Le 4 septembre courant, le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi s'est rendu à Ankara pour un voyage officiel, le premier depuis son entrée en fonction, il y a dix ans. Al-Sissi a été invité par le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a reçu son homologue égyptien sur le tarmac de l'aéroport, sous les projecteurs des médias internationaux.
Les deux puissances économiques et militaires de la région étaient en désaccord sur de nombreux sujets. Mais ces dernières années, elles se sont efforcées d'aplanir leurs divergences. Les experts estiment que la visite de M. Al-Sissi marque un tournant dans ces efforts.
"Les problèmes actuels entre la Turquie et l'Égypte présentent à la fois des opportunités et des défis. Si ces défis sont surmontés -ce que cette réunion suggère- nous pourrions assister à une nouvelle période de coopération étroite entre la Turquie et l'Egypte", explique à TRT World Kaan Devecioglu, coordinateur des études nord-africaines au think tank turc ORSAM, basé à Ankara.
Les deux dirigeants ont coprésidé la première réunion du Conseil de coopération stratégique de haut niveau entre les deux pays et ont signé 17 accords dans divers domaines.
Lors d'une conférence de presse conjointe, M. Erdogan a déclaré que les deux parties avaient réaffirmé leur volonté de "faire progresser la coopération dans tous les domaines". M. Al-Sissi a indiqué que sa visite, qui faisait suite à celle du président turc au Caire en février, "ouvrait la voie à une nouvelle phase des relations économiques et commerciales".
Un regain d'intérêt pour le commerce
Ankara et Le Caire prévoient de faire passer le volume de leurs échanges bilatéraux de 10 à 15 milliards de dollars d'ici quelques années.
Murat Yigit, politologue à l'université de défense nationale d'Istanbul, explique que depuis qu'Israël a déclaré la guerre à Gaza en octobre, "une profonde crise de sécurité commerciale a éclaté dans le canal de Suez et la mer Rouge".
L'Égypte a connu une baisse de ses revenus et Le Caire a cherché à diversifier ses partenaires commerciaux ; ce qui a joué un rôle dans le rapprochement avec Ankara.
Selon Yigit, la sécurité est également l'un des principaux moteurs du rapprochement entre la Turquie et l'Égypte.
"Les tensions régionales, en particulier l'occupation de Gaza, la migration, le contrôle des frontières, la contrebande et le terrorisme ont contraint Le Caire à rétablir ses relations avec Ankara, l'un des principaux fournisseurs de l'industrie de la défense pour la quasi-totalité du continent africain". C'est là que l'industrie turque de la défense prend sens.
Devecioglu a souligné que les entreprises turques de défense avaient attiré l'attention lors de l'exposition de défense égyptienne (EDEX) qui s'est tenue au Caire en décembre dernier. Il a, de surcroît, précisé que le commerce d'équipements de sécurité entre les deux pays allait très probablement s'intensifier dans les années à venir.
"Les accords commerciaux sont considérés comme plus utiles pour le moment, mais ce partenariat aura des résultats plus durables dans le domaine de la défense et de la sécurité", a conclu Yigit.
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La coopération en matière de défense ne figurait pas parmi les 17 accords signés lors de la rencontre historique entre le président Al-Sissi et le président Erdogan.
Une position commune sur la Palestine
La Turquie fait partie des pays qui ont critiqué la récente déclaration du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, selon laquelle des armes sont acheminées clandestinement d'Égypte vers Gaza. La ville égyptienne de Rafah partage une frontière avec l'enclave palestinienne assiégée.
Selon Yigit, la coopération entre la Turquie et l'Égypte "n'est pas encore suffisante pour mettre fin à l'occupation de Gaza, mais elle sera vitale pour garantir un cessez-le-feu et permettre à l'aide humanitaire d'atteindre la région".
La Turquie est le premier fournisseur d'aide humanitaire à Gaza, une grande partie de cette aide étant acheminée via l'Égypte.
Devecioglu note que cela souligne la possibilité pour les deux pays de collaborer plus étroitement pour faire face aux crises humanitaires régionales.
"Cette coopération pourrait être considérée comme une étape positive vers la réduction des tensions et la contribution au processus de paix dans la région", ajoute Devecioglu.
Yigit va plus loin en soulignant que "le plan d'Israël visant à répandre la guerre dans toute la région ne peut être empêché que par le partenariat entre la Turquie et l'Égypte au niveau régional".
Dans leur déclaration commune de mercredi, Erdogan et Al-Sissi ont appelé à un cessez-le-feu immédiat à Gaza et à la fin des violences en Cisjordanie occupée.
Les deux parties ont également soutenu le droit du peuple palestinien à établir un État indépendant et souverain, avec Jérusalem-Est comme capitale, sur la base des frontières de 1967.
Les vents du changement
Selon Devecioglu, l'Égypte joue un rôle clé dans l'avancement de la stratégie régionale de la Turquie, non seulement à Gaza, mais aussi par son influence en Méditerranée orientale, en Libye, au Soudan et dans la Corne de l'Afrique.
Auparavant, l'Égypte s'était opposée aux revendications de la Turquie en mer Méditerranée.
"Mais à mesure que l'instabilité régionale se répandait, l'Égypte a réalisé qu'elle ne pourrait pas protéger ses intérêts sans le soutien de la Turquie", explique Yigit.
La Turquie et l'Égypte ont également convenu de renforcer leur coopération dans le domaine de l'énergie, ce qui pourrait avoir un impact sur la recherche actuelle de réserves de pétrole et de gaz dans le bassin méditerranéen oriental.
Ankara et Le Caire soutenant mutuellement les activités d'exploration énergétique en Méditerranée, leur coopération pourrait inclure des co-entreprises dans l'exploration et l'extraction du gaz naturel, contribuant ainsi à une politique énergétique plus équilibrée en Méditerranée orientale.
"Le potentiel de l'Égypte à devenir un deuxième centre de production pour la Turquie, compte tenu de sa situation stratégique et de ses faibles coûts énergétiques, pourrait renforcer la sécurité énergétique de la Turquie et promouvoir l'utilisation des ressources énergétiques de la Méditerranée orientale conformément aux intérêts mutuels", affirme Devecioglu.
Il ajoute que le renforcement de l'influence combinée de la Turquie et de l'Égypte en Afrique, associé au développement de projets conjoints, renforcerait leur position sur la scène mondiale.
Étant donné que la Turquie a récemment mis l'accent sur la médiation dans la résolution des crises et sur les initiatives diplomatiques qui renforcent la connectivité inter-étatique dans sa géographie immédiate, et qu'elle se positionne comme un "acteur contribuant à la stabilité régionale", l'alignement de la Turquie sur l'Égypte est crucial pour la stabilité régionale", conclut Devecioglu.