Par Kudra Maliro
Sous un hangar en tôles rouillées, Paderne Ndelembo, la trentaine révolue, fabrique des braseros depuis deux ans. Ce qui était au départ un moyen de survie s’est muée en une lutte pour préserver l’environnement.
Aujourd'hui ses motivations vont au-delà de l’aspect financier. Son ambition : produire des foyers améliorés avec base d'argile utilisant moins de charbon ou de bois de chauffage.
Pour y arriver, Paderne s’est entouré de plusieurs autres jeunes et de personnes plus âgées dans son atelier : Des petits apprentis potiers aux ouvriers qualifiés, chacun a un rôle à jouer. Mais ils ont une mission commune: produire davantage de ces fours portables en argile et contribuer ainsi à réduire la coupe abusive de bois dans les forêts autour de leur ville natale.
Mais ce n’est pas tout. C’est aussi un business lucratif dans une ville nichée dans une immense forêt équatoriale au bord du fleuve Congo et sans électricité.
Pour cuire les aliments, les habitants de Kisangani (avec une population qui avoisine le million d'habitants) recourent au bois de chauffage et au charbon de bois. Pour cause, la détérioration de l'unique centrale électrique de la région et le prix surélevé du gaz sur le marché local.
Par conséquent, ces dernières années, des milliers d'hectares de terres ont déjà été déboisés à cette fin.
Face à la menace, il faut agir. "Nous ne pouvions pas rester indifférents face aux problèmes du changement climatique autour de nous", dit Paderne, en levant les yeux vers le sommet d'un four géant en briques cuites construit au centre de son atelier. L'homme a désormais une nouvelle vision : faire en sorte de limiter les dégâts de l'activité de l'homme sur la forêt.
Pour y parvenir, Paderne et compagnons ont créé l’"Association des fabricants de Foyers améliorés en céramique ". Un "foyer amélioré écologique et économique", car il utilise moins de charbon et de bois mais réduit aussi le budget alloué à cela.
Dans sa conception, le chef-d’œuvre est constitué d'argile modelée et cuite en forme de récipient avec des trous à sa base enfui dans un cylindre verticalement posé. Son prix d'achat n'est pas aussi exorbitant. Il coûte entre 10 mille francs congolais (4 dollars américains) et 30 mille (environ 13 dollars américains).
À l'en croire, le braséro bien conçu et sans contact direct avec de l'eau peut avoir jusqu'à 4 ans de vie.
"Une fois chauffé, ce charbon placé sur le récipient chauffe à son tour tout le braséro qui garde longtemps la température. De cette façon la quantité de charbon utilisée sur des foyers en métal est divisée par quatre", nous explique-t-il; avant d'ajouter : "pratiquement, lorsque la quantité de charbon est réduite, c'est d'abord l’abattage d’arbres qui ne se réduit et corollairement, la pression sur nos forêts diminue".
Sa marque attire d'ores et déjà la clientèle. Micheline Magali, femme de ménage est séduite par le produit. "Avec ce brasero en argile je n'utilise qu'environ deux mille Francs congolais (environ 1 dollar) tous les deux jours, plutôt que les huit mille que je dépensais jadis ", témoigne-t-elle.
Cette expérience vaut également pour une autre catégorie d'utilisateurs: les gérants des restaurants. C'est le cas de José Kavira qui tient un restaurant au centre-ville. Depuis qu'elle a équipé sa cuisine d’un foyer amélioré en céramique, elle dit avoir constaté une "augmentation de revenus, les dépenses étant divisées par trois".
Non loin de là, les exploitants et marchands de charbon et de bois de chauffage se montrent sceptiques. Ils considèrent l'usage des foyers améliorés comme une menace pour leurs affaires. Ils redoutent la baisse de leurs chiffres d’affaires.
Mapoli, qui commercialise le charbon à 30 km du centre-ville de Kisangani pense que "la sensibilisation est encore loin de toucher toute la communauté". Le bûcheron de 40 ans, estime tout de même que "l'initiative permettra de pallier la rareté du bois dans la région suite à une forte consommation dû au boom démographique (en cinq ans la population de Kisangani est passée de 600 mille à 1 million d’habitant ndlr)" .
"Il y a cinq, dix ans, nous trouvions facilement du charbon à tout au plus 15 kilomètres de la ville mais actuellement il faut parcourir jusqu'à 122 kilomètres pour trouver des arbres appropriés”, nous dit-il, sueur au front, sur son vélo surchargé de sacs de charbon.
Face à la demande croissante de braseros, Paderne et son équipe ont de longues journées de travail mais avec des moyens financiers et logistiques très limités. Leur journée commence dans des quartiers périphériques de la ville où l'argile est extraite avant d'être ramenée au lieu de modelage à bord d'une moto.
Sur place, une partie de l'équipe conçoit des cylindres en métal alors qu'une autre s'occupe du modelage et de la cuisson de l'argile. Le travail dure plusieurs semaines avant que les produits finis soient exposés dans un point de vente situé au cœur de la ville.
Ici, un ménage utilise en moyenne 3 kg de charbon par jour.
"Nous ne baissons pas les bras, car nous comprenons le défi climatique auquel nous faisons face. Vous avez vu les inondations qu'il y a eu ici? Et maintenant il fait très chaud. C'est la conséquence d'une grande quantité de CO2 dans l'atmosphère.
"C'est contre ce phénomène que nous luttons", renchérit un autre membre de l'équipe, marteau en main, numérotant à l'aide d'un marqueur en acier des cylindres prêts à recevoir de l'argile.
Paderme et ses compagnons ambitionnent de fabriquer plus de braseros en argile pour les exporter dans tous les marchés de la la région pour préserver la forêt du Bassin du Congo, deuxième poumon forestier mondial sous la menace de fortes activités humaines.