Peut-on être activiste ou intellectuel africain résidant en France et critiquer ouvertement la politique africaine de la France sous l'ère Macron ? La question revient de manière récurrente au regard du traitement réservé, ces dernières années, à certains intellectuels et activistes du continent, résidant dans l’hexagone.
Le dernier cas le plus en vue est celui de l’activiste Kemi Seba, de son vrai nom Stellio Gilles Robert Capo Chichi.
Un décret paru le 9 juillet dernier au journal officiel de la République française et signé la veille, informait de la déchéance de sa nationalité française. Né il y a 42 ans en France de parents béninois, il conserve sa nationalité béninoise, cependant.
À la tête de l’ONG Urgences panafricaines, Kemi Seba s’est fait remarquer, ces dernières années, par ses critiques virulentes contre la France. Ses positions tranchées contre le Franc CFA l'ont rendu célèbre auprès de l’opinion publique en Afrique, alors qu’il est redouté de plusieurs gouvernements. En septembre 2017, le gouvernement sénégalais l’a même expulsé vers le Bénin à l'issue d’une manifestation au cours de laquelle il a déchiré un billet de 10 000 Francs CFA.
Longtemps dans le viseur du gouvernement Macron, des politiciens d'extrême droite, comme Thomas Gassilloud, l'accusaient de servir les intérêts russes et d'attiser le sentiment anti-français en Afrique.
Alors que le ministère français de l'Intérieur l’avait notifié en février 2024 d’une procédure de déchéance de nationalité, il a réagi en brûlant publiquement son passeport français.
“Me retirer la nationalité car je critique votre néocolonialisme est, chères autorités françaises, une reconnaissance (très peu stratégique) de votre part de l’efficacité de mon travail politique contre vous autres, les tenants de cette Françafrique”, a déclaré Kemi Seba à l'annonce de la déchéance de nationalité.
“C’est maintenant que tout commence. Courage à vous, car vous venez de nous rajouter des tonnes de litres d’essence dans notre moteur politique”, a-t-il conclu.
Le philosophe français d’origine camerounaise Franklin Nyamsi, enseignant de philosophie à Rouen, est lui aussi dans le viseur du gouvernement d’Emmanuel Macron.
Le vendredi 5 mai 2023, il a été suspendu de ses fonctions d'enseignant pour une durée de trois mois, sans salaire. L’Education nationale lui reproche d’avoir failli à l'obligation de réserve, pour ses critiques virulentes de la politique africaine de la France sur les réseaux sociaux.
Suivi par un peu plus d’un demi-million de personnes sur les réseaux sociaux, il anime quotidiennement une chronique satirique sur les “dérives” de la Françafrique.
Il y passe en revu les “collusions mafieuses” entre la France et les gouvernements africains, démonte les logiques d’appauvrissement et d’asservissement des masses populaires africaines, dénonce les manœuvres des confiscations du pouvoir “sous le regard bienveillant de la France”.
Les gouvernements du Niger, du Mali et du Burkina Faso sont montrés comme des exemples d'une “Afrique en quête d'indépendance. Les gouvernements ivoiriens, béninois, camerounais, congolais, togolais, etc. ainsi que leurs dirigeants ne bénéficient pas des mêmes faveurs”.
Seule femme dans ce “trio honni de la macronie”, l’activiste Camerouno-Suisse Nathalie Yamb est interdite d’entrée et de séjours en France depuis 2022. Suivie par plus d’un demi-million de personnes, elle utilise les réseaux sociaux pour décrier les dérives des relations entre la France et l’Afrique”.
Surnommée "la dame de Sotchi", en référence à un discours remarqué lors du premier sommet Russie-Afrique, qui s'est tenu en 2019 dans cette ville russe, Nathalie Yamb est soupçonnée par les autorités françaises de travailler pour les intérêts russes et d’encourager “la violence contre les symboles de la France”.
L’autisme de la France
S’adressant à TRT Français, le journaliste et analyste politique spécialiste de l’Afrique de l’Ouest Raphaël Mvogo soutient que, ces agissements du gouvernement français remettent en cause le “riche héritage culturel que la France a légué à l'humanité”.
“Historiquement, dit-il, la France est la patrie des droits de l’Homme, avec la révolution française qui a consacré la liberté d’expression”, dit-il. “Il y a comme un recul qui nous ramène dans cette France qui avait contraint les écrivains, intellectuels et artistes à l’exil pour leurs idées”, ajoute Mvogo. Il cite le cas de Victor Hugo contraint à l'exil, pour avoir contesté avec des élus de gauche, le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte en 1851.
Pour l’analyste politique, les prises de positions des intellectuels et activistes africains contre la françafrique sont “des signaux, des cris d’alarme qu’il faut décrypter minutieusement pour des réponses adéquates”.
Au moment où la pauvreté gagne du terrain sur le continent du fait “des élites politiques corrompues et soutenues par la France, il faut une autre politique qui profite aussi aux populations”, souligne Raphaël Mvogo.
La France d’Emmanuel Macron écoutera-t-elle cette clameur venue d’Afrique, portée par les activistes et intellectuels honnis aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr et le gouvernement français semble enfermé dans une espèce d’autisme suicidaire.
La dernière actualité nous apprend que l’ambassadrice pour l’image de la France en Afrique Anne Sophie Avé, a accusé devant une commission parlementaire, Alain Foka, ancien journaliste de RFI, de travailler contre les intérêts français. Le journaliste se défend de promouvoir ”sans condescendance ni complaisance” à travers des plateformes numériques les aspirations de l’Afrique.