Par Abdulwasiu Hassan
Les fissures au sein de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) semblent s'être élargies depuis le changement de gouvernement au Niger le 26 juillet de l'année dernière, obligeant le bloc régional à se mettre en mode dépannage pour remettre de l'ordre dans ses affaires.
Cette initiative intervient après une érosion progressive du soutien à la CEDEAO, dont le point culminant a été l'alliance du gouvernement militaire du Niger avec ses homologues du Mali et du Burkina Faso pour former l'Alliance des États du Sahel (AES).
La CEDEAO patine sur la glace depuis plus d'un an, sa décision de couper l'approvisionnement en électricité et de bloquer les frontières avec le Niger, pays enclavé, ayant renforcé la détermination de ce dernier à quitter le bloc avec les deux autres États membres d'Afrique de l'Ouest dirigés par des militaires.
L'activation d'une force militaire de réserve en vue d'une éventuelle intervention pour restaurer la démocratie au Niger a apparemment été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.
Le Burkina Faso et le Mali, qui ont connu des coups d'État en 2021 et 2022, respectivement, ont convenu avec le Niger qu'ils devaient se séparer de la CEDEAO pour former un bloc distinct comme rempart contre les agressions internes et externes.
La CEDEAO a levé les sanctions par la suite dans un geste de conciliation, mais le mal est fait. L'AES est désormais une dure réalité à laquelle le bloc régional doit faire face.
Mission de conciliation
Depuis sa réélection à la présidence de la CEDEAO, le président nigérian Bola Ahmed Tinubu s'est employé à remettre l'organisation sur les rails.
La CEDEAO a confié au président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et à son homologue togolais Faure Gnassingbé la tâche ardue de tenter de ramener le Mali, le Niger et le Burkina Faso dans le giron de l'organisation.
M. Faye, qui a été chargé de cette mission lors de sa première réunion de la CEDEAO, est l'un des plus jeunes dirigeants de la région et est considéré comme quelqu'un qui pourrait apporter une perspective nouvelle à la table.
« En tant que président de la CEDEAO, je vous invite à collaborer et à rencontrer les autres frères pour les persuader de revenir au bercail », a déclaré M. Tinubu à M. Faye lors d'une réunion à Abuja.
Depuis que lui et Gnassingbé ont été choisis pour initier une réconciliation, Faye s'est déjà rendu au Mali et au Burkina Faso pour tenter de faire avancer la mission.
Facteurs de réussite
À l'approche de la date butoir de janvier 2025 pour le retour des trois États sécessionnistes au sein du bloc régional, quels sont les facteurs susceptibles de contribuer au succès ou à l'échec de l'initiative afin de les convaincre que le retour au sein de la CEDEAO est dans l'intérêt de tous ?
Les analystes estiment que la voix panafricaniste et anti-impérialiste que M. Faye et l'un de ses mentors, Ousman Sonko, ont utilisée lors de la campagne pour le scrutin présidentiel sénégalais de cette année est l'un des éléments qui pourraient favoriser la réconciliation.
« Le lien idéologique existe et est très important dans de telles circonstances », explique le professeur Aliou Sow, ancien ministre sénégalais, à TRT Afrika.
Un autre aspect crucial de la confiance mutuelle est qu'une grande partie des échanges commerciaux du Mali se fait avec le Sénégal.
« L'engagement du Sénégal à soutenir militairement le Mali dans sa lutte contre les groupes terroristes, comme l'a annoncé (le Premier ministre) Ousmane Sonko, devrait être utile à la mission de réconciliation », explique le professeur Sow.
« Le facteur clé est qu'il faut que la CEDEAO comprenne le contexte de telles décisions impliquant les deux pays.
L'expertise du compagnon de paix de Faye, Gnassingbé, est un autre élément qui devrait être favorable à la mission de réconciliation. Les relations de ce dernier avec certains dirigeants des pays de l'AES et son expérience en matière de résolution des conflits sont considérées comme inestimables dans les circonstances actuelles.
« Même s'il est jeune, il est considéré comme un homme d'État chevronné de la région qui encourage les relations pacifiques », déclare le professeur Sow.
Obstacles potentiels
Selon Issoufou Boubacar Kado Magagi, un analyste basé à Niamey, l'un des défis est la perception qu'ont certains que le bloc régional penche vers les puissances occidentales, en particulier la France.
M. Magagi souligne que plusieurs délégués occidentaux ont assisté au dernier sommet de la CEDEAO, ce qui suggère qu'ils ont un rôle à jouer dans la position de l'organisation.
« Les temps ont changé. Dans les pays africains, les jeunes n'acceptent pas cette guerre d'usure qui utilise certains dirigeants africains pour faire avancer l'agenda occidental », explique M. Magagi à TRT Afrika.
Les analystes comme lui pensent également que la mission de la CEDEAO aurait un impact plus positif en proposant de compenser les entreprises qui ont subi des pertes en raison des sanctions imposées par le bloc.
« Lorsque les frontières ont été fermées, beaucoup de marchandises sont restées bloquées au port de Cotonou. Les entreprises ont perdu des millions de francs CFA. Personne ne parle de les dédommager », déclare M. Magagi.
La recette du succès
Malgré les obstacles qui se dressent devant les deux chefs d'État à la tête de la mission de réconciliation, il existe un espoir que le duo puisse empêcher la sortie complète des pays de l'AES de la CEDEAO en prenant certaines mesures.
Selon les analystes, l'une de ces mesures consiste à continuer à remplacer les pressions et les discours durs par un dialogue et des concessions qui profiteraient aux deux parties.
« Je pense que M. Faye peut développer une double stratégie diplomatique : il traite avec les dirigeants de la CEDEAO et son Premier ministre (Ousmane Sonko) avec les juntes », déclare M. Sow à TRT Afrika.
La visite de Sonko au Mali le 12 août est considérée comme un pas dans cette direction.
Certains analystes estiment que les visites de représentants de pays partageant le même mépris pour l'hégémonie occidentale, en particulier celle d'anciennes puissances coloniales comme la France, sont un élément nécessaire des efforts visant à dégeler les relations entre les trois pays et la CEDEAO.