse impliquant des conjoints volontaires enseignent aux femmes et à leurs futurs soignants ce qu'il faut faire pour garantir un accouchement sans risque.
'' Nous avons des gilets de grossesse pour que les futurs pères subissent des expressions abdominales ou effectuent des tâches ménagères afin d'expérimenter la souffrance et la douleur subies par les femmes au cours de la période périnatale. Cela encourage également une masculinité positive '', ajoute Annick.
RSAP Bénin exhorte aussi bien les législateurs à promouvoir des lois spécifiques pour la protection des femmes contre les violences obstétricales.
Selon une étude réalisée en 2015 par le Fonds des Nations unies pour la population, près de 45 % des décès d'enfants de moins de cinq ans en Afrique subsaharienne concernent des nouveau-nés. La majorité de ces décès surviennent au cours de la première semaine de vie. De 25 à 45 % d'entre eux surviennent dans les premières 24 heures.
L'ONU souligne que la plupart de ces décès de nouveau-nés surviennent dans les pays en développement, où l'accès aux soins de santé est insuffisant. L'OMS reconnaît ces lacunes professionnelles dans l'assistance aux femmes enceintes, notamment le manque d'équipement technique.
Annick, qui a déjà rencontré au moins 5 000 cas de violences obstétricales au cours de sa carrière, entend bien continuer à se battre contre vents et marées.